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27 novembre 2008 |

28 novembre, Claude Lévi-Strauss

Blog lévi Claude Lévi-Strauss aura cent ans demain 28 novembre. Une grande journée d’hommages et de lectures est organisée notamment au musée du Quai Branly. Philippe Descola, qui y participe, avait donné à La Recherche pour le numéro de juillet-août 2008, son regard sur les Œuvres de Claude Lévi-Strauss, édité par Vincent Debaene, Frédéric Keck, Marie Mauzé et Martin Rueff, dans la « Bibliothèque de la Pléiade » (2008, 2063 p., 71 €). Nous republions ci-dessous le texte de l’anthropologue et professeur au Collège de France.

« Il faut saluer l’entrée de Claude Lévi-Strauss dans la Bibliothèque de la Pléiade comme une consécration à la hauteur de l’influence que le célèbre anthropologue exerce sur la pensée contemporaine. Parmi les savants, Pascal et Buffon avaient bien été accueillis dans cette prestigieuse collection avant lui, toutefois moins en raison de leurs mérites scientifiques que pour leur contribution à la littérature et à la philosophie. Ce n’est pas le cas pour Lévi-Strauss, certes l’un des grands écrivains en langue française du XX° siècle, mais aussi et surtout la figure majeure de l’anthropologie de cette époque, et celui qui a permis que ce rameau encore vert des sciences sociales et humaines renouvelle avec éclat, et en s’appuyant sur un luxe de données empiriques, les questions épistémologiques et morales que l’anthropologie philosophique abordait jadis de façon spéculative. Le choix des textes retenus par Lévi-Strauss pour composer cette édition montre bien que c’est cet apport scientifique qu’il a d’abord voulu mettre en exergue, chacun des livres illustrant une manière particulière, et souvent assez technique, de faire ‘parler’ les faits ethnographiques. Le volume est scandé par quatre étapes du cheminement intellectuel de Lévi-Strauss. Il débute avec Tristes Tropiques, le plus célèbre et le plus accessible de ses ouvrages, inclassable vagabondage autobiographique à mi-chemin entre l’humanisme incisif des Essais de Montaigne et la chronique savante et tendre de l’altérité exotique. Le deuxième bloc a une tournure plus philosophique : il regroupe deux ouvrages indissociables, Le Totémisme aujourd’hui et La Pensée sauvage, dans lesquels Lévi-Strauss explore les logiques intellectuelles des peuples sans écriture, montrant avec un virtuosité étourdissante comment les qualités ‘secondes’ (les impressions sensibles que la perception dépose en nous) peuvent fournir la matière de constructions mentales aussi complexes et rigoureuses que celles dans lesquelles les sciences s’engagent lorsqu’elles traitent des qualités mesurables du réel. Le troisième bloc est constitué par ce que Lévi-Strauss a appelé ‘les petites mythologiques’, c’est-à-dire trois livres – La Voie des masques, La Potière Jalouse, Histoire de Lynx – qui complètent sur des points particuliers l’imposante enquête sur les mythes dont il a livré les résultats dans les quatre volumes des Mythologiques, permettant ainsi, à qui n’aurait pas le loisir ou le courage de s’immerger pendant deux mille pages dans un océan narratif saturé de plantes, d’animaux et de tribus aux noms mystérieux, de comprendre sur quelques exemples comment ‘fonctionne’ l’analyse structurale des mythes et l’extraordinaire rendement qu’elle peut avoir pour éclairer des questions en apparence aussi dissemblables que l’iconologie des masques amérindiens, les ressorts de la jalousie ou la tragédie de la conquête des Amériques. Le dernier livre, Regarder écouter lire, ressaisit le fil de l’art qui traverse toute l’œuvre de Lévi-Strauss, mêlant l’analyse des chefs-d’œuvre d’Occident à ceux des autres civilisations dans une démonstration magistrale de ce que l’analyse structurale est aussi, et peut-être même en premier lieu, une esthétique. L’édition est admirable : non seulement Lévi-Strauss lui-même a révisé ses textes – et rajouté quelques notes, dont certaines témoignent d’un intéressant rapprochement avec Auguste Comte –, mais les auteurs des copieuses notices et présentations, stimulés sans doute par leur objet, font partager au lecteur leur grand savoir avec un rare et joyeux bonheur d’expression. Bref, un classique, c’est-à-dire une œuvre d’une telle audace qu’elle s’est libérée de l’actualité, autorisant ainsi que l’on y revienne constamment puiser de quoi stimuler la pensée. »

Philippe Descola, Collège de France

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