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19 décembre 2011 |

La mort du dissident

Blog havel
Le 18 novembre dernier, nous avions publié un article sur « le retour des dissidents » en constatant les menaces qui pèsent sur la pensée libre – tant en Russie qu’en Turquie pour ne citer que ces deux pays. Et voici qu’un dissident parmi les plus emblématiques de l’histoire contemporaine est décédé hier. Bien qu’élu président de la République de Tchécoslovaquie après la « Révolution de velours » dont il avait été l’un des principaux leaders, Vaclav Havel était resté le dramaturge et combattant qu’il avait été sous la dictature communiste. C’est pour cela aussi que les hommages sont unanimes. Tout a commencé avec la fidélité à la philosophie que Vaclav Havel n’a cessé de se donner à lui-même et à son engagement. Vaclav Havel fut un des plus proches de Jan Patocka, lui-même fidèle à son ami Edmond Husserl qui, à Prague en 1934, avait éclairé l’Europe, en vain, sur la tyrannie qui venait.

Après la mort de son maître, le 26 avril 1938, Jan Patocka reprit la tâche husserlienne de dépassement de l’idéalisme philosophique pour retrouver l’essence de la philosophie et sa vocation à l’humanité. Comme philosophe, il s’engagea dans la lutte contre le pouvoir soviétique. En janvier 1977, il devint l’un des porte-parole du Groupe des droits de l’homme et du citoyen pour la Charte 77, principal de mouvement de dissidence en Tchécoslovaquie, auquel Vaclav Havel consacrait ses nuits et ses jours. Le 1er mars, Patocka fut arrêté par la police politique. Le 3 mars, il dut être admis à l’hôpital pour des troubles cardiaques consécutifs aux interrogatoires subis. Le 13 mars 1977, il décéda d’une hémorragie. Il fut « mis à mort par le pouvoir », écrivit Paul Ricoeur, traducteur de Husserl, dans son hommage pour Le Monde du 19 mars. Ses obsèques furent interdites. Des arrestations furent opérées parmi ceux qui avaient bravé l’interdiction. Entre deux interrogatoires, le « Socrate de la politique » comme l’avait appelé Paul Ricoeur, déclarait : « Pour défendre le devoir et le bien commun contre la peur et le matérialisme, il faut accepter d’être mal jugé et peut-être risquer même la torture physique. »

Vaclav Havel honora la mémoire de son ami dans son texte « Le pouvoir des sans-pouvoir » écrit en octobre 1978, deux ans après le lancement de la Charte 77 qui fut leur combat commun, et finalement victorieux contre la tyrannie. Ce texte appartient aux quelques écrits qui changèrent le cours d'une histoire décrétée par les pouvoirs d'Etat. Il souligne combien la fidélité aux idéaux intellectuels demeure une force en dépit de la fragilité apparente de l'art et de la pensée qui les portent (Essais politiques, textes réunis par Roger Errera et Jan Vladislav, préface de Jan Vladislav, présentation de Roger Errera, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Liberté de l’esprit », 1989, rééd. Le Seuil, coll. « Points Seuil », 1991, 255 p., 7 €).

Vincent Duclert

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