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29/08/2010 | 

Techniques

Auteur3-PatriceToutes les techniques mises au point au cours de ces années furent mises en œuvre afin de  fouiller, dans un laps de temps raisonnable (deux jours : 20 heures), le sujet dont je vous entretenais hier. Le but fixé dans ces cas est de reconstituer le vêtement,  d’enregistrer l’ensemble du mobilier (photos et dessins) sur le terrain et d’effectuer l’étude anthropologique et paléopathologique afin de permettre la réinhumation des corps souvent demandée par les chefs de villages. Une fois les prélèvements biologiques effectués et le mobilier prélevé, l’équipe est divisée en « ateliers ». fouille, photo, conditionnement.

 

La fouille, en fait dissection dans des tissus organiques en décomposition avancée (corps et vêtements), est menée par un anthropologue  (EC) tandis qu’un autre (SD) effectue les enregistrements. Christiane spécialiste des vêtements et Edouard, spécialiste en pelleterie, sont eux aussi autour du cadavre afin de confronter en permanence les informations. Edouard est capable de reconnaitre la nature des peaux (zibeline, cheval, poulain, lièvre des neiges, renne sont les plus fréquents) mais aussi leur traitement (chamois, traitement spécial contre l’humidité, etc.) voire leur provenance sur l’animal. Il faut repérer les restes de plans de vêtements, en déterminer la constitution et repérer l’organisation générale et la position des bandes de perles (lisières, épaulettes). Dès qu’un décor perlé est repéré, ne serait-ce que sur quelques centimètres carrés,  le relai est passé à Annie, spécialiste des dissections les plus fines, qui dégage les motifs, aussitôt dessinés et photographiés. Les reconstitutions graphiques des vêtements sont effectuées directement par Christiane. Les discussions (traduites par Dacha) du Iakoute au français et au russe sont souvent âpres et donnent lieu à de véritables joutes d’experts. L’une d’elle est récurrente, elle concerne les manteaux en peaux  et les restes de soukno (drap) retrouvés dessous. Y avait-il deux manteaux ou un seul doublé de soukno ? Chacun expose ses hypothèses, donne ses arguments et précise quelle zone il faudrait fouiller et ce qu’il faudrait trouver pour les confirmer ou les infirmer. Il s’agit de moments passionnants qui s’apparentent souvent à un gigantesque puzzle en trois dimensions dont des pièces disparaitraient au fur et à mesure que le temps s’écoulerait…

 

Tous les objets, fragments de vêtements, et ossements sont prélevés sur du plastic souple (stiron), triés, nettoyés puis photographiés. Patrice a mis au point un studio ambulant à quelques mètres de la tombe à la sortie duquel les pièces d’intérêt sont conditionnées sur du stiron et scellées sous scellofrais. Elles devront supporter le transport vers le camp de base,  suivre l’équipe au cours de ses pérégrinations à venir,  puis finalement s’envoler vers le musée archéologique de Iakutsk à moins qu’elles n’y soient transportées cet hiver par camion depuis Verkhoïansk. L’étude anthropologique termine la journée. Il faut ensuite réinhumer les restes puis reboucher la fosse. Il est heureux qu’il fasse toujours beau, le même travail sous une bâche en raison de la pluie ou la neige rajoutant une difficulté de plus.

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EC, PG

28/08/2010 | 

Milliers de perles

Les techniques mises au point dont j’ai commencé à vous entretenir hier sont imposées par des éléments liés aux corps gelés dont la décomposition reprend dès l’ouverture de la tombe mais aussi par les vêtements dont était parée l’élite iakoute aux 17e et 18e siècles. La femme aux plus beaux vêtements que nous ayons eut l’occasion de découvrir en Iakoutie centrale portait plusieurs robes dont une en écarlatine : tissu rouge d’origine anglaise qui semble avoir été aussi prisé par les iakoutes que par les indiens du Canada à la même époque. Ses deux robes, son manteau et ses dessous à faire frémir Sonia Rykiel – dont je tiens à sa disposition en vue de sponsoring les modèles – étaient décorées de perles. Si les plus grosses peuvent atteindre un centimètre de diamètre, la plupart, vendues à l’époque en écheveaux ne font que quelques millimètres. L’estimation du nombre de perles initialement cousues en bandes sur les vêtements est d’environ un million. Si ce nombre est exceptionnel, les dizaines de milliers de perles sur les vêtements sont notre lot quotidien. Si sur des vêtements parfaitement gelés, photos et reconstitutions sont aisées –relativement- ; lorsque le corps est en cours de décomposition, le coffre effondré rempli de sédiment et les habits présents sous forme de fragments, ces milliers de perles peuvent rapidement devenir un enfer pour qui essaie de comprendre le costume. Ce fut le cas sur la quatrième tombe fouillée cette année. Tombe d’un homme de l’élite elle se présentait sous la forme d’une légère dépression surplombant une prairie. Le permafrost n’était pas atteint à la sonde ce qui laissait espérer une fouille aisée. _DSC0657 Ce fut une découverte d’importance pour notre programme puisqu’elle nous livra un homme dont l’équipement est semblable à ceux de la Iakoutie centrale et de la Viliouï. Il a été inhumé avec un chaudron en fer, une hache, un carquois et ses flèches, un arc de chasse de plus de 170 cm de haut et une offrande d’un hémi-thorax de poulain. Tous ces éléments, dans un état de conservation étonnant, sont des indices de chasseur-guerrier mais aussi du chef  pour la hache et peut-être de clan pour le chaudron. En effet, ceux que nous avons rencontrés jusqu’à présent étaient toujours associés à des hommes de la même lignée paternelle. Les habits sont toutefois inhabituels dans le contexte iakoute. Ils sont décorés de milliers de perles ce qui jusqu’à présent était l’apanage des femmes. Plus étonnant encore, le suaire habituel, généralement en peau de zibeline, a été remplacé par une coupe en bois…

 

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EC, PG

27/08/2010 | 

Enregistreurs déchainés

Au cours de mon histoire d’amour avec la Iakoutie et ses tombes gelées, avec une nette prédilection pour celles de la période médiévale, j’ai tout naturellement appris deux ou trois choses sur la façon de mener un terrain dans ces milieux particuliers pour  les archéologues des pays tempérés. Si pour la découverte de ces tombes et leur dégagement lorsqu’elles sont gelées mes collègues iakoutes sont toujours pour moi une source de connaissances quotidienne ; pour les corps gelés ou dégelés nous avons mis au point, au cours de ces années franco-russes passées au coude à coude, de nouvelles techniques. J’ai découvert dernièrement que Nossov, archéologue iakoute du Musée national Yaroslavsky, nous avait précédé intellectuellement il y a déjà plus de soixante-dix ans, sur le terrain de la Iakoutie centrale qu’il parcourut à cheval à la tête d’une expédition pluridisciplinaire durant les étés 1935 et 1937. Les années de folies et de désespoir qui suivirent (la plupart des hommes en âge de porter les armes étant décédés sur le front à Stalingrad) semblent avoir mis un terme à cette école de fouille naissante. Elle fut remplacée par une secte issue de l’étranger qui devint vite, grâce à différents foyers de propagation, une religion internationale : celle des enregistreurs déchainés. Si je respecte cette religion elle connut malheureusement des fondamentalistes pour qui l’archéologie se résumait à l’enregistrement, assimilé à de la compréhension. Il fallait lutter contre l’amateurisme et les interprétations farfelues basées sur une interprétation directe – y compris immatérielle- des vestiges mis au jour. Les « chers collègues » voulaient s’assurer que sur le terrain leur confrère enregistrait bien les éléments qu’ils dégageaient. Pour y arriver une contrainte fut instituée. Suivant les pays elle prit la forme de règlements drastiques ou de commissions exigeantes. Ils firent parfois oublier aux fondamentalistes le but ultime : restituer les vestiges mis au jour dans leur contexte d’origine. Si en plus cette restitution peut s’accompagner d’une reconstitution dynamique (comment une maison a été bâtie, dans quel ordre les objets et le corps ont été déposés dans une tombe) et de la prise judicieuse d’échantillons pour d’autres études, alors le but fixé à l’archéologie sur le terrain est atteint.

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EC

26/08/2010 | 

Le point de vue féminin

Les petits à côté

 

Auteur2-Annie  Lorsqu’Eric, notre bienaimé chef de mission, m’ordonna cette chronique, je restais quelque peu perplexe. Non pas que le féminin me soit étranger, bien au contraire, mais il me semble que dans ces contrées sauvages où se situe notre campement (au sein d’un microvillage d’été Iakoute), le concept de féminité soit quelque peu ébranlé pour ne pas dire cisaillé. Je manie la lingette avec une ardeur certaine, renouvelée consciencieusement chaque matin avec une connaissance en constant progrès. Un petit conseil pour celles qui auraient l’immense bonheur de quelques vacances ou expéditions haut de gamme en camping grand luxe nouvelle tendance (vous savez sans eau ni électricité) au fin fond de la Iakoutie à 50 km au Nord du Cercle Polaire, un petit conseil pratique disais-je : ne surtout pas utiliser les lingettes « au lait » qui au fil des jours vous laissent une espèce de 2e couche type enduit qui colle à la peau, mais préférer les lingettes «à l’eau nettoyante » à compléter par un indispensable brumisateur d’eau pour la fraîcheur.

L’opération lingette n’a eu cependant qu’un succès mitigé et elle a donc été associée à l’opération Bagna. La remise en état du Bagna a d’ailleurs généré une certaine effervescence au sein du micro-village, les femmes me regardant manier le balai et la pelle avec une certaine hilarité,  non dénuée me semble-t-il d’une certaine compassion et faisant preuve d’une réelle efficacité en mobilisant les quelques hommes présents pour replanter le tuyau d’évacuation des fumées du fourneau (d’une étanchéité plus que relative), en nous fournissant 2 baquets (un pour l’eau chaude, un pour l’eau froide) ainsi qu’un mitigeur d’eau –marque iakoute déposée- constitué d’un seau et d’une écuelle. Le sol en bois « échardé » fût élégamment habillé d’un tapis de bain composé d’une couverture de survie pliée.

C’est donc avec un immense plaisir que je me dirigeais vers ce Bagna qui me faisait rêver (allez savoir pourquoi) à une bonne veille thalasso avec des boues odorantes aux effluves d’essences essentielles bien différentes de la boue du fond des tombes qui colle et alourdit les godasses. C’est donc avec un immense plaisir, disais-je, que je me dirigeais vers ce Bagna, lieu supposé de détente et de barbotage. Quand soudain, à l’ouverture de la porte, me voici plongée dans le « fournil de Patrick », avec une chaleur incandescente, mes petits pots de crème (un pour le corps, un pour le visage, un parfumé, un pour le soleil etc… qui alourdissent inconsidérément mon excédent bagage) fondant comme neige au soleil et moi me transformant en quelques secondes en un homar bien cuit. Je fis donc, en cet instant, l’acquisition d’un nouveau protocole intégrant en quasiment une seule étape le déshabillage, savonnage, rinçage, séchage et rhabillage : 4 minutes chrono. L’air vivifiant à la sortie du Bagna ramenant ma température corporelle à un niveau acceptable.

C’est d’ailleurs une constante ici, l’alternance chaud-froid et cela passe du très très chaud l’après-midi au bord des tombes (qui bien évidemment se situent toujours à distance de l’ombre bienfaitrice des arbres alentours) au très très froid qui transforme en statues de glace (très artistiques au demeurant) vos vêtements lavés et minutieusement étendus la veille.

Ce qui m’amène toujours à la question du choix cornélien du petit matin « Mais que vais-je mettre aujourd’hui ?, pour finalement m’emmitoufler et affronter le froid matinal tout en emportant une petite tenue d’été pour l’après-midi.

Et c’est avec une certaine allégresse que je suis le groupe pour une petite ballade en forêt, pour les trajets plus longs, notre chef bien aime Eric a prévu pour nous la gent féminine, des mini-croisières en barque (pour nous certes, mais également plus prosaïquement pour le groupe électrogène : 30 kg au bas mot qui, par ailleurs, a obstinément refusé de démarrer !). Et cette petite ballade dans les bois me fait prendre conscience de mon état de citadine peu entraînée aux conditions environnementales du Nord Sibérien.

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Et notre féminité apprécie grandement les marques d’élégance de nos collègues masculins y compris les Iakoutes (qui, sous des airs un peu rudes, font preuve d’une réelle délicatesse), ces collègues masculins donc qui ne nous laissent jamais porter un sac trop lourd, nous tendent une main secourable lorsque nous sommes en déséquilibre entre deux bulles de permafrost, nous aident à monter nos tentes etc., etc. .

Et nous voici arrivés sur la 1ère tombe et la terre pelletée par nos efficaces collègues masculins se transforme partiellement mais abondamment en poussière qui se mêle à votre fond de teint artistement appliqué le matin même pour donner une couleur , non pas « Terre de Sienne » des autres Chanel, Guerlain et consort mais une couleur improbable, comment dire, « Terre de Sibérie » que je me propose, en excellente ou médiocre (à vous de voir) femme d’affaire, de labelliser.

Ainsi donc, notre chef bien aimé (toujours le même Eric) n’avait pas si tort, le féminin même s’il est fragmenté dans ses contrées hostiles reste toujours bien accroché.

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AG


24/08/2010 | 

L’ours et l’essence

L’ours et l’essence pourrait être le titre d’une fable façon Jean de la Fontaine revue à la mode de Verkhoïansk. Il s’agit de fait de nos principaux sujets de discussions. Discussions lors de nos longs trajets à pieds du camps de base situé dans le hameau de Targana aux différents sites distants à vol d’oiseau de 3 à 6 km et qui nous demandent environ 90 mn matin et soir, souvent lourdement chargés de notre matériel de fouille. Discussions qui ont lieu aussi lors de nos courts repas, autour d’un feu de camps le midi ou dans la cabane le soir. Lors des trajets, l’ours à notre préférence car nous redoutons de le voir apparaître, tandis que lors de nos repas, c’est l’essence, les pates au corned beef avec ou sans sardines russes, mais surtout l’absence de bière (nos médicaments n’ont guère été entamés) commençant à peser à certains. 


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L’ours est présent partout, d’après certains d’entre nous il nous attendrait même ! Ses empreintes ont été vues (le plus gros fait au moins du 48, mais le 43 semble assez fréquent) et photographiées autour du hameau mais aussi sur notre tas de déblais. La fouille des tombes semble l’intriguer. Le swimming club de la Yana, fort de ses trois membres dont les bains réguliers sont de plus en plus rapides avec une température de l’eau inférieure à 10°C à 21h, l’a entendu pêcher plusieurs soirs durant et a vu la gerbe d’éclaboussures liée à son entrée dans l’eau sur la rive opposée. Darya, qui avait pris l’habitude de caracoler en tête (elle est jeune) lors de nos déplacements a été calmée par sa vue. Debout contre un arbre, à environ 50 mètres, il se faisait les griffes. Le sprint qui s’en suivit fut heureusement sans dommage, le vent soufflant pour elle du bon côté et l’animal ne l’ayant pas repéré. Nous avons maintenant avec nous « la fille qui a vu l’ours » et si les photographes espèrent bien l’avoir, c’est selon Vassily une idée romantique à rejeter. Le danger est bien là. Vassily est épouvanté par les ours qui l’ont déjà attaqué, l épargnant mais blessant grièvement son compagnon d’infortune. Quant aux villageois s’ils en voient régulièrement ils ne le chassent pas n’ayant à leur disposition que quelques vieux fusils, assez efficaces pour le lièvre des neiges et les canards comme nos palais ont pu le découvrir, mais totalement inefficaces pour des animaux de cet acabit. Désormais, la marche isolée est interdite sauf à Vassili qui se déplace avec une fusée de détresse à la main, seule arme réellement efficace selon lui contre la bête. Elle peuple nos marches et nos imaginations. 

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Si l’essence est moins dangereuse pour nos vies et beaucoup moins mythique, son absence nous pose actuellement de gros problèmes. Non seulement il n’y en a plus dans le hameau, ce qui nous empêche de nous faire aider par le bateau, mais elle est comptée au village distant de quatre heures par la Yana. Le président de la région contacté par iridium (celui qui nous permet de vous fournir ce blog) nous a assuré que la situation était la même à Batagay, capitale régionale. L’essence n’est livrée que deux fois par an, les réserves sont entamées et il ne semble guère question d’en apporter aux archéologues. Ce que nous comprenons. Les dernières tombes repérées par Vassily sont à plus de trois heures de marche, ce qui rend leur fouille impossible. Nous avons donc décidé de déménager.

EC


23/08/2010 | 

L’équipe

6a00e54eff70fa88340133f30b7bc2970b Contrairement à de nombreuses activités de plein air qui peuvent se pratiquer seul, l’archéologie exige de se retrouver à plusieurs. Selon certains collègues, ce serait même la quantité de sédiment que vous arrivez à déplacer qui ferait le plus ou moins grand succès d’une campagne de fouille. Si cela est certainement vrai pour certains monuments ou villes noyés dans les sables ou les forêts vierges, cela l’est moins dans notre cas où l’enjeu se joue autour des corps gelés. Il faut cependant arriver jusqu’au coffre qui le contient et il est vrai que plus de tombes sont fouillées plus la chance d’enregistrer un maximum d’informations pertinentes augmente…Comme au rugby où chacun sait toucher le ballon mais où chacun à sa place et sa spécificité, nous sommes quinze sur le terrain. Si tous connaissent l’archéologie, certains se consacrent uniquement à cette discipline avec des intérêts et des connaissances différents, l’un est spécialisé dans la prospection (recherche des tombes), un autre dans la reconnaissance des fourrures, tel autre dans les relevés. Pour continuer dans mes comparaisons rugbystiques je dirai que ces chercheurs sont notre paquet d’avant. Leur tache est ingrate, c’est la lutte quotidienne contre la montre, le dégagement des structures et des corps, leur enregistrement, le prélèvement, mais c’est eux qui font la partie. Sylvie et Edouard sont leurs meneurs de jeu, Edouard pour la fouille du coffre, des superstructures, Sylvie est décisive sur les fouilles de squelettes. Ces avants bien organisés en mêlée au dessus des tombes sont coordonnée par Patrice, demi de mêlée, qui pense à tout, et sort ce qu’ils ont de mieux  avant de passer la balle à Eric dans le rôle du demi d’ouverture, qui distribue le jeu et botte rarement en touche. Nos trois quarts et nos ailiers sont photographe, dessinateur, toujours à l’affut du coup à faire, de l’observation à prendre, de la perle sur le manteau qui expliquerait sa fermeture. Notre buteur est médecin légiste. Très spécialisée, les corps gelés sont sa spécialité, elle peut, comme tout buteur, si les conditions sont réunies faire gagner la partie en marquant au dernier moment grâce à une dissection fine qui fournit des données inespérées, causes de décès, maladies, etc. Nos bases arrières sont assurées par notre cuisinière, régionale de l’équipe, toujours attentive, qui nous attend des heures en tenant le repas au chaud mais dont les enfants vont l’entrainer à quitter la partie plus tôt que prévu pour cause de rentrée scolaire ainsi que par notre guide destiné à nous protéger des ours, guère présent tout comme eux –heureusement-. Nos entraineurs sont au nombre de trois, Marie à Toulouse, Olga et Anatoly Alexeev à Iakoutsk.



Dariya Nikolaeva, iakoute, Doctorante en Histoire, Université de  Versailles Saint Quentin en Yvelines

Olga Menitchouk, Département de langue, Université de Iakutsk

Marie Marty, UMR Traces, Toulouse

Sylvie Duchesne, INRAP

Lena Petrova, Targana

Annie Géraut, Institut de Médecine Légale de Strasbourg

Christiane Petit, MAFSO

Anatoly Alexeev, Président université de Iakutsk

Nikolaï Kirianov,  Musée archéologique et ethnographique de l’université de Iakutsk

Erwan Berthelot, INRAP

Vassili Popov : Département d’ethnologie et archéologie au Musée national Yaroslavsky, Iakutsk

Patrice Gérard, CNRS, AMIS, Toulouse

Yvan Obutof, Musée archéologique et ethnographique de l’université de Iakutsk

Edouardd Jirkov, Département d’ethnologie et archéologie du Musée régional de Maya

Jean François Peirré, Ministère de la Culture, Toulouse

Erel Stroucthkov : guide, Verkhoïansk

Bernard Marty, Ministère de la Culture, Toulouse

Eric Crubézy, Université Toulouse III (Paul Sabatier) Toulouse, AMIS

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22/08/2010 | 

Ça fait rêver…

La tombe dont nous vous entretenions hier pourrait être assimilée par un archéologue ne connaissant pas le contexte iakoute à celle de l’inhumation de deux sujets décédés en même temps, lors d’une épidémie par exemple. Cela banaliserait le fait. Contentons pour l’instant des données de fouille. En dehors de ce dont je vous ai parlé ces deux derniers jours, l’examen et l’autopsie du corps révélèrent que la jeune fille était ligotée avec une ceinture d’apparat passée après le décès autour de son manteau et dans laquelle était pris le poignet gauche. Sa main droite, manifestement sectionnée, avait été posée sur sa poitrine dans une pochette dont ce n’était pas l’usage premier. Plus étonnant encore, c’est la main gauche du jeune garçon qui avait été sectionnée et déposée sur son cou. Manifestement réunis au début de la cérémonie dans un même coffre, ils avaient été désunis au cours de celle-ci par l’ajout de la planche centrale. Nous ne savons pas aujourd’hui quand leurs mains furent tranchées : avant l’arrivée à la tombe ou sur place. Dans ce cas, cela aurait pu contribuer à les désunir davantage puisque c’était la main droite de la fille, celle du côté du garçon et la gauche de ce dernier que nous avons retrouvé coupées…

Cette tombe est pour l’instant unique, elle s’insert manifestement dans un contexte chamanique que nous avons déjà apprécié mais qui reste à définir. Nous ne développerons pas une discours sur les chamans les plus redoutées à cette période qui étaient les jeunes filles non mariées et toujours vierges dont les plus terribles  avaient justement la fameuse ceinture de la fiancée. Nous avons déjà eu l’occasion de le tenir dans différents ouvrages et film.

Nos études devront s’efforceront de préciser pour comprendre ou du moins proposer une lecture. Étaient-ils frère et sœur, sont-ils décédés d’une maladie dont des traces de germes pourraient être retrouvés? Pour l’instant il se fait tard. ça fait rêver, allons nous coucher,

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EC, PG


21/08/2010 | 

L’hymen magique

Je ne reviendrai pas ici sur un déploiement technique, scientifique et intellectuel à faire fondre le permafrost sur lequel nous étions (ce qui donne de la boue en soirée) que la fouille dont je vous parlais hier engendra. Je me contenterai de vous dire que tout notre attirail fut mis à partie, que la dissection d’une partie du corps la mieux conservée de la jeune fille dura plus de quatre heures et se termina par cette phrase destinée à rester dans les annales « mais c’est l’hymen magique » lorsque cette révélation anatomique fut confrontée à la ceinture couverte de bijoux de la jeune fille. Allons directement à l’essentiel ou du moins aux conclusions provisoires. Aux débuts du 18e siècle, l’âge d’or de la Iakoutie lié au commerce des fourrures, deux jeunes gens du même âge furent inhumés simultanément dans un grand coffre. La jeune fille, très richement parée avait été revêtue de ses vêtements et de ses bijoux d’apparat dont un slip perlé (gelé) de toute beauté renvoyant directement à la Iakoutie centrale, un manteau couvert de pendeloques et un splendide torque. Elle portait une ceinture dite « de la fiancée » avec six pendeloques (chiffre pair renvoyant chez les iakoutes au monde des morts) composées de perles et d’éléments en cuivre argenté ajouré. A sa droite un jeune garçon du même âge avait été déposé, pauvrement vêtu d’un manteau fermé par trois perles de mauvaise qualité. Lorsqu’ils furent en place, une planche fut insérée entre les deux. Elle pinça le manteau de la jeune fille, sa chapka posée à côté de son crâne, ce qui nous permit de vous livrer cette chronologie. Ensuite une coupe en bois et un couteau furent déposés à ses pieds et un tchoron (pot en bois notamment destiné à faire des offrandes au soleil le jour du solstice d’été) aux pieds du garçon. Le coffre fut refermé. Entretemps bien des événements s’étaient passés. Avec Patrice venu me rejoindre, nous vous les conterons demain, le poêle de la cabane s’étant éteint et le froid devenant piquant.



EC, PG


20/08/2010 | 

La fin d’une controverse

Je vous écris de Sibérie d’une cabane aux planches non jointives. Elles laissent passer l’air. Le poêle ronfle, je suis au coin du feu. Il fait bon. La fouille de ces trois derniers jours fut si prenante que l’équipe passionnée resta de 8h à 20h sur le terrain. Si vous ajoutez la marche de retour de plus d’une heure, un bain dans la Yana par ceux qui pensent fonder le swimming club de  Targana, puis un repas à la ferme à base de crème fraiche maison et de poulain bouilli arrosé d’une bière bien gagnée, votre rédacteur ne peut se mettre à écrire avant un moment où la température s’approche de zéro. Elle nécessite le transfert vers la cabane, la rédaction depuis un sac de couchage étant un sport guère prisé par ceux qui portent des lunettes. Tel le capitaine Haddock dans un album que je vous laisse découvrir, le dilemme est en effet « le micro ; dans ou en dehors du sac de couchage ? ». Si la première position vous laisse les mains au chaud mais demande à l’écran de s’éloigner pour les presbytes –difficile dans un sac sarcophage-, la seconde vous donne très rapidement froid aux mains.

Nous avons dès le second jour trouvé ce que nous étions venu chercher. George chance. Chance phénoménale mais il en faut en archéologie (et dans la vie aussi). Comme bien souvent, cette chance avait été préparée par la reconnaissance de l’an dernier. Reconnaissance qui avait trouvé la tombe qui nous avait valu la marche du premier jour. Reconnaissance qui lors du sondage jusqu’au coffre, avait mis au jour une perle bleue du 17 siècle énigmatique. Comment avait-elle pu arriver au dessus d’un coffre qui paraissait intact?

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Après les décapages préliminaires et autres enregistrements que je vous épargnerai, nous arrivâmes sur un grand coffre dont les planches mal équarries nous firent déprimer. Elles annonçaient selon nos critères (mis au point à 800 km d’ici) une tombe chrétienne. Nous ne nous étions pas encore remis du semi échec de la veille et notre imagination nous renvoyait à des cauchemars peuplés de tombes récentes. L’ouverture fut tout aussi déprimante car à la place des corps gelés attendus nous trouvâmes de la terre (les archéologues disent du sédiment) manifestement infiltré entre les planches, guère plus jointives que celles de la cabane dont je vous écris. Afin d’accélérer la fouille avec un aspirateur et d’en finir rapidement, nous fîmes venir  un groupe électrogène loué à un fermier du hameau. A l’exception des dames qui furent ravies de partager avec lui  la barque qui amena l’engin sur les trois quarts du trajet, avant d’être porté par les malabars de l’équipe, cette location créa plus d’énervement à Bernard  (qui s’en était chargé) que d’améliorations techniques. Pour des raisons inexpliquées, l’allumage était mort à l’arrivée…Nous fouillâmes donc à l’ancienne avec truelles, pinceaux et outils de dentiste jusqu’à ce que nous miment au jour une fille et un garçon, d’environ 15 à 16 ans chacun,  en partie gelés, déposés vers le début du 18e siècle comme les objets et les parures que nous découvrîmes de plus en plus nombreux à mesure que le dégagement se poursuivait nous l’indiquèrent. La poursuite de la fouille fut bien plus passionnante que ces premières observations qui attestent cependant que les iakoutes étaient déjà là dès les débuts du 18esiècle, ce qui met fin à une controverse vieille de plus d’un siècle.

EC






19/08/2010 | 

Rentrée des classes (suite)

Pour un début, nous avons choisi une tombe repérée l’an dernier. Choix dicté par sa proximité du hameau et quelques critères que je vous épargnerai car ils ne sont pas systématiquement fiables. L’avenir devait nous donner raison sur ce dernier point.  La proximité du hameau, choix qui n’a rien à voir avec ces fameux critères, fut déterminante l’idée de partir dans une température que nous appellerions frisquette pour une marche de plusieurs kilomètres le jour de notre rentrée des classes ayant été rejeté à l’unanimité. Après une procédure que je vous imposerai peut être un jour dans un digest d’archéologie sibérienne, nous mimes au jour une tombe d’enfant non gelé, inhumé selon une tradition ancienne mais avec une croix chrétienne autour du cou renvoyant aux débuts du 19e siècle. Type de tombe que nous ne cherchons pas mais que nous retrouvons dans environ un tiers des cas, leur faible profondeur et leur isolement étant en tous points semblables aux tombes antérieures du 17 e siècle que nous appelons de nos vœux. IMG_0283 Cette confusion est liée au fait que l’inhumation des enfants fut l’un des premiers signes de christianisation de la Iakoutie ; auparavant ils étaient déposés dans des arbres ; par la suite ils le furent dans des cimetières. L’opération était bouclée vers trois heures de l’après midi et l’ensemble de l’équipe décida, non point de rentrer à la maison, c'est-à-dire au hameau où la Yana à 15°C l’attendait pour une joyeuse partie de natation rapide (très très rapide), mais de foncer vers le second site repéré. Pour moi qui vous décris 24 h après ce qui fut l’une des premières erreurs tactiques de notre mission je n’y vois qu’une explication : le jour de la rentrée des classes, le bon élève ne peut pas accepter les cinq  fautes d’orthographe de la dictée (je vous parle d’une époque ou on en faisait encore) proposée par l’enseignant un peu sadique pour vérifier son niveau. Ne sachant pas qu’il est encore en vacances et n’évaluant pas le niveau de la nouvelle section, il proteste et se voit imposé un problème de maths qui tourne lui aussi à la débandade. La rentrée est un peu loupée et même si les copains sont sympathiques, c’est différent de l’an dernier et  il va falloir changer de technique et travailler peut être un peu plus. Compte tenu de la gestion de notre attirail, la distance de 3,6 km qu’indiquait le GPS entre les deux sites devait être parcourue en une heure. C’était sans compter sur les bras morts de la Yana à traverser sur des arbres abattus ou sur des bacs autochtones prévus pour les faucheurs, les méandres qui multiplient par quatre les distances, les mouillères de fond  de prairie qui remplissent les bottes, l’absence de chemin qui oblige à passer à travers les forets de mélèzes encombrées d’arbres abattus (ils ne pourrissent pas) et bombées par le permafrost avec des fentes de gels dissimulées sous d’énormes épaisseurs de lichens. Comme disent les Aveyronnais quand ils sont pris dans des taillis de buis et de ronces, nous avons bartassé pendant cinq heures. Assez de cette litanie de difficultés, ces efforts ne furent pas vains. Le site fut finalement atteint et la tombe repérée l’an dernier,  alors que les bras morts et les mouillères étaient à secs, fut retrouvée et le matériel déposé. Le retour permit de baliser un chemin dont les paysages sont dignes des meilleurs GDR européens. Fourbus et ampoulés pour certains nos sacs de couchage arctiques fournis par l’IPEV firent l’unanimité au petit déjeuner du jour suivant. Avec 28°C hier après midi nous ne nous attendions pas à trouver tant de gelée et un tel froid durant la nuit. Nous sommes passés dans la section supérieure par rapport à la Iakoutie centrale. Nous le savions, mais nous l’avons réalisé. La classe peut commencer.

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EC