Les fouilles de Boronuk amenèrent votre chroniqueur/blogueur
à envisager sa reconversion dans l’archéologie industrielle du kolkhoze milieu
20e siècle, elles poussèrent l’équipe -habituellement d’un sérieux exemplaire-
à la boisson nocturne, elles firent entendre à certains d’entre nous les
tambours de chaman, et elles virent notre défaite trois à un face au chaman
local. Laissez-moi-vous expliquer cela.
La première structure repérée s’avéra être un
arangas effondré au sol. Comme je vous l’ai raconté il y a quelques jours, les
anciens Iakoutes n’inhumaient qu’exceptionnellement leurs morts. Ils les
déposaient sur des plates-formes (les arangas), aux constructions variées, à
des hauteurs pouvant atteindre deux ou trois mètres. Les inhumations étaient
réservées à ceux dont on se méfiait, quant aux arangas, il pouvait arriver que
lors de leur chute les corps ou les restes soient récupérés pour être inhumés.
La découverte d’arangas est rarissime, les incendies de forets les ayant
presque tous faits disparaitre. Celui que nous dégageâmes, en bordure de bois,
est dans un état de conservation rare, La fouille des sédiments accumulés sous
lui ne livra que les restes d’un pot en bouleau. Manifestement le corps avait
été récupéré il y a plus de deux siècles. Un peu déçu par l’absence de momie
mais heureux d’avoir reconstitué cette pièce de musée, nous nous dirigeâmes
vers un endroit magique, au point de vue exceptionnel. Il domine la Yana, il est en contrebas
d’un petit sommet et le regard embrase d’un coup toute la plaine alluviale avec
au fond la « montagne mère -1723m- chère aux anciens et aux actuels habitants
de la région.
Un endroit où notre imagination place, dans une mise en scène
toute hollywoodienne, quelques prêtres ou chamans blancs ou noirs pour des
rites sacrés. La fosse repérée par Vassili, creusée dans le schiste, risque
d’être très difficile à dégager car nous n’avons pas de pioche…Après
discussion, j’assume, après tout il nous faut tenter des structures a priori
inconnues. Le dégagement dura huit heures et fut harassant sous un merveilleux
soleil d’automne. L’on vit même dans l’enthousiasme général le médecin légiste manier
(peu de temps) la pelle. Le soir venu, une fosse d’1,8 m de long, 60 cm de large, sous 70 cm de schiste anguleux, recouverte
de rondins mal conservés laissait supposer une tombe antérieure au 16e
siècle, voire plus ancienne. La soirée fut heureuse, le swimming club repris
son activité, notre déjà dernière bière fut ouverte, notre vie de trappeurs
connut ses meilleurs moments et la nuit fut peuplée de rêves pour ceux qui
n’avaient pas trop creusé. Tôt le matin, une fois les rondins retirés, du
sédiment rougit par le feu apparu, le fond de la fosse était atteint et il n’y
avait rien, strictement rien à espérer de plus. Il nous fallut 5 mn pour
comprendre que la tombe (si c’en était une) avait été faite pour un personnage déposé ou
mort ailleurs ou pour un objet virtuel. Les mystères de l’archéologie. Il nous
fallut une heure pour nous en remettre surtout que le rebouchage fut rude et
mené sans enthousiasme. Il fut décidé dans la foulée, après tout il était
encore tôt, de gagner un endroit situé face au village à une heure de marche où
une splendide tombe attendait croyions nous, les archéologues. Dès l’arrivée,
malgré une promenade, certes nous étions chargé, dans un sous bois rouge, jaune
blanc (lichens), vert, des discussions vives animèrent l’équipe.
Les arguments
étaient divers, fosse visible au sol,
beaucoup trop grande pour une tombe, proximité de bâtiments d’un kolkhoze
abandonné, étaient les plus recevables. Les miens, finalement acceptés,
reposaient sur le flair de Vassili, sur un morceau d’écorce de bouleau d’un
petit sondage préliminaire et en dernier ressort sur nos capacités « on
décape, on observe, on s’adapte ». Huit m3 après, il fallut en convenir,
cette fosse devait être en relation avec le kolkhoze.
L’adaptation fut facile, profil
bas et retour vers la dernière tombe repérée. Après trois heures de décapage,
elle se présentait comme une tombe chrétienne selon les plus pessimistes
d’entre nous. Exténues par cette trop longue journée nous rentrâmes au camp. Vodka
générale et chants lancèrent la soirée.
Il fallait en convenir, si la première structure était intéressante
malgré l’absence de corps, la seconde garderait à jamais son mystère, quant à
la troisième elle nous rendait ridicules…C’est alors que vint l’explication de
la part d’un collègue respectable, formé pourtant à la dure lors de l’époque
soviétique. Il n’avait pas bu. « Depuis hier, dans les bois, j’entends les
tambours et ils nous désorientent », « il y a à Boronuk une chamane
puissante, elle nous suit et elle fait envoler les corps la nuit avant la
fouille », « si la tombe que nous fouillons est chrétienne, il y aura
une momie, sinon, elle la fera disparaitre cette nuit ». La chamane menait
trois à zéro face à notre équipe supposée scientifique. Le matin fut rude. Les
prévisions étaient mauvaises, la vodka achetée à Verkhoïansk ne devait pas être
une grande marque et nous n’arrivions pas à contacter un batelier pour nous
extraire de cet endroit idyllique aux couleurs de l’été indien. L’après midi
fut glorieux, l’honneur était sauf, la science, le flair de Vassili, notre ténacité l’avaient enfin emporté sur
l’obscurantisme ! Il y avait une fosse funéraire, elle contenait un coffre
aux dimensions imposantes dans lequel un tronc évidé, soigneusement fermé,
livra un grand adolescent. Inhumé avant la période chrétienne comme le
démontrèrent l’absence de croix et les dépôts funéraires. Ses vêtements purent
être identifiés et reconstitués ; son autopsie livra la cause de décès.
Il n’y a plus rien à boire, pas grand-chose à
manger, Biquet (surnom de l’un d’entre nous, pour des raisons obscures oubliées
depuis trente ans et notre première rencontre) maigrit, Erwan (l’une des forces
de l’équipe et un archéologue remarquable) a faim et j’espère perdre quelques kilos
malgré que je puisse manger des gaufrettes pendant des jours en attendant mieux.
Qualité ou défaut suivant des avis éclairés. Nous avons (enfin) trouvé un
batelier de la Yana. Demain
nous repartons.
EC