On n’insistera
jamais assez sur le rôle des écoliers et des chasseurs dans l’archéologie
nord-sibérienne. Avec trois millions de kilomètres carrés, plus d’un million
(estimé) de lacs de toutes tailles la Iakoutie est difficile à explorer. La région de Verkhoïansk avec ses forêts où un commando
bien entrainé arriverait certainement à marcher cinq kilomètres par heure et où
un archéologue français motivé et en forme (il en reste trois, fondateurs par
ailleurs du swimming club de la Yana) arrive difficilement à
en faire la moitié, est difficile à pénétrer. Même Vassili qui peut arriver à
marcher 25 km
par jour a besoin d’un point d’appel pour commencer ses prospections et la
recherche des sites archéologiques. Si les photos satellitaires permettent de
définir des zones de quelques dizaines de kilomètres carrés et a priori
favorables à d’anciennes implantations humaines d’éleveurs de chevaux et de
vaches, si les cartes russes nous renseignent sur la topographie et les zones
où les hommes se sont implantés au moins au cours de ces cinquante dernières
années, se sont les chasseurs qui nous précisent dans un premier temps la
présence de cimetières chrétiens perdus au milieu des champs et des forêts. Ils
marquent la présence d’anciens habitats d’éleveurs, souvent regroupés
ultérieurement à l’époque soviétique dans des villages plus grands. Mieux que
les chasseurs, mais plus rares, il y a les instituteurs et étudiants formés à Iakutsk
et qui lors de leurs études se sont intéressés à l’histoire. Ils ont pu être
envoyés par leurs professeurs effectuer des prospections, voire des sondages
dans les territoires de leurs villages d’origine.
Dans le cas de
l’Adytcha où nous nous sommes rendus après Boronuk, les chasseurs ont dans un
premier temps guidé nos pas. La zone de l’Adytcha avait été repérée par des photos
satellites montrant de nombreux lacs, donc des zones de pâture, favorables à
l’élevage et par les écrits d’un ethnologue du 19e siècle qui
précisait qu’il y avait des Iakoutes dans cette région. Peu éloignée de Verkhoïansk
(150 km),
cette zone métrait d’être explorée. Après un trajet en véhicule tout terrain
russe par « une bonne route » (expression locale qui, devions nous le
découvrir, signifie simplement que l’on peut passer), les chasseurs locaux nous
apprirent que toutes les zones de la rive gauche que nous avions repérées sur
les cartes avaient été noyées il y a trois ans par une inondation de 14 m de haut. Les cimetières
chrétiens qu’ils connaissaient dans cette zone avaient totalement disparus. Tout
espoir de trouver un quelconque site archéologique dans la plaine alluviale
devenait donc vain. Déception. Il restait donc à explorer la rive droite.
EC, PG
L’expansion iakoute
Dans notre petite troupe, pour la marche,
trois tendances héritées par quelque atavisme des grandes traditions de
l’infanterie sont rencontrées : les bottes et chaussettes russes chez certains
de nos collègues Iakoutes, bottes et chaussettes chez quelques uns d’entres
nous, chaussures de marche et pantalons en nylon camouflables (version chasseur
russe qui sèchent vite) chez les autres. Les bottes permettent de traverser les
mouillères à pieds secs, plus difficile avec les chaussures mais les risques
d’entorse et la fatigue de fin de journée sont moindres. Lorsque la mouillère
dépasse les genoux et arrive jusqu’au slip, des débats d’orientation agitent la
troupe. Jusque où faudra t-il continuer pour la contourner ? Si la
distance est trop longue, deux solutions sont adoptées « on y va »,
chez ceux qui ont des chaussures et « on se déshabille et on se rhabille
de l’autre côté » chez les porteurs de bottes. Ces choix nous ont occupés pendant trois
jours et l’exploration de la rive droite de l’Adytcha sur 20 km de long en amont du
village du même nom. Le camp fut implanté à 18 km du village après un
trajet en barque dont ceux qui furent sur celle des trois qui tomba en panne se
souviendront. L’automne touche à sa fin, le temps s’est radoucit, nous n’avons
plus de glace sur nos tentes le matin, mais il pleut. Nous explorons des zones
occupées l’été pour les fenaisons et pour la chasse au canard et au lièvre en ce
moment. Divisés en deux groupes, l’un explorant le nord, l’autre le sud,
l’équipe recensa les sites de terrasse et de bas de terrasse susceptibles
d’avoir accueillit des tombes « à la mode iakoute ». Dans un terrain
détrempé par les pluies d’automne qui nous permirent de voir les mélèzes
devenir jaunes en quelques jours, plusieurs sites du 19e siècle
furent identifiés. Une tombe isolée repérée grâce à un sondage sur une avant
terrasse et fouillée par l’équipe qui s’y rendit en totalité livra une tombe chrétienne…Afin
de savoir si les Iakoutes s’étaient implantés dans cette région avant le 19e
siècle, une dernière tentative fut effectuée. Il s’agissait d’atteindre une
terrasse isolée, très visible dans le paysage qui devait avoir accueillit des
tombes de l’élite à toutes les époques. La marche d’approche de plus de cinq
heures fut entrecoupée de mouillères, de lacs et de bras mort en eau de
l’Adytcha. Légèrement avant le sommet, une tombe chrétienne, imposante et
toujours entourée de crânes de chevaux, preuve de l’attachement des locaux à
son égard, domine le paysage. De tombes antérieures, pas la moindre trace. Ces
constatations, devraient nous permettre d’affiner nos connaissances sur l’expansion
iakoute qui ne pourrait avoir occupé les zones au nord et à l’est de Verkhoïansk
qu’au 19e siècle.
EC, PG
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