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avril 2011

28 avril 2011

Séquence BD

Deux Dupuis sinon rien pour cette séquence BD. Une seconde d’éternité (coll. « Repérages », 48 p., 11,95 €), le tome 7 des aventures de Lady S imaginées par Jean Van Hamme et restituée par le dessin très réaliste Philippe Aymond, ramène la jeune Shania Rivkas vers son passé de jeune Estonienne fuyant le KGB après l’arrestation de son père, un brillant bio-généticien. Celui-ci, emprisonné des années durant dans un laboratoire secret de Sibérie, réapparaît en plein congrès de médecine cellulaire à Nice en démasquant publiquement le premier responsable de cette conspiration d’Etat, Anatoli Koslov. Alors que le père est exfiltré par les services français, la fille en profite pour s’emparer, de nuit, dans la résidence ultrasurveillée du consul russe, des dossiers très compromettants de Koslov. Mais elle est arrêtée par la police – laquelle lui propose, par l’intermédiaire d’un étrange colonel, une périlleuse mission : infiltrer les mafias corse et russe en plein rapprochement. Les scénarii croisés finissent heureusement par se retrouver …

Blog bloche 
Mathias
, le tome 22 des aventures de Jérôme K. Jérôme Bloche imaginées et dessinées par Dodier (48 p., 11,95 €), détective privé « de quartier » (« il existe bien des médecins de quartier », dixit JKJB), spécialisé dans les disparitions de chats et de grand-mères, roulant en Solex dans les rues de la capitale ou à bord de la deux-chevaux de sa compagne Babette, est d’une autre trempe, tout en dérision et situations décalées. Ainsi, alors qu’il enquête sur Mireille, qui n’a plus donné de nouvelles à son amie Madame Zelda, tombe-t-il dans la maison de cette dernière sur une opération GIGN de haut vol à la recherche d’un tueur évadé. La confrontation des super-gendarmes avec l’impassible détective au sens de l’humour à toute épreuve donne lieu à des dialogues d’anthologie : « Ecoutez ! Je reconnais que j‘aurais dû garer mon Solex devant une porte de garage, mais de là à faire intervenir le GIGN… »

Vincent Duclert

 

26 avril 2011

Les vertiges de la technoscience

Blog bv 
La catastrophe de Tchernobyl, dont on commémore le 25e anniversaire, et celle de Fukushima datant d’un mois et demi seulement, illustrent les conséquences de la confusion grandissante entre la technique et la science, dont la philosophe et historienne Bernadette Bensaude-Vincent a dénoncé les dangers de substitution de l’une par l’autre, abolissant l’exigence critique au cœur de la démarche scientifique. Elle a appelé à un nouveau pacte de distinction, imaginant de « civiliser les technosciences », dans un ouvrage que l’on recommande, paru en 2009 : Les vertiges de la technoscience (La Découverte, coll. « Sciences et société », 224 p., 17 €)

Vincent Duclert

 

25 avril 2011

Les génocides et leur négation

Blog droit 
Aujourd’hui 25 avril a eu lieu la 7e journée de sensibilisation aux génocides et à leur négation. La restitution des logiques politiques, administratives, juridiques, conduisant à un génocide,  s'oppose efficacement aux entreprises négationnistes. Deux anciennes livraisons de la revue Le genre humain montrent l’importance de telles enquêtes puissamment documentées. Dédié à Robert Antelme, auteur de L’espèce humaine, l’un des plus forts témoignages sur le système concentrationnaire publié en 1947, « Le droit antisémite de Vichy » paru en 1996 a été dirigé par Dominique Gros qui était déjà, dans la livraison de 1994, « Juger sous Vichy », l’auteur de la contribution centrale : « Le droit antisémite de Vichy contre la tradition républicaine ». Des travaux à relire en ce jour et toujours.

La veille, 24 avril, marquait le 96e anniversaire du déclenchement du génocide arménien en 1915, dans l’Empire ottoman. Le premier génocide du XXe siècle et, à ce jour, le plus systématiquement nié par l’Etat turc et une partie de la société éduquée en ce sens.

Vincent Duclert

22 avril 2011

L'autre face de la lune

Blog cls 
L’enchainement des catastrophes au Japon a tragiquement rappelé à l’attention du monde l’importance et la valeur de la civilisation japonaise. Celle-ci, on le découvre avec une double publication des éditions du Seuil dans la prestigieuse collection de « La librairie du XXIe siècle », a été au cœur de la réflexion de Claude Lévi-Strauss. Premier de ces deux ouvrages qui fera son entrée dans « Le livre du mois » de La Recherche, au mois de juin, L’anthropologie face aux problèmes du monde moderne (150 p., 14,50 €) réunit trois conférences prononcées au Japon, au printemps 1986, lors du quatrième séjour du savant (il en effectuera cinq) à l’invitation de la Fondation Ishizaka. Ces textes sont précieux parce qu’on y entend un anthropologue soucieux de penser sa discipline et de confronter son savoir aux questions qui résistent, qui font problème, et même qui hantent l’inconscient des sociétés modernes. Pour cela, pour l’effort de restituer simplement la complexité du monde et des pensées qui l’étudient, ces conférences intéressent autant les spécialistes de Lévi-Strauss qu’elles constituent une rare introduction à l’œuvre du savant.

Le deuxième ouvrage rassemble les écrits de Claude Lévi-Strauss sur le Japon. L’autre face de la lune (190 p., 17,50 €) est introduit par la célèbre anthropologue japonais Junzo Kawada qui cite la préface de l’édition intégrale japonaise de Tristes Tropiques comme preuve de l'attachement de son auteur pour le Japon – et alors même qu'il n’y était pas encore venu. Cet attachement était comme un monde secret enfoui au plus profond de lui et agissant comme une conscience décisive.

« Nulle influence n’a plus précocement contribué à ma formation intellectuelle et morale que celle de la civilisation japonaise, confie ainsi Claude Lévi-Strauss en 1977, à la veille de son premier départ pour le Japon. Par des voies bien modestes, sans doute : fidèle aux Impressionnistes, mon père, qui était artiste peintre, avait dans sa jeunesse empli un gros carton d’estampes japonaises, et il m’en donna une quand j’avais cinq ou six ans. Je la revois encore : une planche de Hiroshige, très fatiguée et sans marges, qui représentait des promeneuses sous des grands pins devant la mer. Bouleversé par la première émotion esthétique que j’eusse ressentie, j’en tapissai le fond d’une boite qu’on m’aida à accrocher au-dessus de mon lit. L’estampe tenait lieu de panorama [...]. Aussi puis-je dire que toute mon enfance et une partie de mon adolescence se déroulèrent autant, sinon plus, au Japon qu’en France, par le cœur et par la pensée. Et pourtant, je ne suis jamais allé au Japon. Non que les occasions aient manqué ; mais sans doute, dans une large mesure, par crainte de confronter à l’immense réalité ce qui reste encore pour moi "le vert paradis des amours enfantines". »

Le Japon a ainsi représenté, pour Claude Lévi-Strauss, un lieu longtemps imaginaire par lequel l’homme et le savant se pensèrent tout autant qu’ils comprirent l’altérité et la beauté du monde. Si « le Brésil est l’expérience la plus importante de [sa] vie », le Japon demeure l’horizon indispensable aux rêves et aux amours, auquel on ne peut renoncer. Poser le pied sur cette terre inconnue et si attendue présentait bien un risque, celui de la déception, de la disparition des imaginaires. Mais la pensée de l’anthropologue est venue dire que l’attachement était intact, et qu’il était même renouvelé par l’enquête sur une civilisation si riche en enseignements pour l’humanité. C’est ce que Claude Lévi-Strauss souhaita écrire dans la préface à une nouvelle édition de Tristes Tropiques en 2001, « Un Tôkyô inconnu ».

« Il y a bientôt un demi-siècle, en écrivant Tristes Tropiques, j’exprimais mon anxiété devant les deux périls qui menacent l’humanité : l’oubli de ses racines et son écrasement sous son propre nombre. Entre la fidélité au passé et les transformations induites par la science et les techniques, seul peut-être de toutes les nations, le Japon a su jusqu’à présent trouver un équilibre. [...] Puisse celui-ci maintenir longtemps ce précieux équilibre entre tradition du passé et innovations du présent ; pas seulement pour son bien propre, car l’humanité entière y trouve un exemple à méditer. »

L’épreuve qu’affronte aujourd’hui le Japon concerne en cela chacun d’entre nous dont la solidarité affective, intellectuelle, ne doit pas faire défaut aux Japonais.

Vincent Duclert

 

20 avril 2011

Yachar Kemal en Quarto

Yachar kemal 
Les éditions Gallimard ont eu l’excellente idée de rééditer dans la collection « Quarto » la quadrilogie des aventures de Mémed le Mince de Yachar Kemal, à commencer par La saga de Mémed le Mince traduit en France en 1955. C’est l’histoire d’une résistance épique à toutes les formes d’oppression, révélant combien la culture turque populaire exalte une irrépressible affirmation de liberté dont Yachar Kemal s’est fait le poète et l’ethnologue. Ses romans sont précédés d’un long entretien avec Alain Bosquet traduit par le regretté Altan Gokalp. 1651 pages pour seulement 31 € !

Vincent Duclert

15 avril 2011

Le métier de critique. Journalisme et philosophie

Blog maggiori 
Hier comme chaque semaine depuis trente ans, Robert Maggiori a publié dans le cahier Livres de Libération un des articles de philosophie dont il a le secret. Une tentative de comprendre le travail des philosophes à travers un regard qui lui appartient en propre, cette fois sur les « Dernières lettres de Friedrich Nietzsche », les « lettres du philosophe avant et après le saut dans la folie ».

Les comptes rendus des livres de philosophie publiés par Robert Maggiori donnent son style et sa valeur au journalisme littéraire de Libération, pas seulement parce que de tels articles ouvrent généralement le cahier Livres et se déploient généreusement sur ses pages intérieures, mais principalement par leur manière de traiter les œuvres des philosophes. Le critique aborde les classiques –auxquels il consacre beaucoup d’attention – comme des œuvres dissidentes. A l’inverse, il montre comment les pensées plus radicales contribuent à l’élaboration des corpus classiques. Il s’applique aussi à montrer combien l’auteur fait corps avec sa pensée et travaille la philosophie comme un exercice de liberté. Maggiori a, incontestablement, inventé un genre dans la critique qui unit deux sphères apparemment inconciliables, journalisme et philosophie. Le métier de critique est pensé par lui comme une vocation. Il fait œuvre de philosophe en lisant, en écrivant, en publiant. L’originalité de son travail méritait d’y réfléchir. Le métier de critique (on entend résonner Le métier de vivre de Cesare Pavese) qui paraît aux éditions du Seuil (124 p., 14 €) introduit cette réflexion dans le style de son auteur, entre intimisme et universalisme. Et, pour une fois, Maggiori n’est pas coupé au « marbre » comme au quotidien. Les plus belles pages sont celles qu’il consacre aux philosophes disparus, dont il doit écrire sur le champ la nécrologie philosophique, autant d’oraisons funèbres dans la fabrique desquelles on entre un instant, un trop court instant. Le bref essai de Maggiori est édité, notamment, par Nicolas Demorand, depuis peu directeur de la rédaction de Libération. On peut parier que la tonalité philosophique du cahier Livres ne disparaîtra pas de sitôt.

Vincent Duclert

07 avril 2011

Michel Foucault, suite

Blog herne 
Une équipe de chercheurs, souvent jeunes, rassemblés autour du Centre Michel-Foucault, a entrepris tout à la fois d’éditer une documentation considérable sur les travaux de Michel Foucault, d’opérer une génétique des textes, d’étudier l’œuvre et le travail intellectuel dont elle est issue, de comprendre comment celle-ci fut et demeure un ancrage décisif ou un dialogue nécessaire pour de nombreuses recherches en sciences sociales et humaines, de réinterpréter la trajectoire du savant en direction notamment de sa vocation philosophique,….

Parmi ces acteurs qui rendent la pensée de Michel Foucault particulièrement vivante, Jean-François Bert, qui publie aux éditions La Découverte un Introduction à Michel Foucault (coll. « Repères », 128 p., 9,50 €), Judith Revel, auteure de Foucault, une pensée du discontinu (Mille et unes nuits, coll. « Essais », 300 p., 18 €), Philippe Artières qui coordonne notamment, auprès de l’Institut mémoire de l’édition contemporaine, la publication aux Presses universitaires de Caen, de la série des Regards critiques qui s’intéressent à la réception de l’oeuvre (sur Les Mots et les Choses en 2009, 383 p., 12 € ; sur Surveiller et Punir en 2010, id.), ou Frédéric Gros qui a édité en 2008 les cours du Collège de France de l’année 1982-1983, Le gouvernement de soi et des autres (Gallimard-Seuil, coll. « Hautes études », 386 p, 27 €).

Tous les quatre viennent de publier un splendide Cahier de l’Herne consacré à Michel Foucault (415 p., 39 €).

Vincent Duclert

05 avril 2011

Leçons sur la volonté de savoir

Blog foucault 
Une forte actualité éditoriale entoure l’œuvre de Michel Foucault – même si la notion d’œuvre a subi avec lui de profondes remises en cause. La publication des cours du Collège de France se poursuit dans la collection « Hautes Etudes » co-éditée par Gallimard, Le Seuil et les éditions de l’EHESS. Leçons sur la volonté de savoir porte sur les cours de l’année 1970-1971, c’est-à-dire la première année de son enseignement dans le cadre de la chaire créée le 30 novembre 1969, « Histoire des systèmes de pensée ». Le cours est complété, pour la conférence du 17 mars, par un développement présenté au Etats-Unis et consacré à la tragédie de Sophocle, Œdipe Roi, où s’affrontent cinq savoirs. Cette publication du premier cours confirme combien la chaire de Foucault fut un laboratoire décisif de son travail d’élucidation et d’écriture. Daniel Defert, son compagnon et spécialiste de son œuvre, signe une longue « situation du cours » qui clôt une édition qu'il a intégralement préparée, dans le cadre de l'entreprise de publication des cours également dirigée par François Ewald et Alessandro Fontana (320 p., 23 €). On pourra regretter, même si elle fut disponible en librairie dès mai 1971, que l'édition n'intègre pas la leçon inaugurale du 2 décembre 1970, L'Ordre du discours

A suivre donc.

Vincent Duclert

 

01 avril 2011

Une mission sur l'éthique et la déontologie universitaires

On se souvient de la fin tragique de Marie-Claude Lorne, maîtresse de conférences à l’université de Bretagne occidentale, poussée au suicide le 22 septembre 2008 à l’annonce de sa non-titularisation -un fait rarissime dans le monde universitaire. Le Blog des Livres avait publié deux articles sur ce drame, un de Pascal Acot (http://larecherche.typepad.fr/le_blog_des_livres/2008/11/pour-la-m%C3%A9moire-de-marieclaude-lorne.html ), un autre de moi-même (http://larecherche.typepad.fr/le_blog_des_livres/2008/11/le-suicide-dune.html#tp )

La ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a reçu un rapport de l’inspection générale (selon L’Express du 30 mars) ; dans la foulée, Valérie Pécresse a nommé une commission sur l’éthique et la déontologie universitaires présidée par la philosophe Claudine Tiercelin, professeure au Collège de France. Interrogée sur France-Info le 30 mars, la ministre a souhaité également que « des procédures disciplinaires soient lancées » au vue de toute « une série de dysfonctionnements à l’université » révélés par l’enquête sur la mort de la philosophe et enseignante. Le rôle de l’Association des amis de Marie-Claude Lorne a été décisif pour que l’oubli ou l’indifférence ne recouvre pas cet événement inacceptable du monde universitaire.

Vincent Duclert