Le Salon du Livre a fermé ses portes hier lundi 25 mars,
avec une fréquentation en hausse de 3% (190 000 visiteurs). Alors que les lettres roumaines étaient les
belles invitées de cette 33e édition, des écrivains et des officiels
roumains avaient décidé de boycotter le Salon, dont, par
prudence, le Premier ministre Victor Ponta, convaincu de plagiat.
A lire l’article du Monde
du 22 mars 2013 (« Des écrivains roumains boycottent le Salon du livre »*),
dû à Mirel Bran, cette affaire relèverait donc d’un emblématique combat des
héros de la liberté pourfendant l’obscurantisme incarné par Victor Ponta et ses
sbires dont le fameux directeur de l’Institut culturel roumain surnommé « Mr.
Radiateur ». Les choses sont quand même beaucoup plus compliquées que ne
le présente le correspondant du journal à Bucarest. Si Ponta est effectivement
coupable de plagiat (dans sa thèse de doctorat) et si son choix pour la
direction de l’Institut n’est pas des plus heureux, il faut replacer cette
tension dans le cadre de la lutte acharnée que mène l’actuel président de la
République pour regagner un pouvoir personnel et autoritaire largement amoindri
par l’action politique de Ponta.
C’est là où deux correctifs importants doivent être apportés
à la présentation faite dans l’article du Monde.
D’une part, le Premier ministre n’agit pas en dehors de « toutes les règles
de l’Etat de droit », il a le soutien du Parlement et son parti a remporté
les dernières élections. Aujourd’hui, 70% des parlementaires sont hostiles à l’actuel
président Traian Băsescu que le correspondant du Monde qualifie benoitement de « centre droit ». Pour bien
comprendre l’enjeu des luttes politiques et intellectuelles qui se jouent en
Roumanie, il faut savoir d’autre part que Băsescu appartint au réseau
politico-financier du système de l’ancien dictateur Ceausescu. Il a plaidé qu’il
a changé et qu’il est devenu libéral. Or, de nombreux observateurs et beaucoup
des intellectuels démocrates de Roumanie estiment que ce n’est pas le cas, qu’il
tente de conserver un pouvoir exorbitant et qu’il utilise tous les moyens,
légaux ou non, pour se maintenir (dont l’usage à des fins politiques des
services de renseignement). La présidence a perdu un certain nombre d’outils d’action
ou d’influence, le dernier en date étant l’Institut culturel roumain, ce qui a
déclenché l’offensive sur le directeur nommé par le Premier ministre. Andrei
Marga n’est probablement pas très adroit dans ses déclarations publiques, mais
il ne se réduit pas non plus à la caricature que propose Le Monde, il a notamment occupé le poste de recteur de la
prestigieuse université de Cluj. Les attaques qui le visent relèvent d’un nouvel
épisode des campagnes menées par les hommes-liges du Président, ceux qu’on
appelle à Bucarest les « intellectuels de Băsescu », contre le
pouvoir concurrent de Victor Ponta. On peut regretter donc que Le Monde n’ait pas pris soin de mieux contextualiser
ces affrontements internes à la Roumanie et de signaler que se joue quand même,
dans ce grand pays ami de la France, un nouveau chapitre de la sortie du
communisme dans l'ex-Europe de l’Est.
On a en revanche bien davantage goûté la qualité du « Prière d’insérer »
de Jean Birnbaum, responsable du Monde
des Livres qui a rappelé, dans l’édition consacrée au Salon (22 mars 2013), les attaques violentes
et même antisémites qu’infligèrent à l’écrivain Panaït Istrati les fascistes de
la Garde de fer à Bucarest, mais aussi, depuis Paris, les communistes français
ulcérés par son crime de lèse-stalinisme : en 1929, l’écrivain avait
publié Vers l’autre flamme, « texte
capital où il racontait son périple à travers l’URSS », une plongée
hallucinante dans l’univers des « militants-racailles » et de la misère
sociale née de l’injustice organisée.
Le témoignage édifiant de son compagnon
de voyage, le romancier grec Nikos Kazantzaki, vient d’être publié par l’Institut
Mémoire de l’édition contemporaine (Lignes/Imec, 344 p., 24 €).
Vincent Duclert
*http://www.lemonde.fr/livres/article/2013/03/22/des-ecrivains-roumains-boycottent-le-salon-du-livre_1852815_3260.html