Au cours de mon
histoire d’amour avec la Iakoutie
et ses tombes gelées, avec une nette prédilection pour celles de la période
médiévale, j’ai tout naturellement appris deux ou trois choses sur la façon de
mener un terrain dans ces milieux particuliers pour les archéologues des pays tempérés. Si pour
la découverte de ces tombes et leur dégagement lorsqu’elles sont gelées mes
collègues iakoutes sont toujours pour moi une source de connaissances
quotidienne ; pour les corps gelés ou dégelés nous avons mis au point, au
cours de ces années franco-russes passées au coude à coude, de nouvelles
techniques. J’ai découvert dernièrement que Nossov, archéologue iakoute du
Musée national Yaroslavsky, nous avait précédé intellectuellement il y a déjà
plus de soixante-dix ans, sur le terrain de la Iakoutie centrale qu’il
parcourut à cheval à la tête d’une expédition pluridisciplinaire durant les
étés 1935 et 1937. Les années de folies et de désespoir qui suivirent (la
plupart des hommes en âge de porter les armes étant décédés sur le front à
Stalingrad) semblent avoir mis un terme à cette école de fouille naissante.
Elle fut remplacée par une secte issue de l’étranger qui devint vite, grâce à
différents foyers de propagation, une religion internationale : celle des
enregistreurs déchainés. Si je respecte cette religion elle connut
malheureusement des fondamentalistes pour qui l’archéologie se résumait à
l’enregistrement, assimilé à de la compréhension. Il fallait lutter contre
l’amateurisme et les interprétations farfelues basées sur une interprétation
directe – y compris immatérielle- des vestiges mis au jour. Les « chers
collègues » voulaient s’assurer que sur le terrain leur confrère enregistrait
bien les éléments qu’ils dégageaient. Pour y arriver une contrainte fut
instituée. Suivant les pays elle prit la forme de règlements drastiques ou de
commissions exigeantes. Ils firent parfois oublier aux fondamentalistes le but
ultime : restituer les vestiges mis au jour dans leur contexte d’origine.
Si en plus cette restitution peut s’accompagner d’une reconstitution dynamique
(comment une maison a été bâtie, dans quel ordre les objets et le corps ont été
déposés dans une tombe) et de la prise judicieuse d’échantillons pour d’autres
études, alors le but fixé à l’archéologie sur le terrain est atteint.
EC
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