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octobre 2008

31 octobre 2008

Produire le monde

Blog_juvin Hervé Juvin est un manager éclairé qui réfléchit aux transformations du monde qu’il arpente dans ses voyages et ses lectures. Avec Produire le monde sous-titré Pour une croissance écologique et publié dans la collection de la revue Le Débat (Gallimard, 313 p., 20 €), il constate que les biens naturels comme l’air ou l’eau, sans lesquels la vie – sans parler du progrès - n’aurait pas été possible deviennent, de par leur raréfaction et leur coût, des enjeux financiers et industrielles considérables : en effet, une économie de la production de ces biens est déjà à l'œuvre, et elle porte en elle un dynamisme dont il faut avoir conscience, plutôt que de s’illusionner sur un possible retour à la nature. Ecrit dans un style inspiré, l’essai ne laisse pas indifférent même s’il tend à trop embrasser. L’auteur y développe une véritable philosophie du nouveau monde, haletante et passionnée.

Vincent Duclert, EHESS

30 octobre 2008

De la politique aux Etats-Unis

Blog_lacorne Au lendemain du message présidentiel délivré par le candidat démocrate Barack Obama, pendant une demi-heure, sur trois grands réseaux nationaux de télévision, et du meeting commun de ce dernier avec l’ancien président Bill Clinton en Floride, on peut s’interroger sur les fondements de la politique américaine. L’étude de Denis Lacorne, De la religion en Amérique. Essai d’histoire politique (Gallimard, coll. « L’esprit de la cité », 2007, 247 p., 15 €), apporte de précieux éclairages. L’auteur, directeur de recherches au CERI, envisage la construction progressive d’une « laïcité philocléricale, soucieuse de respecter toutes les religions sans discrimination aucune, tout en préservant, autant que faire se peut, la vieille tradition américaine du mur de séparation entre l’Eglise et l’Etat ». Mais si les Etats-Unis se retrouvent autour d’une religion, c’est bien avec la politique elle-même, et la contribution essentielle de Barack Obama, à cinq jours du scrutin décisif, est de lui avoir redonné un sens, c’est-à-dire de l’avoir ramené vers la société en démontrant qu’elle demeure la condition première du progrès et de la concorde. Ce que les Républicains ont eu tendance à oublier en procédant à une véritable privatisation de ce bien public.

Vincent Duclert, EHESS

29 octobre 2008

L'expédition d'Egypte

Blog_bonaparte_2 « Vœu de la Révolution, rêve échoué de Bonaparte, l’expédition d’Egypte figure aujourd’hui encore comme un épisode dont toutes les ambiguïtés n’ont pas été levées, tant furent multiples – voire contradictoires – les intentions coloniales et les conséquences diplomatiques », écrivent Laure Murat et Nicolas Weill dans leur ouvrage de la collection de poche « Découvertes Gallimard » consacré à L’expédition d’Egypte. Le rêve oriental de Bonaparte (1998, 160 p., 13,50 €) et réédité cet automne. De fait, les deux auteurs n’esquivent pas les questions posées par cette entreprise impériale autant que scientifique. D’un certain point de vue, la rédemption fut assurée par le legs considérable de l’expédition d’Egypte en matière de savoir et de connaissance. Le cinquième et dernier chapitre de l’ouvrage expose toute l’importance du « grand ouvrage », c’est-à-dire la Description de l’Egypte en vingt volumes due aux savants de la Commission des sciences et des arts et de l’Institut d’Egypte. C’est « la victoire de l’esprit » pour Laure Murat et Nicolas Weill, et celle-ci encouragea le vice-roi d'Egypte Mohammed Ali, accédant au pouvoir en 1805, à se présenter comme « le continuateur musulman de l’œuvre de Bonaparte ». Les grandes victoires politiques sont celles de l’esprit. C’est une leçon à rappeler toujours.

Vincent Duclert, EHESS

Le dynamisme du secteur Poche de l'édition française nous incite à intensifier, ici sur ces pages du Blog des Livres/La Recherche, le nombre des recensions consacrées à ces petits ouvrages précieux et abordables. Ce "post" est ainsi le premier de notre rubrique "Bibliothèque des Poches". 

28 octobre 2008

Des clous dans la Joconde

Blog_bazin Jean Bazin, mort en 2001, n’avait jamais publié de livre de son vivant. Il estimait, modeste et insatisfait, que ses textes devaient être retravaillés. Grâce au travail éditorial d’Alban Bensa, lequel est aussi la manifestation d’une vieille amitié, on peut avoir accès à une œuvre originale et fort dérangeante, parce qu’elle entend débarrasser l’anthropologie de ses routines et de ses illusions, qu’elle a d’ailleurs souvent contractées dans la période coloniale (Jean Bazin, Des clous dans la Joconde. L’anthropologie autrement, Toulouse, Anacharsis, 2008, 608 p., 28 €). Faire de l’anthropologie autrement, ce n’est pas nécessairement faire de l’anthropologie négative : si ses collègues redoutaient quelquefois cet empêcheur de penser en rond pour sa rigueur et sa franchise, ils n’en connaissaient pas moins la fécondité de ses analyses. L’ouvrage contient dix-sept contributions dont une seule, le « Chalet basque », est inédite. Les autres textes ont suscité de vifs débats dans la communauté anthropologique et au-delà car ils forçaient tous à penser de manière critique les pratiques ordinaires des sciences de l’homme. Comme beaucoup d’autres, Jean Bazin avait commencé par être philosophe avant de faire du terrain en Afrique. Mais, à la différence de beaucoup de ses collègues, il l’était resté, comme le fait remarquer Vincent Descombes, co-préfacier de l’ouvrage. Il n’avait pourtant jamais renoncé au travail empirique, comme l’explique en toute connaissance de cause l’autre préfacier, Alban Bensa. Dans une série de textes denses mais toujours aisés à lire, Jean Bazin, nourri simultanément de la pensée de Marx et de celle de Wittgenstein, un alliage rare mais fécond ici, montre que la « culture » n’est pas un fait d’observation, ni une donnée d’expérience (ce que l’ethnographe rapporterait du terrain), mais c’est le produit d’une opération dont il convient de faire l’analyse critique. Contrairement au discours aujourd’hui dominant de la diversité culturelle, Bazin pense que le travail de l’anthropologie n’est pas de promouvoir l’altérité, mais de la réduire. C’est l’occasion pour lui de faire une très belle analyse de la notion d’authenticité et une déconstruction de la notion d’ethnie, dont le très beau texte « A chacun son bambara », témoigne magistralement. Il écrit ainsi : « Qu’on croit ou non à sa réalité substantielle, l’ethnie est ce sujet fictif que l’ethnologie contribue à faire être, le perpétuant comme entité de référence dans son espace savant, grâce à ses procédures inductives et attributives par lesquelles un contenu de savoir, si disparate soit-il, se trouve réuni et subsumé sous un seul nom, dans le même compartiment d’un fichier » (p. 107). Dans ses textes sur la description ou sur la production du sens dans l’opération ethnographique, il contribue d’une manière inédite à l’épistémologie des sciences sociales. À la différence de Dan Sperber, dans le Savoir des anthropologues, Jean Bazin ne renonce pas à l’anthropologie pour aller sur d’autres terrains : il recommande simplement une anthropologie armée par la philosophie et nourrie d’une réflexion politique, particulièrement sensible dans ses remarquables travaux d’anthropologie historique sur le royaume de Segou, où il montre l’existence d’un champ politique inchoatif, mais déjà présent. La reconnaissance d’une dimension proto-politique de la vie collective permet de ne pas tomber dans l’illusion des sociétés sans Etat comme sociétés libérées de l’instance politique. La critique serrée de l’œuvre de Pierre Clastres constitue l’un des moments forts du volume.

Pourquoi des clous dans la Joconde : une belle réflexion comparée sur le statut respectif d’un fétiche à clous africain présenté dans un musée et de la Joconde donne lieu à une analyse des rapports complexes de la chose et de l’objet, qui permet de comprendre beaucoup de choses sur le puissant mouvement d’esthétisation du primitif que l’anthropologie a ouvert et consolidé. Il est aujourd’hui possible de lire Jean Bazin aisément : remercions-en ses courageux éditeurs.

Jean-Louis Fabiani, EHESS

27 octobre 2008

La Grande Guerre aujourd'hui

Blog_audoin Stéphane Audoin-Rouzeau, dont le livre Combattre a fait l'objet d'un post le 3 avril 2008, vient de publier, avec Gerd Krumeich, comme lui historien, un livre poignant et beau, toujours sur la Grande Guerre, mais cette fois sur ce qui en demeure dans les champs de bataille : barlelés, cimetières, tombes, ruines, abris, tranchées, empreintes, etc. (Cicatrices. La Grande Guerre aujourd'hui, Editions Tallandier, 2008, 180 p., 39 €). L'ouvrage doit plus que beaucoup au talent remarquable du photographe Jean Richardot. Depuis l'année 2000, celui-ci a travaillé en noir et blanc, dans la boue, la neige, les sentiers détrempés, dans ce qui reste des tranchées, dans les forêts dévastées, dans les plaines vagues de la Somme, dans ce qui reste des abris... bref, partout où les stigmates des combats sont encore visibles, comme d'éternelles cicatrices : « Sur les routes de la Somme, depuis une voiture, il faut un oeil exercé pour apercevoir de loin en loin, les obus couchés sur le bord du fossé » ! Les prises de vue sont méditées, et les tirages splendides car jamais forcés ; le tout au service de l'étonnant projet des auteurs. Et en retour, ceux-ci nous offrent des légendes à la hauteur simple des images : « A l'arrière-plan, le barbelé destiné aux bêtes semble dérisoire comparé à celui que la Grande Guerre avait réservé aux hommes. » Les textes gravés, souvent dans des carrières d'arrière-front, sont touchants et parfois mystérieux : « (...) un blockaus allemand au fronton bien travaillé. Une date. Et un nom de femme. Par dérision ? Par nostalgie ? » Et, des bouteilles de vin qui ont subsisté en nombre, les auteurs disent simplement l'essentiel, poignant et vrai : « Partout où les soldats ont vécu et se sont battus, les bouteilles signalent aujourd'hui leur présence... » Car tout poussait à boire au front : « le manque d'eau, le froid, l'ennui, la camaraderie, la violence et la peur ». On apprend aussi que des réseaux de pillage opèrent aujourd'hui sur les champs de bataille car les vestiges des combats sont devenus l'objet d'un marché... Il était temps que ce beau livre préserve pour nos mémoires ce qui peut encore l'être.

Pascal Acot, CNRS-IHPST

24 octobre 2008

Sortir de la nuit

Blog_calabresi Les sociétés comme les individus peuvent avoir la mémoire courte. Sous-titré sobrement une histoire des années de plomb, le très beau texte que nous offre aujourd’hui Mario Calabresi, célèbre journaliste politique italien, des années qui suivirent l’assassinat de son père le commissaire Luigi Calabresi par les Brigades Rouges en mai 1972 alors qu’il était âgé de deux ans, n’est pas seulement remarquable par ses qualités de plume (traduit par A. Bokobza, Gallimard, 2008, 163 p., 13,90 €). Lu comme un récit intime, ce livre pourrait avoir quelque chose de rassurant, exemple d’une résilience réussie et pouvant prétendre à ce titre figurer au nombre des cas analysés par le psychanalyste B. Cyrulnik pour qui l’individu « résilient » sort renforcé de l’épreuve qu’il a subit. A l’échelle de nos sociétés la conclusion est différente. En subtil analyste politique qu’il est, M. Calabresi montre, à travers l’histoire de sa famille, comment nos démocraties préfèrent se masquer à elles-mêmes, aujourd’hui encore, les assauts dont elles sont victimes. La nuit dont il nous fait le récit n’est pas seulement la sienne, celle d’une jeune épouse de 25 ans et de ses trois fils dont l’un était encore à naître, celle de la démocratie italienne ; c’est aussi la nôtre, celle dans laquelle vivent les familles des victimes du terrorisme, juges ou des policiers qui tombèrent en Italie sous les balles des brigadistes, des victimes de la bande à Baader en Allemagne ou d’Action directe en France, ces victimes « à valeur universelle » comme le déclarait M. Calabresi lui-même lors du symposium organisé à l’ONU en septembre 2008. L’oubli constitue-t-il la meilleure défense des démocraties comme il l’est dans le cas de la résilience ? On doit s’interroger au moment où d’anciens terroristes font leur apparition en Italie sur les bancs du Parlement ou se voient accorder des tribunes dans la presse comme en France des membres d’Action Directe. La force du livre de Calabresi tient dans les deux chemins parallèles qu’il trace: celui de l’enfant Mario, qui trouve dans l’énergie de sa mère la force de s’engager dans la vie et de surmonter son passé – l’action la plus symbolique consistant à se débarrasser des coupures de presse accumulées pendant des années sur l’assassinat de son père- ; celui de la société italienne qui s’est affaiblie de n’avoir pas su affronter en face le problème du terrorisme toujours considéré comme un épiphénomène, une maladie de jeunesse de nos sociétés. Sur le terrorisme, le travail de mémoire est encore devant nous.

Perrine Simon-Nahum, CNRS

23 octobre 2008

CNRS, un nouveau logo

Blog_cnrs_2 « Valeurs portées par le logo » : « La forme, imparfaite, évoque la matière mise à disposition des chercheurs par notre planète, son environnement et ses ressources. Une matière malléable et souple, prête à se livrer aux savoirs et expertises de la recherche scientifique comme la motte de terre glaise destinée à être travaillée par les mains habiles du sculpteur. Le choix des caractères en bas de casse pour l’acronyme CNRS permet de démythifier l’organisme. L’institution démontre ainsi sa volonté de se rendre plus accessible. Enfin, l’accident visuel que représente la signature, dépasser les frontières, intégrées dans un sens de lecture différent de celui, naturel, de l’acronyme, démontre la capacité de l’organisation à se détacher des usages courants et sa capacité à aller vers des champs inexplorés propres à l’exercice de ses missions de recherche. »

Je n’ai résisté pas à une citation des documents qui accompagnent le nouveau logo du CNRS. A vous de méditer sur ces valeurs... et leur impact sur les pratiques de recherche. Connaissant la grave crise que traverse le CNRS, je considère ce changement de logo (et les longues explications concernant son décryptage) comme un signe supplémentaire de malaise. Pense-t-on que la communication et ses outils vont remplacer une réflexion en profondeur et une concertation plus large sur le rôle et la place du CNRS dans notre société. Signalons à cet égard que le logo « n'utilise plus le développé du CNRS », est-il précisé, alors que l'un des objectifs du changement de logo est une meilleure visibilité du CNRS !

Isabelle Backouche, EHESS

Une analyse plus détaillée des attendus de ce nouveau visuel est disponible sur : http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php?article2150

22 octobre 2008

Fritz Haber par David Vandermeulen

Blog_haber Le tome 2 de l’album de David Vandermeulen, Fritz Haber. Les héros (Delcourt, « Mirages », 2008, 156 p., 17,40 €) a été honoré par le Grand Prix de la bande dessinée des Rendez-vous de Blois. Nous en avions, dans La Recherche du mois de février (2008), publié la critique due à Anne Rasmussen, de l’université de Strasbourg.

Nous la republions ici.

C’est un étonnant pari que de proposer en bande dessinée une authentique biographie du chimiste allemand Fritz Haber (1868-1934), connu pour sa découverte de la synthèse de l’ammoniac, mais plus sûrement pour une funeste postérité, qui en fait l’initiateur de l’usage des gaz de combat dans la Grande Guerre. Après un premier volume intitulé L’esprit du temps, et en attendant la parution annoncée de trois autres tomes, cet album suit l’ascension de Fritz Haber dans la société impériale allemande, de 1908 à décembre 1914 : depuis sa collaboration avec Carl Bosch au sein de la firme BASF aboutissant au formidable développement industriel de la production synthétique de nitrates destinés à la fertilisation agricole, à son intronisation comme directeur du Kaiser Wilhem Institut de chimie-physique de Berlin – ce qui en fait un personnage majeur de la science allemande –, et jusqu’aux prodromes de la militarisation de la production chimique du Reich au service de l’effort de guerre. Le tableau des élites de l’Allemagne impériale est assez implacable : une société aristocratique et nationaliste, colonialiste et hiérarchique, où la judaïté du pourtant très patriote et militariste Haber n’est pas sans rendre difficile son intégration dans les sphères du pouvoir industriel et politique. Le titre de l’album évoque pourtant des « héros ». Faut-il ainsi désigner les personnalités d’envergure que côtoie Haber : Walter Rathenau, symbole de ces élites de la politique et des affaires, Chaïm Weizmann, le leader sioniste, ou encore Albert Einstein, l’ami proche d’Haber ? Ou faut-il plutôt voir dans « le culte des héros » un des caractères qui nourriront les démons de l’Allemagne du XXe siècle ? Le propos est servi par des vignettes d’une peinture aux tons sépia, qui font penser aux images du cinéma muet, avec des cartons intercalés et des sous-titres. Un procédé qui estompe tous les contours et les traits des personnages, et qui affirme ainsi un parti résolument esthétique autant qu’historique.

21 octobre 2008

Esprits d'Europe

Blog_europe Une autre Europe, ce titre d’un ouvrage de Czeslaw Milosz était porteur d’un message fondateur, un quart de siècle avant que notre vocabulaire n’en fasse un syntagme politique. C’est cette lecture du destin de l’Europe, dont Milocz, Jan Patocka et Istvan Bibo furent les héraults, qu’Alexandre Laignel-Lavastine a proposé, dans un ouvrage déjà ancien mais toujours actuel, Esprit d’Europe (Calmann-Lévy, 2005, 353 p., 22 €). Le parcours qu’elle propose ne vise pas seulement à réhabiliter l’œuvre de trois géants de la pensée occidentale. Longtemps confiné dans un confort intellectuel consistant à identifier l’Europe de l’Est au combat anti-totalitaire, nous avons sciemment ou inconsciemment ignoré la remise en cause de nous-mêmes que formulaient ses penseurs à l’ombre d’un destin politique née de notre modernité. Leur combat devenu le nôtre, nous sommes encore sourds devant la puissance existentielle de leur expérience. L’Europe de l’Est n’est plus une exception politique. Elle n’est pas non plus un problème économique. Voici venu le temps d’entendre enfin ces propositions d’un avenir différent, celui dessiné par les écrivains et penseurs qui, souvent martyrs de leur cause, nous invitent depuis l’Est à renouer avec ce que la pensée et l’action politiques possèdent d’essentiellement humain. Le lecteur l’aura compris. Il ne s’agit pas seulement là d’un livre important mais d’un livre urgent, à lire ou relire.

Perrine Simon-Nahum, CNRS

20 octobre 2008

La nouvelle question scolaire

Blog_maurin Au lendemain d’une manifestation importante d’opposants aux réformes du ministre de l’Education nationale Xavier Darcos, et que l’on soit favorable ou hostile aux projets du gouvernement, on ne peut s’empêcher de constater que l’école continue de demeurer l’objet de toutes les attentes collectives et individuelles. La raison de cette attention extrême vient de l’histoire, la IIIe République ayant placé cette institution de savoir et ses serviteurs (les « hussards noirs » honorés par Charles Péguy) au cœur de son projet intellectuel et national ; elle émane aussi de l’idée largement partagée qu’en face des incertitudes de l’avenir et des difficultés de l'existence, l’école demeure la garantie de pouvoir construire sa vie et choisir son destin. Les résultats ne sont certes pas à la hauteur de cette certitude, de cette croyance, mais celle-ci anime encore les adultes et de nombreux adolescents. Cependant, l’écart entre les vertus conférées à l’école et les échecs présumés de la scolarisation a nourri la logique des réformes gouvernementales (l’autre donnée résultant de la nécessité de réduire le budget de l’Education nationale afin de faire baisser le déficit des finances publiques). A cet égard, on conseillera de lire ou de relire l’ouvrage d’Eric Maurin paru l’année dernière. Ce jeune économiste a démontré, dans un essai méthodique et inspiré, La nouvelle question scolaire (Seuil, 272 p., 18 €), les bénéfices qu’assurent, pour l’institution en général et les élèves en particulier, les politiques de démocratisation de l’école. Celles-ci ont défini les années 1980 en France. De ce point de vue, il serait suicidaire de revenir à la situation antérieure, à moins de vouloir renoncer définitivement à maintenir de la mobilité et du progrès dans la société. Soutenir un projet de démocratisation de l’école suppose un effort accru en direction des élèves en difficulté afin de les amener à niveau et de leur apporter les moyens d’apprendre, de comprendre. Mais cela implique aussi de garantir à tous un même enseignement de qualité et d’exigence, et de ne pas sacrifier les savoirs fondamentaux. Car l’école et ses politiques, comme l’écrit avec gravité Eric Maurin, relèvent d’une histoire qui les dépasse, à savoir « le long mouvement des démocraties vers une plus grande égalité entre personnes issues des milieux sociaux différents. Dans l’économie générale de cette histoire, la promesse d’égalité n’a, en effet, jamais pu se réduire à l’égalité formelle des droits civils et politiques : elle a du faire face très tôt, sinon à une demande d’égalité des conditions réelles d’existence, du moins à une revendication d’égalité des chances scolaires entre enfants d’origines sociales différentes. »

Ces quelques lignes de La nouvelle question scolaire disent aussi l’esprit du livre d’Eric Maurin qui démontre les vertus des sciences sociales pour penser une question immense comme l’école aujourd’hui. Si sa conclusion est qu’il faut intensifier les politiques de démocratisation et l’étendre davantage à l’enseignement supérieur, tout son travail se veut une démonstration magistrale de l’importance des sciences économiques et sociales - dont le ministre veut supprimer (ou réduire drastiquement) les cours en lycée.

Vincent Duclert, EHESS