Sortir de la nuit
Les sociétés comme les individus peuvent avoir la mémoire courte. Sous-titré sobrement une histoire des années de plomb, le très beau texte que nous offre aujourd’hui Mario Calabresi, célèbre journaliste politique italien, des années qui suivirent l’assassinat de son père le commissaire Luigi Calabresi par les Brigades Rouges en mai 1972 alors qu’il était âgé de deux ans, n’est pas seulement remarquable par ses qualités de plume (traduit par A. Bokobza, Gallimard, 2008, 163 p., 13,90 €). Lu comme un récit intime, ce livre pourrait avoir quelque chose de rassurant, exemple d’une résilience réussie et pouvant prétendre à ce titre figurer au nombre des cas analysés par le psychanalyste B. Cyrulnik pour qui l’individu « résilient » sort renforcé de l’épreuve qu’il a subit. A l’échelle de nos sociétés la conclusion est différente. En subtil analyste politique qu’il est, M. Calabresi montre, à travers l’histoire de sa famille, comment nos démocraties préfèrent se masquer à elles-mêmes, aujourd’hui encore, les assauts dont elles sont victimes. La nuit dont il nous fait le récit n’est pas seulement la sienne, celle d’une jeune épouse de 25 ans et de ses trois fils dont l’un était encore à naître, celle de la démocratie italienne ; c’est aussi la nôtre, celle dans laquelle vivent les familles des victimes du terrorisme, juges ou des policiers qui tombèrent en Italie sous les balles des brigadistes, des victimes de la bande à Baader en Allemagne ou d’Action directe en France, ces victimes « à valeur universelle » comme le déclarait M. Calabresi lui-même lors du symposium organisé à l’ONU en septembre 2008. L’oubli constitue-t-il la meilleure défense des démocraties comme il l’est dans le cas de la résilience ? On doit s’interroger au moment où d’anciens terroristes font leur apparition en Italie sur les bancs du Parlement ou se voient accorder des tribunes dans la presse comme en France des membres d’Action Directe. La force du livre de Calabresi tient dans les deux chemins parallèles qu’il trace: celui de l’enfant Mario, qui trouve dans l’énergie de sa mère la force de s’engager dans la vie et de surmonter son passé – l’action la plus symbolique consistant à se débarrasser des coupures de presse accumulées pendant des années sur l’assassinat de son père- ; celui de la société italienne qui s’est affaiblie de n’avoir pas su affronter en face le problème du terrorisme toujours considéré comme un épiphénomène, une maladie de jeunesse de nos sociétés. Sur le terrorisme, le travail de mémoire est encore devant nous. Perrine Simon-Nahum, CNRS
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