Le flair de Vassili
Rien ne peut
remplacer le flair de Vassili. Si nous n’avions pas cet homme avec nous, nous
pourrions avoir les meilleurs hélicoptères, les meilleurs malabars creuseurs de
tombes, les parfaits enregistreurs et photographes, les plus snobinards des
anthropologues de terrain, les plus délicieuses Skay Carpetta, nous
constaterions en fin de mission que nos carnets sont vides, que le musée de
Iakutsk a ses collections qui stagnent, que nos connaissances sur les chamans
et autres iakoutes sont inchangées et que les résultats sont maigres.
Je le surpasse dans bien des activités d’archéologue et bien souvent je n’écoute ni ses conseils de fouille ni ses interprétations. Mais pour trouver des tombes, base de notre activité, par rapport à lui je suis un petit amateur.
Sans tenter de vous présenter l’une de mes théories au sujet de ce flair, je vous dirai plus simplement que cet homme a le système de pensée d’un ancien Iakoute. Quand il arrive au bord d’une rivière ou d’un lac il se dirige automatiquement vers l’endroit où un autochtone d’il y a trois cent ans aurait inhumé son semblable. Après sept ans passés à ses côtés, je commence à développer ce flair, mais je ne suis encore qu’un élève balbutiant face au maitre. Au moment même ou je fonce sur la butte de permafrost sur laquelle je suis sûr que je vais trouver une tombe, Vassili me tourne le dos et enfonce son pic d’une geste précis vers celle sur laquelle je viens de passer sans la voir, me refusant même d’un sourire aux lèvres l’honneur de tester « ma butte ». Encore quarante ans efforts et j’y arriverai, à moins que son flair ne soit basé sur quelques gènes encore ignorés que je n’aurai pas.
EC
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