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21 mars 2013 |

Robert Castel suite. Une hypothèse capitale

Blog castel 3
Les éditions La Découverte m’ont adressé aussitôt (merci aux attachés de presse si soucieuses de la réception publique et intellectuelle des productions de leur maison) le gros volume collectif conçu avec Robert Castel et autour de son œuvre (Changements et pensées du changement, 362 p., 27 €). Le dialogue se fait par la lecture et l’écriture, mais celles-ci sont plus insistantes que traditionnellement dans ce genre d’exercice. Ainsi Gérard Mauger, retournant l’interrogation soulevée par Castel dans un post-scriptum à La Montée des incertitudes (2009), « Pourquoi la classe ouvrière a perdu la partie ? », pose-t-il à son tour une série de questions directement adressées au sociologue.

L’enquête sur la sociologie de Robert Castel, qu’a imaginée Claude Martin (chaire « Lien social et santé » à l’Ecole des hautes études en santé publique) donne aussi la parole à l’intéressé, sous forme de réponses qui viennent nouer encore davantage entre elles les différentes parties du livre. Ici, l’échange est le meilleur hommage qui puisse être rendu à Robert Castel et aux principes auxquels il s’est tenu dans ses relations avec Pierre Bourdieu et Michel Foucault : « Le bon usage qu’il faut faire des grands hommes si l’on veut rester libre consiste à ne pas en être trop près ».

L’ouvrage est tendu entre deux beaux textes de liberté de Robert Castel, qui se répondent, le premier pour « penser le changement », son parcours des années 1960-2010 débuté dans les destructions matérielles, humaines et morales de la Seconde Guerre mondiale, le second qui poursuit la réflexion sur le lien de Robert Castel avec ces destructions, incarné dans un homme, un professeur, et sa déportation à Buchenwald. Le sociologue se rendit en 2007 dans l'ancien camp nazi, pour un hommage à celui qui, en 1947 ou en 1948, lui avait dit, à la fin de la dernière classe de l’année au collège technique de Brest : « Castel , tu peux faire autre chose, ne reste pas ici où tu vas te planter. Dans la vie, il faut aimer la liberté et prendre des risques. Va au lycée et si tu as de la chance et du courage, je pense que tu n’es pas idiot et que tu seras capable de te débrouiller ».

Robert Castel a suivi le conseil de celui que les élèves surnommaient « Buchenwald ». Il en fait même le fondement d’une hypothèse capitale sur les identités individuelles les plus décisives, sur la relation « entre ce qui advient à l’individu dans l’histoire qu’il traverse et ce qui le constitue en lui-même comme un individu singulier. Ces événements qui paraissent lui advenir du dehors ne sont pas seulement le cadre dans lequel il se meut et dont les contraintes l’affecteraient de l’extérieur. Ces déterminations forment la trame qui est cœur de ses comportements les plus personnels ». On mesure ce qu’une telle hypothèse nous dit sur la transmission et l’importance d’en créer les lieux ou les occasions, à l’école, au musée, au travail, elle souligne le caractère essentiel d’une histoire qui puisse approcher de la société et parler aux individus.

Ces propositions, écrit encore Robert Castel, « expriment la préoccupation essentielle dont je n’arrive pas à me défaire depuis que j’ai commencé à faire de la sociologie ».

Vincent Duclert     

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