La cause des livres
Parler de livres, d’écriture et d’histoire, comme aujourd’hui au Centre national des livres autour de Pierre Nora, ne peut se faire sans Mona Ozouf, très proche de ce dernier et auteure d’un remarquable recueil de ses articles écrits pour Le Nouvel Observateur, échelonnés sur près de quarante ans d’existence. La cause des livres est paru simultanément au recueil de Pierre Nora (voir plus bas), dans la même collection « blanche » de Gallimard (547 p., 24 €), il y a quelques semaines. Mona Ozouf parle moins de sa position d’historienne que des livres qu’elle a lus et dont elle a su comprendre la valeur pour la construction d’une pensée historienne, celle que Pierre Nora défend précisément comme « historien public ». Mona Ozouf écrit une langue parfaite en ce sens que son écriture est simple, précise, élégante, et en même temps traversée de l'inquiétude de capter l'essentiel d'une pensée. Elle va ainsi au plus profond des choses, des idées, des sentiments mais sans que cette qualité littéraire ne fasse écran à la compréhension du lecteur. La préface de La cause des livres est portée par ce style juste qui recherche des formes de vérité, ici celle « du décousu et de l’urgence » qu’inspire ce recueil de textes publics. Ceux-ci, non strictement savants, sont peut-être plus difficiles encore à composer car devant exprimer le sens historien d’un livre sans l’aide souvent précieuse de la tradition savante. De tels articles écrits pour Le Nouvel Observateur doivent se suffire à eux-mêmes, et, effectivement, on les relit sans qu’il soit nécessaire de les resituer. C’est comme un livre, qui se suffit à lui-même lorsqu’il est réussi, parce qu’il témoigne d’une exigence de l’auteur pour sa composition et son audace. Le livre de Mona Ozouf porte bien son nom. Le livre, avec elle, ressemble à une œuvre, et la lecture de son recueil ressemble à la visite d’un musée personnel, admirable. La cause des livres s’achève sur l’aveu d’une dette, dette de l’amitié et du travail partagé, à travers deux textes évoquant l’un Pierre Nora alors qu’il recevait son épée d’académicien, l’autre François Furet avec qui Mona Ozouf a partagé un immense travail sur la Révolution française. Elle y parle de son dernier grand livre, Le Passé d’une illusion, en restituant au lecteur tout ce qu’un tel essai a d’essentiel : « François Furet nous a légué la question redoutable de savoir comment vivre quand nous ne pouvons plus imaginer une société autre alors que nous ne cessons d’en parler. Nos partis politiques ne nous entretiennent que de refondation tout en se montrant incapables d’imagination créatrice. Cette immobilisation de l’imagination politique atteint à l’évidence la gauche démocratique beaucoup plus que la droite : la représentation des lendemains fait partie de son bagage traditionnel. Et il n’est pas étonnant que cette impuissance ait particulièrement marqué l’esprit inquiet de François Furet : on est naturellement plus exigeant et plus sévère pour sa propre famille de pensée. » (p. 541).
Vincent Ducler
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