Vous êtes sur BLOGS > le blog des livres
 
02 janvier 2012 | 

Quand la Recherche était une République

Blog a blay
2012 commence sur une évocation de quelques fondements dont ceux de la politique de la recherche en France utilement rappelés par Michel Blay, président du Comité pour l’histoire du CNRS et co-directeur (avec Denis Guthleben) de la collection bien nommée « Le sens de la recherche » aux éditions Armand Colin.

Quand la Recherche était une République (158 p., 18 €), le petit ouvrage qu’il publie dans cette collection, réunit un certain nombre de documents éclairant la réorganisation et plus, la transformation des structures de la recherche publique au lendemain de la Libération (transformation notamment incarnée dans l’ordonnance du général de Gaulle du 2 novembre 1945). L’importance de Frédéric Joliot-Curie est soulignée dans l’introduction de l'auteur : « [Avec lui] la Recherche est devenue une République, une République dans la République car c’est par la République que l’indépendance de la recherche tant affirmée et souhaitée par Joliot [...] pourra trouver les moyens de se réaliser et de s’affirmer tant vis-à-vis des pressions du monde politique que de celles, souvent très intéressées et contraires à l’intérêt national, du monde industriel ». Cette vision idéale subira bien des affronts, mais il est intéressant de suivre comment, à cette époque, s’élaborent des valeurs et de grandes orientations intellectuelles ici résumées par Michel Blay : « la coordination et l’unification de la recherche ; "la force recherche scientifique" pour l’indépendance nationale ; l’indépendance républicaine de la recherche ; le renouveau des hommes et des pratiques ; la création d’un enseignement préparatoire à la recherche ». On aurait aimé suivre plus précisément le destin de ce grand dessein, occasion de nourrir davantage la réflexion à laquelle convie l’auteur (« Que chaque lecteur trouve maintenant dans les textes et documents joints une matière pour sa réflexion et peut-être, aussi, un espoir pour la recherche et la vie intellectuelle »). Mais c’est un utile début.

Le Blog des Livres de La Recherche en profite pour adresser ses voeux les meilleurs à ses fidèles lecteurs et à ceux qui, conquis par la cause des livres, ne manqueront de nous rejoindre en 2012.  

Vincent Duclert

24 décembre 2011 | 

Quinquennat nerveux et Joyeux Noël

Blog qui
Le dessinateur Martin Vidberg tient un blog sur Le Monde fr (http://vidberg.blog.lemonde.fr/ ) intitulé « L’actu en patates ». Ca vaut le détour. En plus de ses dessins drôles, attachants et souvent cruels, il poste de petits textes plein d’humour. Il publie en sus chez Delcourt Quinquennat nerveux, 206 pages d’instantanés d’actu avec le Président en majesté (16,50 €). Du reste, les premières « patates » du livre donnent le ton puisqu’en 2005, une famille venant visiter Papy (Martin Vidberg) découvre que le célèbre Jimmy Sarkozy avait eu un grand père qui fut président de la République. Parmi les meilleures patates, celles des vacances de Sarkozy avec Madame, tous les deux allongés sur des transats, au « Cap ». Carla lui rétorque : « Au Cap Nègre tu veux dire : Le Cap, c’est en Afrique du Sud ! ». Et lui de répondre : « Non, au Cap : j’ai déchu le nègre de sa nationalité française ». C’est efficace. La gauche n’est pas en reste, mais le Président est une inépuisable source d’inspiration pour Martin Vidberg. Ce dernier possède un don inégalé de transformer l’actualité en rigolade et dérision. « D’après toi, il se passera quoi si l’agence Moody’s enlève un A à la France ? » s’interroge un quidam. Et l’autre de lui répondre : « Bof… On habitera en Frnce et puis voilà ! »

Sur ces patates spirituelles, le Blog des Livres de La Recherche souhaite un joyeux Noël à ses lecteurs.

Vincent Duclert

 

La cause du savoir et des livres au PUF

Blog puf
Les PUF soutiennent le savoir et les livres à l’occasion de leur 90e anniversaire. Sur une idée originale de leur directeur Michel Prigent, le 15 avril 2011, un mois à peine avant sa disparition, les Presses universitaires de France ont demandé à 65 de leurs auteurs, philosophes, psychanalystes, sociologues, historiens, politologues, juristes de répondre à la simple et essentielle question : « A quoi sert le savoir ? ». C'est une « question brûlante pour la société d’aujourd’hui, question au cœur de notre métier et de la pratique de nos auteurs, universitaires chargés de transmettre les connaissances, chercheurs appelés à réfléchir et à anticiper dans tous les domaines », peut-on lire dans la présentation de l’ouvrage. L’une des questions dans la question porte sur l’idée même de servir : si le savoir doit servir, alors est-il encore le savoir ? Mais c’est une manière réductrice, utilitaire, de considérer la notion qui est également synonyme de : à quoi tend le savoir ?

L’ensemble de ces réponses est suivi de la chronologie des PUF établie par Valérie Tesnière, historienne de l’édition (Le Quadrige. Un siècle d’édition universitaire, 2001) et directrice de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine.

Pour tout achat d’un ouvrage des PUF, A quoi sert le savoir ? (256 p.) est offert. Un beau cadeau pour les lecteurs, - et les libraires qui en ont bien besoin en ces temps de bouleversement de leur si fragile et nécessaire métier avec la hausse de la TVA sur le livre.

Vincent Duclert

 

21 décembre 2011 | 

Un génocide exemplaire

Blog arménie
Demain vient en discussion la proposition de loi « portant transposition du droit communautaire sur la lutte contre le racisme et réprimant la contestation de l’existence du génocide arménien ». Elle aboutira, si elle est votée, à modifier les articles 24 bis et 48-2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Les députés * à l’initiative de cette proposition insistent dans l’exposé des motifs sur la nécessaire transposition du droit communautaire, rappellent que « déjà en France, plusieurs textes nationaux définissent et sanctionnent les génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité » et soulignent que « récemment, la loi n° 2001-70 du 29 janvier 2001 a instauré la reconnaissance officielle de la France du génocide arménien de 1915 et la loi n° 2001-434 du 21 mai 2001, la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité ».

Le gouvernement turc exerce sur les autorités françaises une pression maximale pour faire échouer le vote de demain. Il est intéressant de constater qu’en la matière, le gouvernement dit « islamiste modéré » conduit par le Premier ministre Erdogan s’affiche absolument solidaire des entreprises des gouvernements précédents et de l’Etat kémaliste dans son entier organisant la négation de la vérité historique du génocide perpétré contre les Arméniens dans l’Empire ottoman, durant la Première Guerre mondiale. Les argumentaires utilisés contre la proposition de loi insistent sur le viol de la liberté d’expression que constituerait une telle législation et sur la transgression qu’elle représenterait – les parlementaires n’étant pas chargés selon les officiels turcs de décider de la vérité historique. Et d’en appeler au seul travail des historiens pour trancher la question du génocide arménien. Ces argumentaires se retournent facilement contre leurs auteurs. Arguer de la liberté d’expression pour un pays qui, aujourd’hui, enferme ses chercheurs, ses professeurs, ses étudiants, ses éditeurs, ses journalistes **, relève de l’imposture. Appeler au travail des historiens alors que montent les menaces qui pèsent sur les chercheurs et les éditeurs de Turquie osant braver les lois et l’opinion d’Etat est un piège rhétorique.

La Turquie officielle n’est prête à aucune avancée dans la reconnaissance de la vérité historique même si elle l’a été un bref moment, au début des années 1990 ou au milieu des années 2000. Le fait nouveau est que la propagande publique de négation du génocide arménien est combattue en Turquie même par de nombreux historiens et chercheurs - dont l’œuvre est relayée par les groupes actifs d’intellectuels démocrates qui ne cessent de se mobiliser pour les libertés de pensée et d’expression. Ce travail éminemment courageux et admirable, qui contribue décisivement à la compréhension du génocide et de ses conséquences, ne pourra que souffrir du vote de la proposition de loi en France : ses auteurs seront aussitôt assimilés à un lobby anti-turc et empêchés de travailler pour la connaissance historique.

Cette initiative est dangereuse aussi pour les groupes, associations et parlementaires qui la portent. Alors que le génocide arménien relève de la vérité historique, une telle loi pénalisant sa négation va la faire basculer, de l’autorité de l’histoire à la vérité d’Etat. La généralisation de la dimension historique de cette connaissance en souffrira. Il faut être clair : si la recherche a besoin de la loi pour se valider et exister, alors elle court les plus grands périls. Et les vérités que le législateur souhaite protéger également. C’est bien dans et par l’histoire que les faits incommensurables comme les génocides peuvent s’imposer à la conscience publique internationale.

S’il y a aujourd'hui cette demande de lutte contre le négationnisme de la part des héritiers des Arméniens exterminés, c’est dans la conviction que l’histoire du génocide arménien est de plus en plus fragile et sans cesse soumise aux offensives du négationnisme turc. Ils ont raison. Mais la meilleure solution ne consiste pas à faire une loi finalement très dangereuse pour la recherche elle-même ; elle exige au contraire d’intensifier cette dernière, d’instituer des chaires, de créer des laboratoires, de soutenir la publication et la diffusion de la connaissance, de mobiliser des moyens vers la sauvegarde des archives, d’établir l’état-civil et la vie de chaque victime,... Voilà une tâche noble pour la puissance publique d'un pays démocratique.

Un tel engagement pour la recherche sur le génocide arménien (et l’histoire comparée des génocides) serait un acte politique fort de la part de l’un ou de l’autre des deux principaux candidats à l’élection présidentielle française. Il éviterait de prendre en otage la recherche alors même qu’elle reste le meilleur antidote à la négation idéologique de l’histoire. En lieu et place d’empêcher le travail scientifique, il faut l’aider et le soutenir. Beaucoup reste à faire dans ce domaine !

Vincent Duclert

En couverture, l’étude du normalien Jean-Yves Carzou, l’un des premiers ouvrages modernes publiés en France sur l’histoire du génocide arménien, paru en 1975 chez Flammarion, et réédité en 2006 par Calmann-Lévy (333 p., 19,50 €).

* Valérie BOYER, Alfred ALMONT, Brigitte BARÈGES, Marc BERNIER, Jean-Marie BINETRUY, Roland BLUM, Marcel BONNOT, Patrice CALMÉJANE, Jean-Louis CHRIST, Dino CINIERI, Éric CIOTTI, Georges COLOMBIER, Charles de COURSON, Jean-Michel COUVE, Gilles D’ETTORE, Olivier DASSAULT, Marc-Philippe DAUBRESSE, Bernard DEPIERRE, Jean-Pierre DUPONT, Michel GRALL, Jean-Pierre GRAND, Jacques GROSPERRIN, Laurent HÉNART, Michel HERBILLON, Maryse JOISSAINS-MASINI, Patrick LABAUNE, Charles de la VERPILLIÈRE, Michel LEJEUNE, Geneviève LEVY, Lionnel LUCA, Muriel MARLAND-MILITELLO, Patrice MARTIN-LALANDE, Gérard MENUEL, Étienne MOURRUT, Jean-Pierre NICOLAS, Yanick PATERNOTTE, Josette PONS, Éric RAOULT, Jacques REMILLER, Jean-Marc ROUBAUD, Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Daniel SPAGNOU, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Dominique TIAN, René-Paul VICTORIA, Patrick BEAUDOUIN, Michel HEINRICH, Bérengère POLETTI, André SANTINI, Michèle TABAROT et Jean-Claude FLORY.

** Voir l’article du 21 novembre du Blog des Livres : http://larecherche.typepad.fr/le_blog_des_livres/2011/11/initiative-de-chercheurs-pour-la-libert%C3%A9-de-recherche-et-denseignement.html  

Information du 22 décembre 2011 : L'Assemblée nationale a donc adopté la proposition de loi à une forte majorité des députés présents dans l'hémicycle. Au même moment, en Turquie, l'Association des droits de l'homme publiait un intéressant et courageux communiqué qui déclarait notamment :

"Il faut s’unir contre la négation du génocide et non contre le Parlement Français

Il semble que de larges fractions de la population comprenant aussi bien les partis politiques AKP, CHP, MHP, que certains cercles et certaines corporations professionnelles ainsi qu’un nombre considérable d’intellectuels en Turquie se soient unies pour contester le vote du projet de loi pénalisant la négation du Génocide Arménien par l’Assemblée Nationale Française, une initiative qui a d’ailleurs été précédée par d’autres pays.

La négation du génocide sert le blanchiment d’un crime organisé et commis par le biais de l’Etat. Le négationnisme empêche de faire face à l’Histoire comme il empêche aussi de s’agenouiller devant la mémoire des victimes, de faire acte de contrition face aux descendants des victimes et de dire « plus jamais ça ». Elle constitue un moyen de renforcer les inégalités, les rapports de domination et la menace d’une violence latente.

C’est pour cela que l’Assemblée Générale des Nations Unies a approuvé la Convention pour la Prévention et la Répression du Crime de Génocide en décembre 1948 entrée en vigueur en janvier 1951. Depuis cette date la négation de la Shoah a été interdite dans de nombreux pays et pénalisée par une amende et une peine de prison. En 1990, la France a également adopté la Loi Gayssot pour punir le négationnisme de la Shoah.

La négation d’un génocide ne peut être interprétée comme relevant de la liberté d’expression, c’est au contraire une agression contre les descendants d’un peuple qui a subi un génocide et contre ceux qui font acte de contrition devant ce génocide ; Elle constitue un moyen puissant de perpétuer les conséquences du génocide et une invitation pour de nouveaux crimes contre l’Humanité.

C’est pourquoi, nous les soussignés, nous voulons avant tout que soit mis un terme à la politique de négationnisme présente dans tous les sphères de la vie en Turquie, qui blesse les consciences et offense sans cesse les victimes. [...]

Nous en tant que membres de l’Association des Droits de L’Homme et de la Commission contre le Racisme et les Discriminations, n’acceptons en aucun cas l’idée que la négation d’un crime contre l’humanité nommé génocide puisse être considérée comme l’aboutissement du droit et de la liberté d’expression et nous insistons sur notre opinion. [...]

De nos jours, le deuxième soutien des opposants qui contestent ce projet de loi du Parlement Français est la mémoire de Hrant Dink. Ce dernier s’était opposé en 2006 aux débats sur les projets de loi incriminant le négationnisme dans les parlements étrangers et à leur acceptation. Nous sommes persuadés que c’est une erreur absolue que de contester ce projet de loi en s’appuyant sur les opinions qu’exprimait Hrant Dink il ya quelques années, qui d’ailleurs a été abattu par la collaboration des foyers fascistes et les dispositifs de guerre spéciaux des appareils de l’Etat. Hormis le fait que personne n’est en mesure de prédire des années après ce qu’aurait pensé Hrant Dink aujourd’hui, nous sommes convaincus que le droit d’émettre un avis personnel sans subir d’influence pour toute personne qui défend la pensée indépendante constitue la base même de la liberté d’opinion que ces opposants défendent.

Pour conclure, nous invitons toutes les organisations non gouvernementales en particulier TOBB*, TÜSIAD**, les faiseurs d’opinion et les intellectuels à déployer leurs efforts pour que la société et l’Etat Turc reconnaissent le génocide Arménien, le génocide perpétré durant les mêmes années contre les Syriaques/Assyriens, le nettoyage ethnique commis dans son ensemble y compris envers les Grecs d’Anatolie au lieu de faire une campagne contre le Parlement Français qui ne sert qu’à renforcer la ligne suivie par l’Etat."

http://www.armenews.com/article.php3?id_article=75473 

http://www.armenews.com/article.php3?id_article=75507  

19 décembre 2011 | 

La mort du dissident

Blog havel
Le 18 novembre dernier, nous avions publié un article sur « le retour des dissidents » en constatant les menaces qui pèsent sur la pensée libre – tant en Russie qu’en Turquie pour ne citer que ces deux pays. Et voici qu’un dissident parmi les plus emblématiques de l’histoire contemporaine est décédé hier. Bien qu’élu président de la République de Tchécoslovaquie après la « Révolution de velours » dont il avait été l’un des principaux leaders, Vaclav Havel était resté le dramaturge et combattant qu’il avait été sous la dictature communiste. C’est pour cela aussi que les hommages sont unanimes. Tout a commencé avec la fidélité à la philosophie que Vaclav Havel n’a cessé de se donner à lui-même et à son engagement. Vaclav Havel fut un des plus proches de Jan Patocka, lui-même fidèle à son ami Edmond Husserl qui, à Prague en 1934, avait éclairé l’Europe, en vain, sur la tyrannie qui venait.

Après la mort de son maître, le 26 avril 1938, Jan Patocka reprit la tâche husserlienne de dépassement de l’idéalisme philosophique pour retrouver l’essence de la philosophie et sa vocation à l’humanité. Comme philosophe, il s’engagea dans la lutte contre le pouvoir soviétique. En janvier 1977, il devint l’un des porte-parole du Groupe des droits de l’homme et du citoyen pour la Charte 77, principal de mouvement de dissidence en Tchécoslovaquie, auquel Vaclav Havel consacrait ses nuits et ses jours. Le 1er mars, Patocka fut arrêté par la police politique. Le 3 mars, il dut être admis à l’hôpital pour des troubles cardiaques consécutifs aux interrogatoires subis. Le 13 mars 1977, il décéda d’une hémorragie. Il fut « mis à mort par le pouvoir », écrivit Paul Ricoeur, traducteur de Husserl, dans son hommage pour Le Monde du 19 mars. Ses obsèques furent interdites. Des arrestations furent opérées parmi ceux qui avaient bravé l’interdiction. Entre deux interrogatoires, le « Socrate de la politique » comme l’avait appelé Paul Ricoeur, déclarait : « Pour défendre le devoir et le bien commun contre la peur et le matérialisme, il faut accepter d’être mal jugé et peut-être risquer même la torture physique. »

Vaclav Havel honora la mémoire de son ami dans son texte « Le pouvoir des sans-pouvoir » écrit en octobre 1978, deux ans après le lancement de la Charte 77 qui fut leur combat commun, et finalement victorieux contre la tyrannie. Ce texte appartient aux quelques écrits qui changèrent le cours d'une histoire décrétée par les pouvoirs d'Etat. Il souligne combien la fidélité aux idéaux intellectuels demeure une force en dépit de la fragilité apparente de l'art et de la pensée qui les portent (Essais politiques, textes réunis par Roger Errera et Jan Vladislav, préface de Jan Vladislav, présentation de Roger Errera, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l’esprit », 1989, rééd. Le Seuil, coll. « Points Seuil », 1991, 255 p., 7 €).

Vincent Duclert

14 décembre 2011 | 

Le sens caché du monde

Blog klein
Sourions aujourd’hui avec les Anagrammes renversantes du physicien Etienne Klein et de son complice Jacques Perry-Salkow, publiées dans un remarquable petit livre, parfaitement mis en page, magnifiquement illustré par Donation Mary : un cadeau idéal pour les fêtes, sans se ruiner en ces temps de réduction du pouvoir d’achat (110 p., 10 €, chez Flammarion). Les anagrammes révèlent « le sens caché du monde » comme le suggère le sous-titre de l’ouvrage. Et c’est effectivement le cas. Les preuves sont déclinées en multiples et merveilleuses entrées : on commence avec un nom propre ou commun, on en sort avec un monde transformé, révélé. Entre les deux expressions, un petit texte tout d’écriture tendue et de mots justes. Quelques exemples : « La madeleine de Proust »…… « la ronde ailée du temps » ; « la vitesse de la lumière »…. « limite les rêves au-delà » ; « Léonard de Vinci »….. « le don divin créa » ; « Charles Baudelaire »… « le labeur de sa chair » ; « Claudie Haigneré »…. « la chaire du génie ! ». Et « le sourire de Monna Lisa »… « le soir donna sa lumière », si parfaite que les deux auteurs en perdirent leur inspiration : aucune phrase entre les deux proclamations !

Chapeau bas !

Vincent Duclert

 

12 décembre 2011 | 

Face au pire des mondes

 

Blog beaud
Les accords a minima, tant au sommet européen de Bruxelles qu’au sommet sur le climat de Durban, peuvent-ils constituer des réponses sérieuses au constat du « pire des mondes » dressé par l’économiste et historien de l’économie Michel Beaud, professeur émérite à l’université Paris 7 et auteur notamment du Basculement du monde en 1997 – qui donne son nom au blog de l’auteur (http://www.michelbeaud.com/ ). C’est un livre testament d’un homme qui croyait dans un monde possible et qui en constate désormais la déraison profonde. « Adolescent, le monde m’apparaissait plein de promesses. Aujourd’hui, je vois les opportunités gâchées, les engagements bafoués et un tragique laisser-faire face à des enjeux essentiels. Même si je n’en ai pas vécu les horreurs, la guerre – défaite, occupation, privations, destruction _ a marqué mon enfance. Lycéen, j’ai pris conscience des camps, de la terrifiante arme atomique et des ravages de la pauvreté extrême. Quand j’eus à m’orienter, je choisis d’étudier l’économie politique. En ce temps-là, je pensais y trouver de bons outils pour contribuer à rendre le monde meilleur. » Ainsi débute Face au pire des mondes qui s’interroge sur la montée des « formes d’apartheid entre riches et pauvres », sur l’empire du pouvoir « techno-industriel » s’imposant aux ressources du vivant et des humains, sur le risque d’ « implacable contrôle social ». Et si, poursuit l’auteur, « les violences des marchés et des spéculations planétaires finissent de briser les cohérences (nationales, régionales, locales), si, face aux désastres, les puissants groupes mondiaux s’imposent comme des sauveurs suprêmes, alors s’ouvrira la pire des ères de l’histoire humaine ». C’est sur ce risque proprement tragique que ce livre invite à réfléchir, « avec l’espoir que des forces suffisantes se mobiliseront pour l’écarter » ajoute Michel Beaud. Les responsabilités humaines dans ce désastre humain annoncé sont considérables, souligne-t-il. L’insouciance, l’aveuglement, le refus de voir, le manque d’esprit de responsabilité, l’incurie, l’absence de courage nécessaire, la préférence pour la facilité, une multitude de petites lâchetés, ont produit le vide dans laquelle le monde bascule. Michel Beaud ne veut pas être l’un de ceux qui, « au moment où ils pouvaient peser, n’ont pas osé : alerter, informer, décider, refuser ou tout simplement aider à la sensibilisation ou à la prise de conscience ». Son livre, publié aux éditions du Seuil (301 p., 20 €) en porte témoignage.

Vincent Duclert

 

06 décembre 2011 | 

C'est l'espace !

Blog espace
101 mots-clés construisent un bel ouvrage sur les mondes, sur les frontières, sur l’histoire, sur les hommes et les femmes de « l’espace ». L’introduction des deux metteurs en scène, l’historien de la « Big Science » Dominique Pestre et Gérard Azoulay, responsable de l’Observatoire de l’Espace du CNES, souligne l'immense diversité des images, des imaginaires, des voyages et des territoires qui composent l'au-delà si proche et si lontain de la terre. Ce livre publié par Gallimard (312 p., 29 €), richement illustré et élégamment mis en page, est édité à l’occasion du cinquantenaire du CNES, l’agence spatiale française, créé par la loi du 19 décembre 1961. Les directeurs ont réuni une équipe de près de 100 auteurs pour aborder tous les aspects de l'espace, d'Actualité  (Jérôme Lamy) à Vie (Francis Rocard) en passant par des entrées classiques (Animal, Apollo, Ballons, BD, Cinéma, Communications, Cyborg, Etoile, Fusées, Guerre... ) ou plus inattendues (Anges, Banlieues, Désenchantement, Etoffe, Messages, Pêche,...). L'ouvrage est à cet égard un modèle du genre : tout en reposant sur un travail de chercheur et de vulgarisation de la recherche, il se rend disponible au grand public et propose un passionnant voyage dans l'espace et les imaginaires qu'il a déployés dans les sociétés.

Vincent Duclert  

 

30 novembre 2011 | 

Les fluctuations du climat

Blog ler
Dans le style de Montaillou, village occcitan (ah ! les « pâtres gyrovagues » découverts en 1975...), Emmanuel Le Roy Ladurie nous offre dans son dernier ouvrage en date sur les changements climatiques, Les fluctuations du climat, de l’an mil à aujourd’hui (Fayard, 2011, 321 pp., 22 €, avec Daniel Rousseau et Anouchka Vasak), un florilège d'adjectifs délectables : voici donc « les belles années de moissons breughéliennes », le « déluge vinique » de 1928-1929, les « séquences frisquettes », l'épisode « météo-frumentaire » de 1788-1789, et les « étages superposés de la fusée crisique » (!) entre mille autres formulations inspirées. Les trois volumes qui composent sa récente et monumentale « Histoire humaine et comparée du climat » (2004-2009) n'étaient déjà pas tristes, mais celui-ci est particulièrement alerte dans la forme. L'essentiel toutefois est qu'il est également novateur sur le fond. Alors que les trois volumes qui le précèdent portaient sur des séquences climatiques d'une dizaine d'années en moyenne, Les fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui sont décrites à une échelle temporelle – le mois- d'une finesse extraordinaire pour la période 1600-2010 principalement. Daniel Rousseau, collaborateur à qui Emmanuel Le Roy Ladurie rend hommage dans le chapitre premier (« Sources et méthodes ») a été directeur de l'Ecole nationale de météorologie. Il est l'auteur d'une série thermométrique en Île de France qui débute en 1676 et s'étend jusqu'à nos jours ! Couplée à celle de Gordon Manley (1902-1980) pour l'Angleterre centrale, le résultat est « une notation thermique moyenne par mois sur plus de trois siècles ». Ces deux séries, ont été rapprochées d'échelles pluviométriques ou phénologiques (ces dernières marquant l'apparition de phénomènes biologiques liés aux variation climatiques saisonnières) comme celle des dates de vendanges collectées par Emmanuel Le Roy Ladurie lui même. Ce qui permet désormais aux auteurs de reconstituer les fluctuations climatiques pour la période 1600-2010 principalement, avec une finesse inédite : le mois ! Et c'est cette finesse qui permet à Emmanuel Le Roy Ladurie de confirmer que la décennie agro-climatique qui précède 1789 n'est pas la cause fondamentale de la Révolution, mais plutôt un élément déclencheur décisif : « L'épisode météo-frumentaire 1788-1789 se situe (…) dans un enchaînement beaucoup plus vaste où il tient une place subordonnée, certes mais non négligeable. Le facteur environnemental vient renforcer de la sorte les motivations socio-culturelles à causalité anthropique « pure », qui tiennent évidement la première place ».

Des synthèses courtes de la pensée de ceux dont le nom a été utilisé pour baptiser des séquences remarquables (fluctuations « Galilée », « Lavoisier », « Arrhenius », etc.) ont été placées à chaque tête de chapitre par Anouchka Vasak membre du réseau « perception du climat » créé par Martin de la Soudière (CNRS) et Martine Tabeaud (Université de Paris 1).

Et puisque le livre s'achève de nos jours, Emmanuel Le Roy Ladurie nous confirme qu'il penche du côté du GIEC mais qu'il nous propose un « livre d'histoire, et non d'une guerre de religion entre fidèles du GIEC (...) et climato-sceptiques ». Et de conclure que « la tendance réchauffante, si inquiétante soit-elle, demeure à l'horizon de notre temps, la perspective la plus plausible ». Mais, nuance-t-il :  « chi lo sa ? ».

L'éditeur a soigné la réalisation de l'ouvrage : une annexe présentant la série de 335 ans établie par Daniel Rousseau, une riche bibliographie et une table des figures contenant les références bibliographiques indispensables. Un cahier central de graphiques en couleur complète le tout et permet, d'un coup d'oeil, de naviguer dans les fluctuations climatiques passées les plus complexes.

Pascal Acot (IHPST)

29 novembre 2011 | 

La cause des livres

Blog ozouf
Parler de livres, d’écriture et d’histoire, comme aujourd’hui au Centre national des livres autour de Pierre Nora, ne peut se faire sans Mona Ozouf, très proche de ce dernier et auteure d’un remarquable recueil de ses articles écrits pour Le Nouvel Observateur, échelonnés sur près de quarante ans d’existence. La cause des livres est paru simultanément au recueil de Pierre Nora (voir plus bas), dans la même collection « blanche » de Gallimard (547 p., 24 €), il y a quelques semaines. Mona Ozouf parle moins de sa position d’historienne que des livres qu’elle a lus et dont elle a su comprendre la valeur pour la construction d’une pensée historienne, celle que Pierre Nora défend précisément comme « historien public ». Mona Ozouf écrit une langue parfaite en ce sens que son écriture est simple, précise, élégante, et en même temps traversée de l'inquiétude de capter l'essentiel d'une pensée. Elle va ainsi au plus profond des choses, des idées, des sentiments mais sans que cette qualité littéraire ne fasse écran à la compréhension du lecteur. La préface de La cause des livres est portée par ce style juste qui recherche des formes de vérité, ici celle « du décousu et de l’urgence » qu’inspire ce recueil de textes publics. Ceux-ci, non strictement savants, sont peut-être plus difficiles encore à composer car devant exprimer le sens historien d’un livre sans l’aide souvent précieuse de la tradition savante. De tels articles écrits pour Le Nouvel Observateur doivent se suffire à eux-mêmes, et, effectivement, on les relit sans qu’il soit nécessaire de les resituer. C’est comme un livre, qui se suffit à lui-même lorsqu’il est réussi, parce qu’il témoigne d’une exigence de l’auteur pour sa composition et son audace. Le livre de Mona Ozouf porte bien son nom. Le livre, avec elle, ressemble à une œuvre, et la lecture de son recueil ressemble à la visite d’un musée personnel, admirable. La cause des livres s’achève sur l’aveu d’une dette, dette de l’amitié et du travail partagé, à travers deux textes évoquant l’un Pierre Nora alors qu’il recevait son épée d’académicien, l’autre François Furet avec qui Mona Ozouf a partagé un immense travail sur la Révolution française. Elle y parle de son dernier grand livre, Le Passé d’une illusion, en restituant au lecteur tout ce qu’un tel essai a d’essentiel : « François Furet nous a légué la question redoutable de savoir comment vivre quand nous ne pouvons plus imaginer une société autre alors que nous ne cessons d’en parler. Nos partis politiques ne nous entretiennent que de refondation tout en se montrant incapables d’imagination créatrice. Cette immobilisation de l’imagination politique atteint à l’évidence la gauche démocratique beaucoup plus que la droite : la représentation des lendemains fait partie de son bagage traditionnel. Et il n’est pas étonnant que cette impuissance ait particulièrement marqué l’esprit inquiet de François Furet : on est naturellement plus exigeant et plus sévère pour sa propre famille de pensée. » (p. 541).

Vincent Ducler