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mai 2008

04 mai 2008

La cinquantaine bien tapée

Blog_saltiel En quoi ce roman, dont certaines pages s’apparentent à celles d’un traité sur la fellation, intéresse-t-il les lecteurs du Blog de La Recherche ? (Denoël, 160 p., 17 €). Outre qu’il semble réveiller notre libido toujours étouffée par la vie moderne et la suite des tâches ininterrompues, le livre nous suggère trois intérêts. Derrière le pseudonyme de Julie Saltiel, « née à Paris. Normalienne et agrégée de philosophie, elle enseigne à la Sorbonne * », se cache une autre universitaire. Une, vraisemblablement, car la « parabole contemporaine sur la condition féminine » que nous offre le livre découle d’un intérêt féminin, le genre masculin n’étant guère intéressé par le destin de l’autre (en même temps, la romancière brouille les cartes avec l’ambivalence des prénoms de ses principaux protagonistes, de Gaëlle à Raphaël). Universitaire certainement : font sens le style d’écriture, l’univers professionnel décrit (JS étant la narratrice) et les références philosophiques introduisant chaque nouveau chapitre et puisées aux sources des meilleurs corpus, de Marc-Aurèle à Bergson en passant par Descartes, Kant ou Rimbaud (« Je est un autre »). Et voici le second intérêt du livre, ce désir de méditation qui le parcourt et l’enveloppe d’un je-ne-sais-quoi-de-philosophique. Enfin, le projet même du roman mérite qu’on s’y arrête, à savoir que les expériences de l’amour physique ouvrent au plus profond de soi et révèlent les vérités les plus essentielles de l’existence individuelle. La torride citation qui introduit le roman, extraite des Poèmes érotiques de Georges Bataille, est très éclairante à ce sujet …… L’intention heuristique est donc clairement constituée. Maintenant, est-elle réalisée au fil des pages ? Pour ma part, je n’ai été pas été conquis par le roman mais j’en reconnais l’intérêt dans ce post dominical et printanier !

Vincent Duclert

* La fiche du service de presse des éditions Denoël indique pour sa part qu’elle « enseigne à l’Ecole pratiques des hautes études ». Vérification faite, il n’y a aucune Julie Saltiel dans l’une et l’autre de ces vénérables institutions. Qui se cache alors derrière ce pseudonyme ? Tout Paris bruisse de ce mystère ?

03 mai 2008

Mesure le monde

Blog_adler « Le travail de Delambre consistait à arranger tous ces chiffres en désordre afin de pouvoir les archiver correctement. » Rien de plus troublant, pour quiconque a entendu les archivistes défendre le principe du respect des fonds, que d’imaginer l’opération par laquelle ledit Delambre est intervenu dans les observations de son collègue Méchain. Chargés de mesurer l’arc de méridien de Dunkerque à Barcelone afin d’établir la valeur du mètre, les deux savants se trouvent confrontés non seulement aux difficultés techniques et aux cahots de la révolution, mais aussi à l’erreur commise par Méchain dans ses calculs et à sa résolution de ne pas divulguer ses doutes. Après la mort de Méchain, Delambre reprend les papiers de celui-ci, trie, range dans un ordre qui lui semble chronologique les feuilles éparses, re-écrit par-dessus l’écriture d’origine, interprète enfin le sens de l’erreur. Finalement, il prend la décision de ne pas détruire les lettres de Méchain, mais de les cacheter et de les déposer aux archives. Dans Mesurer le monde. 1792-1799 : L’incroyable histoire de l’invention du mètre (Flammarion, Champs Histoire, 2008, 654 p, 11€) Ken Adler construit son récit autour de l’erreur et de la façon dont l’incertitude devient, par le secret, un problème social. Dans ce cheminement, la question des archives est essentielle. Dans leur état d’origine, elles montrent seulement la nature de l’erreur commise par Méchain. Annotées et « arrangées » par Delambre, elles prouvent qu’il avait prit connaissance de l’erreur. Et encore, déposées et néanmoins cachetées, ces archives sont la trace du doute profond que Delambre entretenait vis-à-vis de ce partage de responsabilité. Et si l’erreur, encore répandue de nos jours, consistait à croire que les archives des scientifiques recèlent seulement des résultats ?

Cristiana Pavie, historienne

02 mai 2008

Le mythe Galilée

Blog_serror Patrice Gélinet anime sur France Inter une émission quotidienne d’une demi-heure intitulée « 2000 ans d’histoire » au cours de laquelle il interroge un « expert » sur un événement historique, la plupart du temps à l’occasion de la sortie d’un ouvrage. Lorsqu’il choisit de s’attaquer à l’histoire des sciences, il lui arrive de faire appel à un romancier. Tel fut le cas pour l’émission du 29 septembre 2006 consacrée au procès de Galilée (cela ne date pas d’hier mais les sciences sont rarement évoquées). L’invité était Frédéric Serror, auteur de Les hommes de Galilée (Le Pommier, 2006, 392 p., 23€), dont les personnages scientifiques centraux sont Peiresc et Gassendi. C’est dans le dernier tiers de cette fiction qu’est relatée la comparution de Galilée devant le Saint Office au travers du regard que porte sur l’événement une nièce imaginaire de Peiresc dépêchée à Rome par son oncle. Dans une postface, Serror nous informe que « la plupart des faits rapportés dans ce livre proviennent de recherches, d’études ou de documentations disponibles ». Il ne nous en dit pas plus sur ses sources mais nous percevons qu’il fait sienne la thèse de Pietro Redondi (Galilée hérétique, Gallimard, 1985, 456 p.) selon laquelle Galilée n’a pas été condamné pour ses convictions coperniciennes mais pour ses idées atomistes. Sans mentionner que cette thèse, originale et séduisante au premier abord, est loin de susciter l’adhésion des chercheurs. Faute d’une authentique expertise, Patrice Gélinet n’aura pas contribué à nous éclairer sur la complexe affaire Galilée. Il aura, avec l’aide de Serror, alimenté le mythe.

Colette Le Lay, centre François Viète (Université de Nantes)

01 mai 2008

Premier mai

Blog_premier_mai Antoinette Glauser-Matecki est docteur en anthropologie sociale et en ethnologie. En 2002, elle a publié une étude des rites, mythes et croyances attachés au premier mai, rassemblant toute une série de données passionnantes sur les fêtes calendaires dans les campagnes et la mythologie céleste de ce temps où le temps est suspendu (Le premier mai ou le cycle du printemps, Imago, 242 p., 21 €). Cueillettes des maïs, sacre des reines de mai, rites associés à la lune rousse, jeux sexuels réprouvés par l'Eglise, autant de pratiques aujourd'hui disparues et que symbolisent désormais l'offrande du muguet et la fête du travail où l'on ne travaille pas précisément. On peut en profiter pour lire ou relire Sylvie de Gérard de Nerval qui parle de ce monde perdu et à jamais présent dans notre imaginaire. Désormais, le monde est politique et le premier mai résonne des combats passés et avenirs. Pourtant, les transgressions ancestrales qu'étudie Antoinette Glauser-Matecki figurent aussi des actes de liberté individuelle et collective.

Vincent Duclert, EHESS