Avant que nous ne rendrions compte, dans ces pages et dans
celles du mensuel, du prochain essai au Seuil de Christophe Bonneuil et de
Jean-Baptiste Fressoz, L'événement anthropocène, La Terre l'histoire et nous, manifeste inaugural de la nouvelle collection «Anthropocène», mentionnons l’ouvrage collectif qui paraît presque au même
moment à La Découverte, dans la série inaugurée par François Gèze des
« autres » ou « contre » histoire revisitant les fausses
certitudes du passé, Une autre histoire
des « Trente Glorieuses ».
Le sous-titre imaginé par ses trois
concepteurs, Christophe Bonneuil, Sezin Topçu et Céline Plessis, dévoile
d’emblée l’ambition du projet : « modernisation, contestations et
pollutions dans la France d’après-guerre » (312 p., 24 €). Il s’agit d’
« en finir avec les “Trente Glorieuses” » ou plus exactement d’en
finir avec le mythe positiviste de la croissance d’après-guerre, et de
confronter cette période phare avec les problématiques actuelles de la
résistance des sociétés et de la critique du progrès. Le résultat est
saisissant, il s’agit bien d’une lecture radicalement nouvelle d’une histoire
que l’on croyait connaître. Au cœur des interrogations se situe la question du
pouvoir, du gouvernement et des institutions. Celles-ci ont pu mener à bien le
redressement national et la modernisation de la France. Mais elles n’ont pas
intégré, comme aujourd’hui dans les pays démocratiques grâce aux contestations
civiles, le point de vue de « l’autre », le social, l’environnement,
la planète, le cadre de vie, …
Cette question du gouvernement des choses et des sociétés
est au cœur de la recherche de Sezin Topçu sur le mouvement antinucléaire
français. Issue d’une thèse de sociologie, La
France nucléaire. L’art de gouverner une technologie contestée (350 p., 21
€) qui paraît au Seuil souligne qu’il y a beaucoup à apprendre de ces
contestations, « en termes de formes d’action à (ré)inventer et d’analyse
politique à mener vis-à-vis des “pouvoirs” nucléaires, en vue de repenser les
rapports entre atome, démocratie et société ». Ce à quoi « l’auteure
de ce livre espère, à sa façon avoir contribué ». Ainsi la recherche en
sciences sociales ne se limite-t-elle pas à des résultats et des données
empiriques. Elle peut aussi modifier le réel sur lequel elle travaille, par la
construction et la transmission d’une connaissance nouvelle et fondée. Ces
rapports à repenser commencent par l’accès à l’information. A lire Sezin Topçu,
il semble que les organismes nucléaires publics aient développé des procédures
visant à décourager l’accès aux sources, pourtant par la loi sur les archives. « La
difficulté d’accès aux archives […] doit dans ce cadre être soulignée »,
insiste Sezin Topçu. Cette contrainte a encouragé la chercheuse à plus d’audace
dans la question des sources.
Vincent Duclert