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mars 2011

31 mars 2011

Séquence BD. L'appel des origines

Blog appel 
Harlem
, le premier tome de la série L’appel des origines,  forme un très bon début. Le dessin de Gaël Séjourné (et les couleurs de Jean Verney) donne une grande force à cette histoire imaginée par Callède, qui se déroule à New York dans les années 1920, entre jazz, rêves, prohibition et racisme au quotidien. Le scénario pourrait être un peu convenu. Finalement, il n’en est rien parce qu’un autre personnage se dessine dans tout l’album, la ville et ses vues splendides révélées par l'album. Anna, une jeune métisse, travaille chez sa tante Vivian et son oncle Benny, au « Benny’s Diner », sur la 135e rue, ouvert tous les jours de l’année. Son existence de « petite mulâtresse » est difficile ; elle subit souvent les préjugés des blancs autant que des noirs. « Tu dois être forte et ne jamais reculer devant l’adversité », lui rappelle son oncle dans les moments critiques. Pour s’échapper, Anna s’enivre dans les clubs de jazz, particulièrement le « Blue Diamond », « le meilleur de tout Harlem pour danser et écouter du vrai jazz ! », avec Duke Ellington au piano, Sonny Greer à la batterie et Sidney Bechet à la clarinette. Lorsqu’elle rentre chez elle dans la nuit, elle est si émue par cette musique qu’elle ne trouve pas le sommeil ; elle se plonge dans l’écriture, « écrire pour ne pas oublier ». Un jour d’automne, au cours d’une promenade à Central Park avec sa grand-mère, celle-ci manque de s’évanouir en découvrant, sur une photographie du New York Herald montrant un groupe d’explorateurs mystérieusement disparus aux confins du Kenya et du Tanganika, la trace du père d’Anna. Lui reviennent les temps anciens alors que l’esclavage régnait en maître au Sud. Une expédition punitive du propriétaire de la plantation sur laquelle elle était attachée avec sa famille se solde par un terrible massacre, dont la mort de la mère d’Anna et la fuite de son père dont personne ou presque ne connaissait l’existence : il était blanc, il était le fils du planteur, il aimait Rose. Orpheline, Anna est élevée, à Harlem la liberté venue, par sa grand-mère, et dans l’ignorance de ses origines. La révélation soudaine de la tragédie inaugurale entraîne la jeune femme dans une quête désespérée de son père disparu, d’abord à New York en compagnie d’un jeune chercheur du Museum d’histoire naturelle (chez Vent d’Ouest, 57 p., 13, 50 €, et de superbes planches de New York, de ses rues, de ses quais, et de ses musiciens de jazz). 

Vincent Duclert

29 mars 2011

Je rends heureux

Blog génér 
La personnage principal de Générosité, de Richard Powers (Cherche Midi, 2011, 480 p., 22 €) est le bonheur. Pas très original, direz-vous : la recherche du bonheur ou de l'amour, la difficulté à les trouver, ou encore la douleur de les perdre constituent les sujets principaux d'une bonne proportion des livres composés depuis l'invention de l'écriture. Mais là où celui-ci intéresse ce blog, c'est bien entendu que Richard Powers qu'il aborde ces thèmes dans une fiction qui met en scène la science (mais il ne s'agit pas de science-fiction).

Pourrait-on trouver le bonheur grâce à des produits chimiques? Cela semble réussir à Robert Stone, qui encourage son frère Russell, journaliste et écrivain raté, à l'imiter. Faudrait-il plutôt enseigner à être heureux, comme c'est en quelque sorte le métier de Candace Weld, psychologue au service des étudiants de l'université de Chicago où Russell enseigne à temps partiel. Ou encore, la capacité à être heureux serait-elle innée, codée dans des réseaux de gènes, comme en est convaincu le généticien, universitaire et fondateur de startups, Thomas Kurton?

Les réponses à ces questions se cristallisent autour de Thassadit (Thassa) Amzwar, jeune algérienne étudiante de Russell. Elle a grandi dans une Algérie d'attentats et de quasi guerre civile. Elle y a perdu ses parents, elle y a laissé son frère. Elle est seule à Chicago. Malgré cela, elle donne tous les signes extérieurs d'un bonheur permanent. Quelle est la cause de son état? Pourrait-il être transféré à d'autres? Est-il si inaltérable que cela?

Richard Powers ne donne pas de réponses définitives. Chacun de ses personnages possède une part de vérité. La science, dont il décrit bien les fonctionnements, n'est ni bonne ni mauvaise, seulement soumise, comme toutes les autres activités humaines, à la dictature des média. A propos de ces derniers, en revanche, sa position est claire : la médiatisation est une fantastique machine à détruire le bonheur. Tous les personnages en font l'amère expérience. Si l'on suit Richard Powers, il y a au moins une condition nécessaire au bonheur, celle qui tient dans le vieil adage : « pour vivre heureux, vivons caché ».

Luc Allemand

 

28 mars 2011

Sans le nucléaire on s’éclairerait à la bougie

Blog lepage 
Les événements tragiques mettant en cause une centrale nucléaire au Japon, doublés des révélations, chaque jour plus nombreuses, des incompétences de l'électricien japonais Tepco, redonnent une actualité à l’essai de Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement et de Jean-François Bouvet, biologiste et professeur de chaire supérieure, consacré aux « tartes à la crème du discours techno-scientifique », Sans le nucléaire on s’éclairerait à la bougie (Le Seuil, 130 p., 12 €). Ce petit livre, écrivent ses deux auteurs, « n’a en aucun cas pour objet de nier - de manière systématique et globale -, l’intérêt des avancées technologiques, mais bien de fustiger les dérives d’un discours pseudo-scientifique qui est à la science ce que l’intégrisme est à la religion. » Leur démarche critique repose sur une conviction, celle de « la reconnaissance du droit du citoyen à une information indépendante et au libre choix [qui est] une avancée considérables sociétés démocratiques ». Et d’ajouter : « N’est-ce pas dans la remise en cause de ce progrès-là, quand lobbying et slogans tiennent lieu d’argumentaire, que réside le véritable obscurantisme ? ». Exemples et bibliographies à l’appui, le livre trace un intéressant sillon dans une opinion publique désorientée par la catastrophe du Japon.

Vincent Duclert

 

25 mars 2011

L'Orient musulman

Blog alain 
Au terme d’une riche carrière scientifique et intellectuelle, Daniel Rivet, spécialiste de la colonisation du Maghreb et du sud méditerranéen, a été destinataire du traditionnel volume de mélanges offert par ses élèves, collègues et amis, De l’Atlas à l’Orient musulman, (Karthala, 311 p., 28 €). Les révolutions démocratiques qui secouent tout le Moyen-Orient arabe – et les récents événements en Syrie ne sont pas là pour nous démentir – donnent un relief particulier à cet ensemble d’études inédites. Dominique Avon et Alain Messaoudi, qui ont dirigé ce volume, insistent sur le défi de l’historien arpentant le terrain de l’Orient musulman : celui-ci fut affecté à la fin du XIXe siècle par une première « mondialisation » dont la colonisation fut un moteur écrasant mais non exclusif et qui engendra des processus de généralisation – par exemple la diffusion de l’information via le modèle de presse quotidienne. Mais le savant doit penser simultanément le particulier des sociétés. Il doit même, comme l’a écrit Daniel Rivet (Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, 2002), « aider ses contemporains à se frotter les yeux pour y voir plus clair là où ça fait mal ». C’est, pour Dominique Avon et Alain Messaoudi, imaginer de « pouvoir rendre compte de ce commun [de l’Orient musulman], illustré par exemple par la transition démographique ayant touché la grande majorité des sociétés humaines, sans effacer le propre – "la ferme au toit de tuiles" – de chaque ensemble communautaire se reconnaissant comme tel ».

Vincent Duclert

A noter que Daniel Rivet est, avec sa femme Françoise, l’auteur d’une étude des annonces du Carnet du Monde parue aux éditions Armand Colin en 2009 : Tu nous as quittés… Paraître et disparaître dans le carnet du Monde.

 

23 mars 2011

Survie spatiale

Blog luc arche 
Un article récent de la revue américaine Science m'apprend qu'il ne reste plus sur notre planète que 22 gibbons de l'île de Hainan. Sur cette île du sud de la Chine, la chasse et la déforestation ont progressivement repoussé ce primate arboricole dans une zone inhospitalière. Un programme de conservation a été mis en place par le gouvernement chinois, mais réussira-t-il à sauver l'espèce?

Arche de Stephen Baxter (Presses de la Cité, 2010, 596 p., 24€) pose à peu près la même question, mais à propos de l'espèce humaine. La Terre est en effet mal en point : une inondation gigantesque fait inexorablement monter le niveau des mers, repoussant l'homme vers les hauteurs. La capitale des Etats-Unis est ainsi déménagée à Denver, à un mile au-dessus du niveau de la mer (1 600 mètres), avant que cette ville ne soit elle aussi atteinte par la marée. Les réfugiés affluent, et un état policier se met en place pour les repousser et les canaliser, jusqu'à l'inévitable submersion totale, en 2044.

Dès 2025, une poignée d'hommes d'affaire richissimes ont décidé de construire une arche spatiale pour quitter la Terre et coloniser une planète plus accueillante. Les 80 futurs passagers, leurs propres enfants en premier lieu, sont préparés, formés, entraînés, pendant 17 ans avant le grand départ. La lourde charge de ces 80 individus est ni plus ni moins que de perpétuer l'humanité, sur une autre planète. Les choses ne se déroulent évidemment pas comme prévu, et ce sont finalement deux planètes sur lesquelles atterrissent des groupes humains, d'à peine vingt personnes chacun.

Une bonne partie du récit est consacrée à la préparation de ces "candidats", sur lesquels reposent les espoirs humains. Mais la suite est plus intéressante. Une fois parti, l'équipage est en effet livré à lui même, la vitesse supraluminique du vaisseau (c'est un roman de science-fiction!) empêchant tout contact, même à long terme, avec la Terre. L'enfermement et l'isolement, notamment, ont des conséquences redoutables sur l'état d'esprit des colons de l'espace, et les plus graves dangers qui les guettent ne sont pas forcément de heurter une météorite ou de rencontrer des extraterrestres. Les jeunes gens hyper entraînés du départ se transforment pour certains en roués politiciens pour obtenir et conserver le pouvoir. D'autres se réfugient dans une réalité virtuelle fondée sur leurs souvenirs terrestres pour supporter l'éloignement. Les plus jeunes, nés dans le vaisseau au cours de ce très long voyage, en viennent même à douter que celui-ci existe réellement : ne feraient-ils pas l'objet d'une expérience enterrée, plutôt que de dériver dans l'espace?

L'humanité aura bien du mal à survivre en dehors de la Terre. Telle pourrait être la morale de ce roman, s'il devait en avoir une. Et, au final, pour Stephen Baxter les groupes qui sont restés sur la planète océan ne s'en tirent pas si mal que ça.

Luc Allemand

22 mars 2011

Le gouvernement humanitaire. L'épreuve du Japon

Blog japon 3 
L’étude de Didier Fassin, La raison humanitaire. Une histoire du temps présent (Gallimard Le Seuil, coll. « Hautes études », 2010, 365 p., 21 €) peut s’enrichir d’un nouveau chapitre avec les événements du Japon. Ce que l’auteur, sociologue et médecin, professeur à l’Institute for Advanced Study (Princeton) et à l’EHESS (Paris), appelle « gouvernement humanitaire », à savoir « le déploiement des sentiments moraux dans les politiques contemporaines », a semblé se produire avec difficultés, ou retard, dans le cas japonais. On a observé notamment une forte césure voire une claire opposition entre des autorités centrales déconnectées de la réalité des sinistrés du tsunami et de l'accident nucléaire, et des autorités locales au plus proches des drames individuels et collectifs et ressentant un sentiment de profond abandon par les responsables nationaux, révoltées même par l'incurie de Tokyo *. Ces autorités locales ont maintenu, dans des conditions extrêmes, le « gouvernement humanitaire ».

Vincent Duclert

* Voir notamment l'appel d'urgence lancé le 18 mars par le gouverneur du département de Fujushima, débordé par l'ampleur de la crise humanitaire dans cette région.  

Photographie New York Times

18 mars 2011

Fukushima vs Tchernobyl

Blog centrale 
La catastrophe nucléaire de Tchernobyl, commencée le 26 avril 1986, qui n’a toujours pas trouvé d’issue pérenne et dont les conséquences humaines, sanitaires, écologiques, demeurent considérables, est devenue l’échelle de mesure de celle de Fukushima. Le mimétisme est devenu même prégnant avec, hier, le ballet d’hélicoptères Chinook de l’armée japonaise déversant de l’eau de mer sur les réacteurs, rappelant celui des MI-6 de l’Armée rouge jetant des sacs de sable et d’argile sur le réacteur n°4, en feu, de la centrale de Tchernobyl.

En octobre 2006, nous avions publié dans les colonnes des pages Livres de La Recherche un compte rendu de l’ouvrage du philosophe Jean-Pierre Dupuy, Retour de Tchernobyl. Journal d'un homme en colère (Le Seuil, 2006, 180 p., 9 €), compte rendu que nous republions ici en remerciant son auteur, la sociologue Sezin Topçu (Centre Alexandre-Koyré).

Vincent Duclert

De ses cinq jours passés près de la zone contaminée par l’accident de Tchernobyl, le philosophe Jean-Pierre Dupuy nous offre à travers ce journal un récit émouvant de la confrontation de l’homme avec ce qu’il nomme le « mal invisible »: invisibilité des morts, des villages rasés, des habitants déplacés, des formes de vie anéanties. Si Dupuy avoue ressentir sur place de la honte au nom de toute l’humanité, celle-ci se transforme, à son retour à Paris, en une colère contre la raison technocratique, face à des experts officiels qui minimisent le nombre de victimes de l’accident (notamment le Forum Tchernobyl, groupe d’experts de l’AIEA qui parle de 4000 morts au total). L’auteur se révolte ainsi contre cette science qui se contente de faire sans penser à ce qu’elle fait, contre les « sectes » d’experts qui ont peur de la peur des autres, contre les « technocrates éclairés » qui, tout en étant conscients des problèmes, sont incapables de dépasser leur optimisme scientiste. On s’étonnera cependant que l’auteur, tout en démontrant qu’il n’existe pas de vérité « scientifique » sur les conséquences de l’accident, ne conclut pas à l’impossibilité de dresser un bilan des victimes. Il s’aligne sur l’estimation, récemment avancée par le physicien G. Charpak et ses collègues, de dizaines de milliers de morts, qu’il trouve « la plus rationnelle et la plus conforme à l’éthique » (p. 59). L'invisibilité du mal est-elle compatible avec la mise en chiffres du nombre des victimes? Quelle peut être la valeur d’un chiffrage basé sur une succession d'invisibilités? Par ailleurs, selon Dupuy, pour trouver la sagesse et éviter la catastrophe, l'industrie nucléaire doit prendre pour réel le contre-factuel, i.e. le « pire », qui ne s'est pas produit mais aurait pu se produire (l'accident aurait pu se conclure par une explosion nucléaire, et non uniquement thermique, auquel cas l'Europe entière serait devenue inhabitable) (p. 80). Mais qu’est-ce que la pensée du pire dans les circonstances réelles d’une catastrophe majeure ? Existe-t-il un pire absolu auquel l’esprit humain peut se confronter? Saurait-on déléguer sans cesse la réflexion sur le pire des pires aux fabricants mêmes du pire  (ici l’industrie nucléaire) ? À trop se focaliser sur la catastrophe à venir et à imaginer l’impossible comme réel, Dupuy ne s’attarde pas suffisamment sur ces questions. On notera d’ailleurs qu’après une visite sur le lieu de la catastrophe qui le bouleverse profondément, l’auteur n’adopte pas forcément une posture radicalement critique vis-à-vis du nucléaire comme par exemple celle, dès juin 1986, du philosophe allemand Günther Anders, dont Dupuy s’est inspiré et auquel il fait souvent référence. Au-delà des inévitables questions que pose un tel ouvrage, le témoignage et la réflexion de J.-P. Dupuy ont tout le mérite de nous mettre face à la catastrophe, actuelle et à venir, et d’éclairer ainsi le débat sur le risque nucléaire.

Sezin Topçu

Photographie : AP/New York Times

16 mars 2011

Aventures préhistoriques

Blog neer 
J’ai eu le privilège de lire, en avant première, Le meneur de meute, dernier tome de la trilogie Neandertal dessinée et écrite par Emmanuel Roudier et publiée par les éditions Delcourt. Emmanuel Roudier, outre Neandertal, est le scénariste et le dessinateur de la belle néandertalienne Vo’Houna (dont on espère que l’on pourra lire bientôt la fin de l’aventure). Neandertal raconte l’histoire d’un Néandertalien, Lagou, de la tribu des Torses rouges qui quitte son clan pour une quête riche en rebondissements et en rencontres avec d’autres groupes de Néandertaliens possédant des caractéristiques, des connaissances spécifiques de leur environnement, des traditions parfois très différentes des siennes (mais toujours une capacité d’accueil assez remarquable). Toutes ces différences deviendront complémentaires grâce et par Lagou et une jeune néandertalienne Mana, une presque (ou future) chaman de la tribu de la Lune.

Lagou souhaite, au départ de sa quête, acquérir une arme puissante (presque magique) indispensable à son désir de vengeance. Après le décès accidentel de son père, tué par un bison légendaire, Longue Barbe, son frère Kozamh a en effet aussi été victime de l'animal, avec la complicité de ses autres frères Huor, Gohour et Feydda (ce dernier est particulièrement cruel et rusé, et désireux d’être le chef de chasse de son clan). Lagou, excellent tailleur d’éclats moustérien (avec un mode de débitage Levalllois, que nous montre en détails Emmanuel Roudier), est aussi diminué physiquement. Il n’est donc pas un chasseur de grand mammifère et n’accompagne pas ses frères dans cette activité, ce qui lui a valu d'être épargné. Mais désireux de venger le meurtre par procuration de Kozamh, il n'a de cesse de tuer Longue Barbe, pour démontrer ses capacités de chef de chasse et acquérir ainsi le respect de tous les membres de sa tribu.

Je ne vais naturellement pas raconter le déroulement de l’album, la fin de la quête. La créativité d’Emmanuel Roudier lui permet de développer une histoire où le lecteur trouvera beaucoup d’intérêts et de détails, de paysages préhistoriques. Je préfère plutôt aborder un point qui caractérise aussi l’auteur, à savoir son réel intérêt pour les résultats des sciences préhistoriques qu’il n’hésite pas à inclure dans ses histoires et sans que cela l’empêche de laisser libre court à son imagination. Il faut naturellement et aussi aller voir son blog où il discute souvent ces résultats.

Ainsi, Lagou – Néandertal aurait été le premier à apprivoiser, un peu accidentellement, des canidés (des loups). Car Lagou est aussi curieux et sensible. Il est intéressant de rappeler que certains scientifiques ont proposé récemment que des canidés aient été apprivoisés dès l’Aurignacien donc par les premiers Hommes modernes européens peu de temps après la disparition des Néandertaliens. Lagou va aussi très vite comprendre et réaliser plus profondément - que bien de ses contemporains - que tous les membres d’un clan peuvent être utiles, que les compétences sont complémentaires et qu’alors l’irréalisable est à porté du courage et de l’action commune. Ainsi, l’intelligence, la réflexion, l’apprentissage, l’entraînement servent mieux les objectifs que l’on s’est fixés que la vengeance qui, même si elle est juste, n’est pas toujours couronnée de succès. Hommes et canidés uniront ainsi leurs forces qui serviront la vengeance de Lagou (qui restera clément mais ne reculera pas devant la pression de son clan).

A la fin de l’album, les expériences de toutes les quêtes permettront à Lagou de proposer aux différents clans qu’il a rencontrés une alliance nouvelle, un partage des alliances (Lagou et Mana sont amoureux l’un de l’autre et Lagou partira vivre dans la tribu de Mana), des rassemblements de clan afin d’échanger les savoirs (et les gènes)… Ce melting pot moustérien a peut-être existé comme pourraient l’indiquer l’incroyable richesse archéologique de certaines régions privilégiées comme par exemple la vallée de la Vézère entre Montignac et Le Bugue…

Dans Le meneur de meute, ce sont les hommes qui quittent leur clan pour rejoindre celui de leur compagne (sauf quand la dite compagne est enlevée). Emmanuel Roudier anticipait ainsi, dans son scénario (souvent l’imagination des artistes va plus vite que la nécessaire réflexion cartésienne des scientifiques), une discussion suscitée par des résultats particulièrement intrigants - qu’il faudra confirmer - obtenus par l’équipe de C. Lalueza-Fox et publiés dans les Proceedings of National Academic Sciences of USA en janvier 2011. Ces chercheurs ont analysé l’ADN mitochondrial de 12 Néandertaliens, et l’ADN du chromosome Y des sujets masculins du même site : El Sidrón en Espagne. Résultats : les sujets masculins descendraient de la même lignée maternelle alors que les sujets féminins représenteraient des lignées maternelles distinctes. Ainsi, selon ce travail ce serait les femmes néandertaliennes qui quittaient leur clan pour aller dans celui du ou des pères de leurs enfants.

Bruno Maureille, Laboratoire PACEA, Bordeaux

 

15 mars 2011

La traversée des catastrophes

Blog japon 4 
La dignité des Japonais devant une catastrophe qui empire d’heure en heure, leur refus de céder à la panique, la résistance des sinistrés de la province de Sendai côtoyant la mort, la désolation, le dénuement, le froid, le recueillement pour les morts et l’attention aux vivants, les silhouettes dressées au milieu des paysages détruits, le courage des 600 000 déracinés forcent l’admiration. Les témoignages des journalistes et des photographes expriment cette détermination collective et individuelle à refuser le désespoir, à continuer. « Il faut y aller », comme a dit le philosophe Pierre Zaoui dans La traversée des catastrophes, assumant le devoir de regarder les expériences qui mettent à nu la dignité et la révèlent, plus forte que ce qui était imaginé. « Il faut continuer », mots qu’il emprunte à Beckett à la fin de L’innomable, et à Michel Foucault au début de L’ordre du discours. Ne rien lâcher. « Le cri sans phrase de la vie increvable de l’esprit une fois effondrées toutes les vieilles idoles [...], une exigence pure de continuer sous la reconnaissance apparente du discret, plus forte que toute raison, que toute excuse, que tout abandon ». Il faut la philosophie pour comprendre l’inconcevable au Japon, la force d’une humanité qui choisit de continuer.

Vincent Duclert

Pierre Zaoui, La traversée des catastrophes. Philosophie pour le meilleur et pour le pire, Le Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2010, 379 p., 23 €.

Photographie : New York Times

 

14 mars 2011

Tremblements de terre et tsunamis

Blog Japon AP 
La catastrophe naturelle qui a frappé le Japon le 11 mars a cumulé comme on le sait un tremblement de terre de magnitude 8,9 (à 9) sur l’échelle de Richter et un tsunami résultant notamment de la position de l’épicentre du séisme, sous la mer, à 130 km à l’est des côtes de la région de Sendai, à une profondeur de 24,4 km. Un épicentre situé sous le Japon proprement dit aurait paradoxalement limité la formation d’un tsunami dont on maîtrise moins bien la formation et l’impact qu’un tremblement de terre mieux connu au Japon. Les dégâts directs générés par celui du 11 mars ont été somme toute faibles, en tout cas sans commune mesure avec les conséquences de celui d’Haïti (12 janvier 2010) de magnitude pourtant inférieure (7 à 7,3). Le Japon a développé en effet des normes parasismiques de construction qui ont fait leurs preuves. La lutte contre les effets d’un tsunami est beaucoup plus aléatoire. Des brises lames peuvent réduire la force des vagues géantes mais sont incapables de juguler la soudaine montée des eaux ; l’effet des digues est aussi matière à question puisqu’une fois submergées et ne pouvant évacuer alors l’eau, elles accroissent l’ampleur des inondations. Le tsunami est aussi la cause du risque de catastrophe nucléaire ; c’est lui qui a fortement endommagé les systèmes de refroidissement des centrales situées sur le littoral. La première des précautions serait de ne pas construire sur ces zones, du moins de ne pas construire d’habitations permanentes ; mais le Japon souffre cruellement d’un manque d’espaces constructibles ; une grande partie de l’archipel est occupée par les massifs montagneux. L’évacuation rapide des zones menacées est une solution. Encore faut-il que l’épicentre soit suffisamment éloigné des côtes, comme ce ne fut pas le cas le 11 mars : les vagues de 10 mètres de haut ont mis quelques dizaines de minutes à toucher le littoral de Sendai, ravageant les ports et les espaces intérieurs sur plusieurs kilomètres, prenant au piège des milliers de personnes qui n'avaient pas eu le temps matériel d'évacuer les zones à risques malgré l’alerte immédiate au tsunami. Chaque personne disparue devra être restaurée dans son identité, son destin, à l’heure du souvenir et du recueillement. Les survivants et les vivants ne devront pas être oubliés non plus.

Blog trembl 
La conjonction des deux phénomènes, séisme et tsunami, est certes aléatoire mais elle est aussi connue. C’est ce que rappelle l’excellente étude du physicien Jean-Paul Poirier consacrée au tremblement de terre de Lisbonne le 1er novembre 1755 (Odile Jacob, 1005, 284 p., 25, 50 €). La catastrophe causa, d’après Voltaire, la mort de 100 000 personnes. Les estimations fiables, expliquent l’auteur, se montent aujourd’hui à 10 000 morts, soit 7% d’une population estimée à 150 000 personnes. Le tremblement de terre s’étant produit sur une faille sous-marine (la zone de fracture Açores-Gibraltar *), un tsunami en résulta ; les vagues atteignirent Lisbonne 30 minutes après l’onde de choc du séisme. D’une hauteur de 5 mètres, elles ne semblent pas avoir fait de dégâts considérables. Mais elles purent atteindre 15 mètres de haut à Cadix. Les contemporains furent frappés par la violence d’un séisme capable de détruire l’une des grandes capitales d’Europe. A l’effondrement des bâtiments s’étaient conjugués de nombreux départs de feu entraînant un énorme incendie dans la ville. L’impact du tsunami sur les représentations fut moins fort, même si la peur d’un engloutissement par la mer demeura prégnante. Les conséquences du tremblement de terre de Lisbonne étudiée dans l'ouvrage de Jean-Paul Poirier publié pour le 250e anniversaire du séisme furent considérables, tant sur le plan humain, matériel et économique qu’au plan intellectuel, spirituel et religieux comme l’atteste la querelle de l’optimisme et du problème du "mal sur la Terre" où s’illustrèrent notamment Voltaire et Rousseau.

Vincent Duclert

* Cette rupture entraîna un deuxième choc correspondant à la rupture de la faille de la basse vallée du Tage qui traverse Lisbonne.

Photographie Tadashi Okubo/AP