Trois à un
Les fouilles de Boronuk amenèrent votre chroniqueur/blogueur
à envisager sa reconversion dans l’archéologie industrielle du kolkhoze milieu
20e siècle, elles poussèrent l’équipe -habituellement d’un sérieux exemplaire-
à la boisson nocturne, elles firent entendre à certains d’entre nous les
tambours de chaman, et elles virent notre défaite trois à un face au chaman
local. Laissez-moi-vous expliquer cela.
La première structure repérée s’avéra être un
arangas effondré au sol. Comme je vous l’ai raconté il y a quelques jours, les
anciens Iakoutes n’inhumaient qu’exceptionnellement leurs morts. Ils les
déposaient sur des plates-formes (les arangas), aux constructions variées, à
des hauteurs pouvant atteindre deux ou trois mètres. Les inhumations étaient
réservées à ceux dont on se méfiait, quant aux arangas, il pouvait arriver que
lors de leur chute les corps ou les restes soient récupérés pour être inhumés.
La découverte d’arangas est rarissime, les incendies de forets les ayant
presque tous faits disparaitre. Celui que nous dégageâmes, en bordure de bois,
est dans un état de conservation rare, La fouille des sédiments accumulés sous
lui ne livra que les restes d’un pot en bouleau. Manifestement le corps avait
été récupéré il y a plus de deux siècles. Un peu déçu par l’absence de momie
mais heureux d’avoir reconstitué cette pièce de musée, nous nous dirigeâmes
vers un endroit magique, au point de vue exceptionnel. Il domine
Un endroit où notre imagination place, dans une mise en scène
toute hollywoodienne, quelques prêtres ou chamans blancs ou noirs pour des
rites sacrés. La fosse repérée par Vassili, creusée dans le schiste, risque
d’être très difficile à dégager car nous n’avons pas de pioche…Après
discussion, j’assume, après tout il nous faut tenter des structures a priori
inconnues. Le dégagement dura huit heures et fut harassant sous un merveilleux
soleil d’automne. L’on vit même dans l’enthousiasme général le médecin légiste manier
(peu de temps) la pelle. Le soir venu, une fosse d’1,8 m de long,
L’adaptation fut facile, profil
bas et retour vers la dernière tombe repérée. Après trois heures de décapage,
elle se présentait comme une tombe chrétienne selon les plus pessimistes
d’entre nous. Exténues par cette trop longue journée nous rentrâmes au camp. Vodka
générale et chants lancèrent la soirée.
Il fallait en convenir, si la première structure était intéressante
malgré l’absence de corps, la seconde garderait à jamais son mystère, quant à
la troisième elle nous rendait ridicules…C’est alors que vint l’explication de
la part d’un collègue respectable, formé pourtant à la dure lors de l’époque
soviétique. Il n’avait pas bu. « Depuis hier, dans les bois, j’entends les
tambours et ils nous désorientent », « il y a à Boronuk une chamane
puissante, elle nous suit et elle fait envoler les corps la nuit avant la
fouille », « si la tombe que nous fouillons est chrétienne, il y aura
une momie, sinon, elle la fera disparaitre cette nuit ». La chamane menait
trois à zéro face à notre équipe supposée scientifique. Le matin fut rude. Les
prévisions étaient mauvaises, la vodka achetée à Verkhoïansk ne devait pas être
une grande marque et nous n’arrivions pas à contacter un batelier pour nous
extraire de cet endroit idyllique aux couleurs de l’été indien. L’après midi
fut glorieux, l’honneur était sauf, la science, le flair de Vassili, notre ténacité l’avaient enfin emporté sur
l’obscurantisme ! Il y avait une fosse funéraire, elle contenait un coffre
aux dimensions imposantes dans lequel un tronc évidé, soigneusement fermé,
livra un grand adolescent. Inhumé avant la période chrétienne comme le
démontrèrent l’absence de croix et les dépôts funéraires. Ses vêtements purent
être identifiés et reconstitués ; son autopsie livra la cause de décès.
Il n’y a plus rien à boire, pas grand-chose à
manger, Biquet (surnom de l’un d’entre nous, pour des raisons obscures oubliées
depuis trente ans et notre première rencontre) maigrit, Erwan (l’une des forces
de l’équipe et un archéologue remarquable) a faim et j’espère perdre quelques kilos
malgré que je puisse manger des gaufrettes pendant des jours en attendant mieux.
Qualité ou défaut suivant des avis éclairés. Nous avons (enfin) trouvé un
batelier de
EC
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