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mai 2008

19 mai 2008

Renoir Renoir

Blog_renoir Ouvert il y a trois mois, le Blog des Livres de La Recherche n’a pas pu et pour cause rendre compte de l’exposition Renoir Renoir présentée de septembre 2005 à janvier 2006 et du très réussi catalogue qui porte résolument la marque de la recherche (Editions de la Martinière, 2005, 240 p., 39 €). L’entreprise visait à présenter simultanément l’œuvre du peintre, Auguste, et celle de son fils, le cinéaste, Jean. Conçus par le Musée d’Orsay (qui possède une collection importante des peintures du premier) et par la Cinémathèque française qui venait de rouvrir au 51 rue de Bercy, dans un magnifique bâtiment de l’architecte Franck O. Gehry, l’exposition et le catalogue ont associé avec succès trois types d’images, picturales, cinématographiques et photographiques (avec les nombreux clichés de la vie d’Auguste et de Jean, notamment pour ce dernier sa période américaine), en résumé de la couleur imaginée au noir et blanc contrasté et lumineux. Le catalogue réunit plus d’une trentaine de spécialistes qui scrutent les influences réciproques, celles d’Auguste pour Jean étant les plus manifestes. L’univers des tableaux du père a inspiré bien des plans des films du fils préoccupé d’abord, comme l’écrit Mathieu Orléan, des héritages immatériels plutôt que de son ego. Le Bal du Moulin de la Galette (1876) se retrouve ainsi, presque tel quel, dans une scène d’Elena et les hommes (1954). Mais on peut voir aussi, dans l’amour qu’Auguste portait à son fils, le ressort de l’inspiration du peintre vers la fraternité, la fête, les personnes, leur accès au monde et à l’histoire tel qu’ensuite ces thèmes inspireront eux-mêmes le cinéma de Jean Renoir.

Vincent Duclert, EHESS

16 mai 2008

Nanosciences

Blog_nanosciences Il était une fois des explorateurs libres et heureux qui fouillaient les entrailles de la matière à l’échelle de quelques dizaines d’atomes dans le noble but de « lever un coin du grand voile » sur les traces du grand duc, Louis De Broglie. Mais une bande de méchants politiciens aux vils intérêts s’emparèrent du chantier ouvert par les gentils chercheurs, pour en faire un grande cause publicitaire, compétitive, peu crédible. Ce joli conte est l’une des multiples versions de la saga des nanos. Selon Christian Joachim, auteur avec Laurence Plévert de Nanosciences. La révolution invisible (Seuil, coll. « Science ouverte », 2008, 189 p., 18 €), les nanotechnologies sont un détournement de l’électronique moléculaire qui, dans les années1970-80, entrerprit de construire des circuits à partir des atomes, selon une démarche bottom-up, dans le but louable d’économiser la matière et les ressources de la planète. Voilà les vraies nanos. Tout le reste est usurpation de marque. De vilains chimistes et ingénieurs en matériaux ont transformé cette belle science en un fourre-tout et semé la peur dans le public. Bref, les nanos ne sont pas une technologie mais une science. Une science pure, restreinte au champ de recherche que pratique l’auteur et sa communauté. L’histoire des sciences convoquée pour étayer ce message est cette histoire biaisée qu’on trouve encore dans les manuels de sciences, avec des questions bien formulées, censées intéresser tout le monde, et des solutions trouvées dans une expérience unique. Les physiciens habitués à la pureté des laboratoires veulent aussi purger l’histoire des scories, et du bruit des contingences sociales. Après avoir bien purifié les nanos, Joachim donne néanmoins son avis sur ce qui fut écarté du champ : nanomatériaux, nanorobots, nanobactéries, … générent des risques qui alertent le public. Aux industriels d’assumer leurs responsabilités ! On ne va pas arrêter la science pour autant ! Par rapport à d’autres ouvrages qui vulgarisent les nanos, ce livre a l’immense avantage de raconter une aventure sans feindre l’objectivité. Il séduira les chercheurs en lutte contre le pilotage de la recherche et l’ingérence de l’opinion publique dans leurs affaires. Aux autres, il apprend deux ou trois choses essentielles: 1) que les chercheurs sont de sympathiques rêveurs. 2) que les molécules ne sont plus des briques élémentaires mais des machines qu’on rêve de synthétiser en une seule fois. Or précisément cette révolution invisible n’appelle-t-elle pas une réflexion approfondie sur le régime de savoir qui en découle, plutôt que des appels nostalgiques à un illusoire âge d’or de pureté et d’innocence ?

Bernadette Bensaude-Vincent, université de Paris X

15 mai 2008

La malédiction des ancêtres

Blog_kirk Juillet 1996. Deux étudiants découvrent les restes d'un homme d'environ 9 500 ans près de la rivière Columbia, dans l'état de Washington, aux Etats-Unis. Plusieurs nations amérindiennes réclament le squelette, qu'elles considèrent comme l'un de leurs ancêtres, pour l'inhumer à nouveau. La loi sur la protection des vestiges des cultures ancestrales (NAGPRA) leur en donne théoriquement le droit. Les scientifiques, eux, brûlent d'examiner ce qui est l'un des plus anciens américains connus. D'autant que, selon les premiers examens, il aurait des traits morphologiques "caucasoïdes" : y aurait-il eu une population d'origine européenne dans le Nouveau Monde avant les ancêtres des Amérindiens actuels? L'étude scientifique n'a commencé qu'en 2005, après une dizaine d'années de procédures judiciaires. Sur les rives de la rivière John Day, un collecteur de fossiles découvre un squelette humain. La datation au carbone 14 indique 14 500 ans, et il a des traits européens. C'est le point de départ très réaliste de ce roman policier de Kirk Mitchell, La malédiction des ancêtres (Seuil, coll. « Points policier », 2007, 496 p., 7,80 €). La suite est plus mouvementée. Appelés pour maintenir l'ordre, alors que les nations indiennes, l'administration, les scientifiques et même une secte de "païens nordiques" se disputent les ossements, deux policiers sont bientôt confrontés à une succession de disparitions, d'assassinats et d'attentats. Les paléoanthropologues ne sont pas très bien traités : l'unique représentant du genre est un vieillard autoritaire aux théories racistes. L'importance accordée à une reconstitution faciale de l'homme fossile est en revanche trop optimiste, étant donné la variabilité de ce type de méthode. Mais les tensions qui peuvent apparaître aujourd'hui aux Etats-Unis à cause de la NAGPRA sont bien rendues. Les ambiguïtés de la loi sont aussi soulignées, notamment par la mise en scène de nombreux personnages aux origines métissées, pour lesquels la notion d'appartenance ethnique est pour le moins discutable.

Luc Allemand, La Recherche.

14 mai 2008

Ecrire, calculer, classer

Blog_gardey En se nourrissant en particulier des analyses du sociologue des sciences Bruno Latour, l’historienne Delphine Gardey apporte une contribution importante à une histoire contemporaine mal connue, celle de l’écriture (Ecrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), La Découverte, coll. « Texte à l’appui », 2008, 320 p., 25 €). En proposant à travers une série de dossiers non exhaustive d’actes (prendre en note, écrire, calculer, classer) de mettre en évidence des objets de notre culture écrite — la sténographie, la machine à écrire, le stencil, la fiche — il s’agit d’enrichir les savoirs sur ces pratiques à la fois en France, en Angleterre et aux Etats-Unis, mais aussi pour Gardey non seulement de montrer le passage d’un ancien à un nouveau régime de l’écrit, entendu comme infrastructure humaine matérielle et cognitive, et avec lui la mise en place d’une inédite économie entre les années 1890 et 1920, et même un nouveau type de représentation du monde. Croisant les approches, l’analyse d’une scène d’écriture, celle de manuels d’enseignement ou de comptabilité mais aussi des revues de management, de modes d’emploi techniques ou des brevets d’inventeurs, entrant dans les commerces, les bureaux mais également les grandes institutions démocratiques, le regard de l’historienne dessine un paysage invisible et impensé car constituant notre infra-ordinaire, celui de la petite gestuelle, des vies de clavier, des arrière-boutiques de la reproduction. Histoire totale allant de la publicité à la politique, ce paysage n’est pas seulement peuplé de machines et de papiers, il est aussi une histoire sociale qui l’habite et dont Gardey donne quelques jalons : celui du travail féminin en particulier. Si sur ce point, on souhaiterait peut être de plus longs développements, ce livre lit pour la première fois ensemble, dans l’espace de la cité, nos manières d’écrire, qui sont aussi nos manières d’agir.

Philippe Artières, CNRS

13 mai 2008

Enquête sur un inconnu

Blog_valensi Cet inconnu est né vers 1770 (on ne saura jamais la date exacte) dans le ghetto de Tunis. Cela ne le destinait pas précisément à être connu de son temps, ni à être « ressuscité » du nôtre par une historienne tenace. Sauf que celle-ci est aussi née à Tunis dans une famille juive twânsa, avant de devenir une spécialiste du monde musulman. Sauf que son héros inconnu a su, en ces temps où primait l’appartenance communautaire, sortir de la hâra, s’en aller vivre à Paris sous le Premier Empire, puis à Trieste, nouer des liens avec certains des premiers orientalistes de Paris, Breslau, Leyde, établir un lexique berbère-arabe-français (l’un des premiers) et devenir, lui aussi, un érudit. Ses travaux ne furent jamais publiés, différence flagrante avec Lucette Valensi qui lui rend la vie par ce nouveau livre : Mardochée Naggiar, enquête sur un inconnu (Stock, 2008, 380 p., 21 €). L’auteur revendique cette part d’affinité, de subjectivité qui a catalysé le développement de sa recherche. Celle-ci n’en demeure pas moins d’une parfaite objectivité, et la solidité de l’enquête historique (comment retracer une vie, un caractère, à partir de quelques lettres, de mention dispersées d’un même nom ?) reste inattaquable, et la mise en situation sociologique richement documentée. Disant cela, suis-je en train de céder à ma subjectivité d’ami de l’auteur, également natif de Tunis ? Pour en décider, à vous d’ouvrir le livre ! D’ailleurs, voici une critique : pourquoi n’avoir agrémenté l’ouvrage d’aucune illustration ? Je reste avec le regret du portrait du zouave berbère que Naggiar interrogeait pour bâtir son lexique…

André Michard, UP-Sud, ENS

09 mai 2008

Du travestissement

Blog_clio J'ai procédé hier soir, en tant que coordonnateur du Blog (avec Aline Richard qui dirige la rédaction de La Recherche) à la suppression de deux commentaires adressés au post consacré au roman de Julie Saltiel, en raison du travestissement de leurs auteurs. C'est la première fois que nous procédons ainsi. La règle que nous avons instituée pour le Blog des Livres établit que les "courageux anonymes" n'y ont pas droit de cité. On y écrit et signe avec son nom, on y engage sa pensée. Pour cette raison précisément, j'ai désapprouvé aussi l'emploi d'un pseudonyme pour le roman chroniqué de "Julie Saltiel" (cf. l'un de mes commentaires). En même temps je sais que le "travestissement" a été un moyen pour les femmes d'agir et de contester des ordres sociaux qui récusaient leur liberté et l'égalité entre les sexes. Le travestissement est aussi un acte utile de subversion. On rappelera à ce sujet un numéro de la revue d'histoire des femmes Clio consacré à ce sujet (n°10, 1999, sous la direction de Christine Bard et Nicole Pellegrin).

Vincent Duclert, coordonnateur du Blog

08 mai 2008

Décoloniser l’imaginaire

Quels sont les liens entre féminisme et « réalisme magique » (genre littéraire né au XXe siècle en Amérique Latine pour dénoncer les oppressions politiques et culturelles) ? Katherine Roussos explore les liens à travers les œuvres de trois romancières françaises de génération, d’origine et de forme d’écriture différentes (Décoloniser l’imaginaire, du réalisme magique chez Maryse Condé, Sylvie Germain et Marie NDiaye, Bibliothèque du féminisme, L’Harmattan, 2007, 251p., 22€). D’après Roussos, ces auteures font appel au surnaturel pour questionner les images et stéréotypes traditionnels (i.e. la maternité heureuse) et remettre en cause la domination masculine. La parole subversive est véhiculée par la magie qui permet de mieux commenter le quotidien des femmes. En même temps, des mythes alternatifs sont proposés et certaines images, comme celle de la sorcière/guérisseuse, revalorisées. Le « réalisme magique » de ces romancières invite ainsi à explorer des structures et des imaginaires inédits. Suite à la décolonisation des territoires, l’étude de Roussos montre le potentiel de ce genre littéraire ainsi que le rôle de l’écrivaine dans la décolonisation des imaginaires qui restent toujours dans le monde actuel sous l’emprise de la culture des dominants.

Renée Champion

07 mai 2008

Un « laboratoire pédagogique » des Lumières

Blog_badinter Dans le troisième volet des Passions intellectuelles, sa magistrale fresque, Elisabeth Badinter nous avait touché deux mots de l’histoire qu’elle développe en détail dans son dernier ouvrage L’infant de Parme (Fayard, 2008, 162 p., 12 €). En 1758, le philosophe Condillac est appelé à Parme pour mettre en application ses principes éducatifs sur la personne de Ferdinand, petit fils de Louis XV. Il a été précédé par Auguste de Keralio, lui aussi gagné à la nouvelle philosophie, avec lequel il va partager la rude tâche de faire de son élève un prince des Lumières. Les encyclopédistes voient en Parme le laboratoire où s’expérimente l’importance de l’éducation dans le progrès de l’esprit humain. Mais, après les premiers succès salués en France par le camp des philosophes, Ferdinand se libère de ses tuteurs, sombre dans la bigoterie et devient la marionnette du camp le plus réactionnaire de sa cour. Occasion pour les contemporains de se positionner dans le débat Nature – Culture. Elisabeth Badinter nous livre une passionnante étude de cette complexe évolution, documentée par de nombreuses correspondances. Avec le talent qu’on lui connaît, elle rend compte des réactions à l’échec patent de l’expérimentation, sans se laisser aller aux jugements hâtifs, y compris sur le peu reluisant Ferdinand. Faisant le pari de l’intelligence du lecteur, l’ouvrage ne propose aucun « prêt-à-penser ». Libre à chacun de se forger une conviction ou de chercher à en savoir plus, en relisant Condillac par exemple.

Colette Le Lay, Centre François Viète, Université de Nantes

06 mai 2008

Danse avec les (savants) fous

Blog_case De Nikolas Tesla, je savais seulement qu'il avait laissé son nom à l'unité de champ magnétique. J'ignorais qu'il avait travaillé au service de Thomas Edison, puis lui avait fait concurrence. Contre celui-ci, qui prônait l'électrification des Etats-Unis avec du courant continu, Tesla avait en effet compris qu'il valait mieux utiliser du courant alternatif, moins dangereux et plus facile à transporter. Tesla a aussi travaillé sur la radio (il aurait même devancé Marconi dans la première émission), et sur la résonnance. C'est un roman d'espionnage qui me l'a appris (La danse des esprits, John Case, Presses de la Cité, 444 p., 20€). Ce n'est déjà pas si mal. Cet ouvrage recourt à Tesla pour un autre aspect du personnage : il est devenu l'un des héros des amateurs de pseudosciences. Ses travaux sur une pile tirant son énergie du sol, ou sur un "rayon de la mort" qui délivrerait à grande distance de fantastiques quantités d'énergie sont pure imagination. Parmi les mythes qui traînent sur Internet et dans ce livre, la responsabilité de Tesla dans l'explosion de la Toungounska, en Sibérie, en 1908. Il est vrai que les causes de cet événement, dans lequel un bon millier de kilomètres carrés de forêt, heureusement désertique, furent rasés, ont suscité bien des hypothèses fantasmagoriques. Il semble aujourd'hui établi que son origine était l'explosion en altitude d'une météorite assez grosse, dont on ne trouva pas trace, car elle s'est, soit complètement volatilisée, soit dispersée sur une trop grande surface. Maintenant que je vous ai raconté le plus intéressant, vous pouvez éviter de lire ce livre. Bien qu'il accumule les cruautés gratuites et n'hésite pas à tuer horriblement des innocents pour satisfaire sa vengeance, le méchant se laisse bêtement attendrir à la fin et ne détruit pas le monde comme prévu. On réussit même à lui trouver des excuses (il a été maltraité injustement par le gouvernement américain). Le héros, lui, mène bien son enquête, plus fort que la CIA, constituée d'agents stupides ou mal organisés, mais échoue lamentablement dans la dernière ligne droite. Une bonne biographie de Tesla serait sans doute plus passionnante.

Luc Allemand, La Recherche

05 mai 2008

Mathématiques et idées reçues

Blog_rittaud « Il n’y a plus rien à découvrir en mathématiques », « Avec l’ordinateur on n’a plus besoin de mathématiques », « Les mathématiques ça ne sert à rien ». Autant d’idées reçues auxquelles Benoît Rittaud (par ailleurs collaborateur du mensuel La Recherche) réagit dans ce petit livre (Les mathématiques, Le cavalier bleu, coll. « Idées Reçues », 2008, 125 p., 9 €). L’auteur de ces lignes ne peut que saluer le courage de Rittaud, qui s’est infligé à lui-même ces affirmations, et bien d’autres encore, afin de les disséquer. Ces préjugés ne peuvent en effet que raviver chez le mathématicien endurci, le souvenir de moments de profonde solitude pourtant passés en société. L’épaisseur de certaines préventions à l’encontre des mathématiques et de ceux qui les pratiquent se transforme parfois en sourde hostilité. Ainsi l’auteur rapporte qu’un couple de ses amis a vu son dossier d’adoption retardé de six mois au seul motif qu’ils étaient tous les deux enseignants en maths, et que l’on craignait une pression scolaire insoutenable pour l’enfant. Mais le livre de Rittaud est loin d’être un sottisier, et si l’auteur détrompe le profane avec bienveillance sur bien des points, il prend en compte la part de vérité qui réside dans certains lieux communs. En vulgarisateur averti, il n’hésite pas non plus à s’interroger sur le bien fondé de certaines « évidences » pédagogiques, comme l’intérêt suscité par les jeux ou les applications. Un ouvrage utile à ceux qui désirent combler le fossé entre les deux cultures.

Fabien Besnard, EPF