Les petits à côté
Lorsqu’Eric, notre bienaimé chef de mission,
m’ordonna cette chronique, je restais quelque peu perplexe. Non pas que le
féminin me soit étranger, bien au contraire, mais il me semble que dans ces
contrées sauvages où se situe notre campement (au sein d’un microvillage d’été Iakoute),
le concept de féminité soit quelque peu ébranlé pour ne pas dire cisaillé. Je manie la lingette avec une ardeur certaine,
renouvelée consciencieusement chaque matin avec une connaissance en constant
progrès. Un petit conseil pour celles qui auraient l’immense bonheur de
quelques vacances ou expéditions haut de gamme en camping grand luxe nouvelle
tendance (vous savez sans eau ni électricité) au fin fond de la Iakoutie à 50 km au Nord du Cercle
Polaire, un petit conseil pratique disais-je : ne surtout pas utiliser les
lingettes « au lait » qui au fil des jours vous laissent une espèce
de 2e couche type enduit qui colle à la peau, mais préférer les
lingettes «à l’eau nettoyante » à compléter par un indispensable
brumisateur d’eau pour la fraîcheur.
L’opération lingette n’a eu cependant qu’un succès
mitigé et elle a donc été associée à l’opération Bagna. La remise en état du
Bagna a d’ailleurs généré une certaine effervescence au sein du micro-village,
les femmes me regardant manier le balai et la pelle avec une certaine
hilarité, non dénuée me semble-t-il
d’une certaine compassion et faisant preuve d’une réelle efficacité en
mobilisant les quelques hommes présents pour replanter le tuyau d’évacuation
des fumées du fourneau (d’une étanchéité plus que relative), en nous
fournissant 2 baquets (un pour l’eau chaude, un pour l’eau froide) ainsi qu’un
mitigeur d’eau –marque iakoute déposée- constitué d’un seau et d’une écuelle.
Le sol en bois « échardé » fût élégamment habillé d’un tapis de bain
composé d’une couverture de survie pliée.
C’est donc avec un immense plaisir que je me
dirigeais vers ce Bagna qui me faisait rêver (allez savoir pourquoi) à une
bonne veille thalasso avec des boues odorantes aux effluves d’essences
essentielles bien différentes de la boue du fond des tombes qui colle et
alourdit les godasses. C’est donc avec un immense plaisir, disais-je, que je me
dirigeais vers ce Bagna, lieu supposé de détente et de barbotage. Quand soudain,
à l’ouverture de la porte, me voici plongée dans le « fournil de
Patrick », avec une chaleur incandescente, mes petits pots de crème (un
pour le corps, un pour le visage, un parfumé, un pour le soleil etc… qui
alourdissent inconsidérément mon excédent bagage) fondant comme neige au soleil
et moi me transformant en quelques secondes en un homar bien cuit. Je fis donc,
en cet instant, l’acquisition d’un nouveau protocole intégrant en quasiment une
seule étape le déshabillage, savonnage, rinçage, séchage et rhabillage : 4
minutes chrono. L’air vivifiant à la sortie du Bagna ramenant ma température
corporelle à un niveau acceptable.
C’est d’ailleurs une constante ici, l’alternance
chaud-froid et cela passe du très très chaud l’après-midi au bord des tombes
(qui bien évidemment se situent toujours à distance de l’ombre bienfaitrice des
arbres alentours) au très très froid qui transforme en statues de glace (très
artistiques au demeurant) vos vêtements lavés et minutieusement étendus la
veille.
Ce qui m’amène toujours à la question du choix
cornélien du petit matin « Mais que vais-je mettre aujourd’hui ?,
pour finalement m’emmitoufler et affronter le froid matinal tout en emportant
une petite tenue d’été pour l’après-midi.
Et c’est avec une certaine allégresse que je suis
le groupe pour une petite ballade en forêt, pour les trajets plus longs, notre
chef bien aime Eric a prévu pour nous la gent féminine, des mini-croisières en
barque (pour nous certes, mais également plus prosaïquement pour le groupe
électrogène : 30 kg
au bas mot qui, par ailleurs, a obstinément refusé de démarrer !). Et
cette petite ballade dans les bois me fait prendre conscience de mon état de
citadine peu entraînée aux conditions environnementales du Nord Sibérien.
Et notre féminité apprécie grandement les marques
d’élégance de nos collègues masculins y compris les Iakoutes (qui, sous des
airs un peu rudes, font preuve d’une réelle délicatesse), ces collègues
masculins donc qui ne nous laissent jamais porter un sac trop lourd, nous tendent
une main secourable lorsque nous sommes en déséquilibre entre deux bulles de
permafrost, nous aident à monter nos tentes etc., etc. .
Et nous voici arrivés sur la 1ère tombe
et la terre pelletée par nos efficaces collègues masculins se transforme
partiellement mais abondamment en poussière qui se mêle à votre fond de teint
artistement appliqué le matin même pour donner une couleur , non pas
« Terre de Sienne » des autres Chanel, Guerlain et consort mais une
couleur improbable, comment dire, « Terre de Sibérie » que je me
propose, en excellente ou médiocre (à vous de voir) femme d’affaire, de
labelliser.
Ainsi donc, notre chef bien aimé (toujours le même
Eric) n’avait pas si tort, le féminin même s’il est fragmenté dans ses contrées
hostiles reste toujours bien accroché.
AG