Le texte digne et fort signé par Jacques Dubucs, Jean Gayon, Joëlle Proust, Anouck Barberousse et Philippe Huneman « Une philosophe broyée par l’Université de Brest » (blog « 24 heures Philo »), m'avait convaincu de ne rien ajouter par respect pour la mémoire de Marie-Claude Lorne, et aussi pour ses proches. Le post de Vincent Duclert « Suicide d'une philosophe française » (15 novembre, sur ce blog) m'a fait changer d'avis à la fois par les informations nouvelles qu'il contient et par ce qu'il est possible de comprendre en suivant les liens qu'il propose. La lecture de ceux-ci fait en effet surgir des exigences qu'il est urgent de satisfaire car les rumeurs contradictoires sur l'internet sont odieuses. Quelques exemples : Marie-Claude Lorne a-t-elle été licenciée ? Ou non-titularisée dans son poste ? Est-il exact qu'elle n'a été prévenue que quelques jours avant la rentrée, soit près de trois mois après la décision de la commission ? Et si cela est vrai, comment a-t-elle été prévenue et pourquoi si tard ? On attend de la présidence de l'Université de Brest de la transparence, des déclarations claires, et la publication du procès-verbal produit par la commission. Est-il vrai que cette commission a reproché à Marie-Claude Lorne, MDC stagiaire, de ne pas résider à Brest ? (si cela était avéré, il eut été aussi bête de lui reprocher de ne pas parler breton). La lumière doit donc être faite publiquement sur l'argumentation du procès-verbal, et il convient que celui-ci soit authentiquement daté. En outre, est-il exact que seulement deux personnes - on comprendra que j'évite le mot « collègues » - ont pris la décision qui a brisé la vie de Marie-Claude Lorne ? Car une commission à deux n'est plus une commission mais une félonie. Dans ce cas, une élémentaire démarche de la présidence de l'Université serait de faire publiquement connaître les mesures envisagées, ou déjà prises – on veut le croire, pour éviter un tel scandale dans l'avenir (et que la procédure soit légale n'atténue pas le scandale, c'est même tout le contraire). Nul doute que les exigences modestes qui viennent d'être formulées et qui sont à l'évidence très largement partagées, seront bientôt satisfaites – peut-être le sont-elles déjà au moment où ces lignes sont écrites ? Ce serait bien pour l'honneur de l'Université de Brest et cela mettrait un point final aux rumeurs délétères pour la mémoire de Marie-Claude Lorne comme l'Université tout entière. Faute de quoi on pourrait légitimement s'interroger sur la fonction réelle de nos institutions. L'illusion est en effet très répandue dans le public que les qualités académiques vont inévitablement de pair avec la droiture morale, le courage, la fermeté d'âme, la sincérité et autres fariboles pour la frange des universitaires prêts à perdre leur âme pour négocier des avantages de carrière. Le propre d'une institution digne de ce nom est d'empêcher ces gens de nuire. Vaste programme, certes, mais pas tant que cela si nous faisons valoir, nombreux, notre combat contre tous ceux qui, à Brest et ailleurs, haïssent ce qui n'est pas médiocre dans l'Université et la recherche. A l’heure où les communautés des chercheurs et des enseignants-chercheurs entrent dans une période de profonde incertitude, où elles s’interrogent sur les menaces qui pourraient peser sur la liberté même de la recherche, où elles mesurent aussi tout les humiliations imposées à de brillants docteurs devenus personnels précaires ou même rien du tout dans l’université, la première des urgences est de remettre un peu d’éthique dans nos pratiques. De le dire et de l’écrire. La mort de Marie-Claude Lorne n’est peut-être pas l’affaire Dreyfus à laquelle certains blogueurs l’ont comparée (sur Agoravox), mais il n’empêche qu’elle nous oblige toutes et tous à défendre les idéaux qui nous animent. Et en premier lieu, celui de la vérité. C’est à cet effort de sens que nous sommes conviés, pour garder la conscience de ce qu’on ne voit pas, et qui est pourtant si proche.
Pascal Acot Institut d'Histoire et de Philosophie des Sciences et des Techniques