Les fluctuations du climat
Dans le style de Montaillou, village occcitan (ah ! les « pâtres gyrovagues » découverts en 1975...), Emmanuel Le Roy Ladurie nous offre dans son dernier ouvrage en date sur les changements climatiques, Les fluctuations du climat, de l’an mil à aujourd’hui (Fayard, 2011, 321 pp., 22 €, avec Daniel Rousseau et Anouchka Vasak), un florilège d'adjectifs délectables : voici donc « les belles années de moissons breughéliennes », le « déluge vinique » de 1928-1929, les « séquences frisquettes », l'épisode « météo-frumentaire » de 1788-1789, et les « étages superposés de la fusée crisique » (!) entre mille autres formulations inspirées. Les trois volumes qui composent sa récente et monumentale « Histoire humaine et comparée du climat » (2004-2009) n'étaient déjà pas tristes, mais celui-ci est particulièrement alerte dans la forme. L'essentiel toutefois est qu'il est également novateur sur le fond. Alors que les trois volumes qui le précèdent portaient sur des séquences climatiques d'une dizaine d'années en moyenne, Les fluctuations du climat de l'an mil à aujourd'hui sont décrites à une échelle temporelle – le mois- d'une finesse extraordinaire pour la période 1600-2010 principalement. Daniel Rousseau, collaborateur à qui Emmanuel Le Roy Ladurie rend hommage dans le chapitre premier (« Sources et méthodes ») a été directeur de l'Ecole nationale de météorologie. Il est l'auteur d'une série thermométrique en Île de France qui débute en 1676 et s'étend jusqu'à nos jours ! Couplée à celle de Gordon Manley (1902-1980) pour l'Angleterre centrale, le résultat est « une notation thermique moyenne par mois sur plus de trois siècles ». Ces deux séries, ont été rapprochées d'échelles pluviométriques ou phénologiques (ces dernières marquant l'apparition de phénomènes biologiques liés aux variation climatiques saisonnières) comme celle des dates de vendanges collectées par Emmanuel Le Roy Ladurie lui même. Ce qui permet désormais aux auteurs de reconstituer les fluctuations climatiques pour la période 1600-2010 principalement, avec une finesse inédite : le mois ! Et c'est cette finesse qui permet à Emmanuel Le Roy Ladurie de confirmer que la décennie agro-climatique qui précède 1789 n'est pas la cause fondamentale de la Révolution, mais plutôt un élément déclencheur décisif : « L'épisode météo-frumentaire 1788-1789 se situe (…) dans un enchaînement beaucoup plus vaste où il tient une place subordonnée, certes mais non négligeable. Le facteur environnemental vient renforcer de la sorte les motivations socio-culturelles à causalité anthropique « pure », qui tiennent évidement la première place ».
Des synthèses courtes de la pensée de ceux dont le nom a été utilisé pour baptiser des séquences remarquables (fluctuations « Galilée », « Lavoisier », « Arrhenius », etc.) ont été placées à chaque tête de chapitre par Anouchka Vasak membre du réseau « perception du climat » créé par Martin de la Soudière (CNRS) et Martine Tabeaud (Université de Paris 1).
Et puisque le livre s'achève de nos jours, Emmanuel Le Roy Ladurie nous confirme qu'il penche du côté du GIEC mais qu'il nous propose un « livre d'histoire, et non d'une guerre de religion entre fidèles du GIEC (...) et climato-sceptiques ». Et de conclure que « la tendance réchauffante, si inquiétante soit-elle, demeure à l'horizon de notre temps, la perspective la plus plausible ». Mais, nuance-t-il : « chi lo sa ? ».
L'éditeur a soigné la réalisation de l'ouvrage : une annexe présentant la série de 335 ans établie par Daniel Rousseau, une riche bibliographie et une table des figures contenant les références bibliographiques indispensables. Un cahier central de graphiques en couleur complète le tout et permet, d'un coup d'oeil, de naviguer dans les fluctuations climatiques passées les plus complexes.
Pascal Acot (IHPST)
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