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08 décembre 2012 | 

Algériens en France

Blog stora expo
La collaboration des grands éditeurs et des institutions muséales donne lieu, fréquemment, à de splendides catalogues qui sont aussi bien des guides très complets d’exposition que des ouvrages collectifs de référence sur le sujet abordé. C’est le cas d’Algériens en France. 1954-1962 : la guerre, l’exil, la vie (Autrement, 223 p., 30 €) accompagnant l’exposition de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (du 9 octobre 2012 au 19 mai 2013). Près d’une trentaine de chercheurs dirigés par Benjamin Stora et Linda Amiri retracent et expliquent, documents archivistiques, imprimés et surtout iconographiques à l’appui, huit ans d’une guerre ignorée, celle que la France mena contre ses immigrés algériens sur le sol de la métropole, culminant avec le massacre à grand échelle du 17 octobre 1961 à Paris (« massacre colonial » selon Emmanuel Blanchard). Mais c’est aussi la vie en exil des Algériens, des Algériennes, de leurs enfants nés en France ou venus avec eux d’Algérie, qui est restituée ici, et les raisons pour lesquelles beaucoup d’entre eux, après l’indépendance, décidèrent de rester, un paradoxe que souligne et éclaire Benjamin Stora. Ce travail de grande ampleur, remarquablement mis en page par une maison d’édition réputée pour son inventivité graphique, ce véritable musée édité, montre combien cette histoire de l’immigration algérienne en France et sa confrontation avec la guerre sont inscrites dans le tissu des existences et des représentations nationales. Et comment l’enjeu de la décolonisation autant que celui de la « sortie de guerre » demeurent présents.

Vincent Duclert

04 décembre 2012 | 

Zone grise et Sunlights

Blog minassian zones grises
Géopoliticien renommé, Gaïdz Minassian avait publié l’année dernière, aux éditions Autrement, dans la bien-nommée collection « Frontières », un essai consacré aux Zones Grises, sous-titré « Quand les Etats perdent le contrôle » (201 p., 20,30 €). On peut relier cette étude à la réflexion conduite par le philosophe Frédéric Gros sur « la fin de la guerre » et la mutation contemporaine des « états de violence » (Essai sur la fin de la guerre, Gallimard, coll. « NRF Essais », 309 p., 18,50 €).

Blog Minassian
Pour ce livre, la Société de Géographie remettait à Gaïdz Minassian, le 24 novembre dernier en Sorbonne,  le Prix Marie Joséphine Juglar. Toutes nos félicitations au récipiendaire et à son éditrice.

V. D.

La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre

Blog lacoste
Publié pour la première fois en 1976 dans la « Petite collection Maspero », La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre, n’était pas passé inaperçu. Le titre et la thèse étaient iconoclastes. Yves Lacoste montrait comment la géographie universitaire et celle qui était enseignée dans le secondaire refusaient à l’espace toute dimension politique, stratégique et militaire. Choisissant de réintégrer ces enjeux, il redéployait le savoir géographique de belle manière. Il pouvait s’appuyer pour ce faire sur la revue qu’il venait de créer, chez Maspero aussi, Hérodote, sous-titrée « Revue de géographie et de géopolitique ». Trente-six ans plus tard, La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre est réédité (coll. « Cahiers libres », 248 p., 20 €) avec une préface inédite de l’auteur qui évoque la première réaction de François Gèze, patron de La Découverte : « Ce n’est pas un titre ! ». Le fameux « flair » de l’éditeur fut pour une fois pris en défaut. Car ce fut un bon et grand titre, désignant précisément ce que contenait le livre et allant au-delà avec son caractère de manifeste permanent. Yves Lacoste rappelle aussi que la phrase était apparue, quelques mois auparavant, dans le premier numéro d’Hérodote.

Blog hérodote
La réédition du livre s’accompagne justement d’une livraison spéciale de la revue, consacrée à « La géopolitique, des géopolitiques », analysant notamment les représentations contradictoires que se font du territoire les différents protagonistes des conflits. Co-fondatrice et, depuis 2006 directrice d’Hérodote, Béatrice Giblin introduit la réflexion en soulignant combien la géopolitique est « un raisonnement géographique d’avant-garde » tandis qu’Yves Lacoste revient lui aussi sur le rapport entre géographie et géopolitique (336 p., 26,50 €).

Vincent Duclert 

03 décembre 2012 | 

Politiques du charisme

Blog monod

Publiée dans la collection « L’ordre philosophique », l’étude de Jean-Claude Monod sur les « politiques du charisme », auquel l’éditeur donna un titre troublant, Qu’est-ce qu’un chef en démocratie ? résonne dans l’actualité. Le Monde  a du reste publié dans son édition du week-end (1er décembre 2012) un entretien avec l’auteur qui s’ouvre sur un essai d’analyse de la crise qui secoue l’UMP. Si le XXe siècle a été, comme l’écrit Jean-Claude Monod, « celui des pathologies du charisme politique », là où « le culte du chef y aura atteint des dimensions d’autant plus fantastiques qu’il se soutenait d’appareils d’Etat, de moyens policiers, bureaucratiques, médiatiques, de répression, d’encadrement et d’embrigadement d’une sophistication et d’une extension jamais vues », qu’en est-il du chef dans les systèmes démocratiques censés incarnés l’intérêt général, l’égalité entre les citoyens, la délibération collective. Si la démocratie est tentée par l’homme providentiel et le culte du chef, c’est qu’elle accuse un déficit démocratique qu’il s’agit de surmonter, par exemple par une circulation du charisme qui redonnerait de la dignité à l’ensemble du corps civique (312 p., 21 €)

Vincent Duclert

 

30 novembre 2012 | 

La mort d'Erik Izraelewicz

Blog isra
La mort sur le front de la presse, en plein travail dans son bureau mardi 27 novembre, du directeur du Monde Erik Izraelewicz, a ébranlé la profession. Elle a réveillé des inquiétudes enfouies sur l’extrême fragilité de la presse de qualité, sur la contrainte des patrons de journaux d’avancer toujours sur le bord de la falaise, de travailler à fond comme le faisait Izraelewicz pour innover tout en assurant le quotidien. Sa disparition brutale, à laquelle l’épuisement personnel à la tâche doit sa part, rend plus périlleuse encore l’aventure de presse. Et en même temps, elle fait devoir aux vivants de poursuivre l’œuvre engagée depuis des siècles. (Photo AFP/Le Monde)

Vincent Duclert

Blog iz
En 1997, Erik Izraelewicz avait pu trouver le temps de réfléchir au monde qui nous attend. S’intéressant aux peurs françaises et l’économie (Grasset, 1997, 265 p., 19,40 €), il avait expliqué l’exception française en la matière par l'irresponsabilité des hommes politiques, qui semblent dire en permanence: « Le monde change, ne changeons rien. » Et de rappeler que le gouvernement français lors de la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, avait dit en substance: « Nous arrêterons le nuage de Tchernobyl, il ne passera pas sur la France! » Refusant que la "globalisation" et l'Europe servent de boucs émissaires pratiques, Erik Izraelewicz avait voulu rehausser le débat. 

28 novembre 2012 | 

La Recherche et l’innovation en France

Blog areche
Cinquième volume d'une série annuelle, La Recherche et l’innovation en France émane des travaux conduits au sein de FutuRIS, une « plate-forme prospective sur la recherche, l’innovation et la société » animée par l’ANRT, soutenue par une trentaine de contributeurs (entreprises, institutions de recherche, agences, ministères, académies) et rassemblant acteurs et experts de la recherche et de l'innovation. L’ouvrage collectif, fort d’une douzaine de contributions, propose également des annexes documentaires et chiffrées très utiles. Ses deux directeurs, Jacques Lesourne, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers, membre de l'académie des technologies, et Denis Randet, délégué général de l'association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), reviennent sur le tournant de 2004 mentionné dans le billet Crémieux-Brilhac (ci-dessous). « En 2004, le système français de recherche et d’innovation était handicapé par son cloisonnement : on opposait les grandes entreprises aux petites, les organismes de recherche aux universités, le public au privé, et FutuRIS avait justement été créé pour aider à y remédier. Les choses ont bien changé, et si, dans les difficultés on n’est pas à l’abri de replis corporatistes, les solidarités amorcées ont de bonnes chances de l’emporter. Ce sera le sens de notre action ». Aux trois enjeux mentionnés dans le volume 2011 (l’adaptation du financement de la recherche, l’articulation des financements nationaux et européens, la collaboration des entreprises privées et des organismes publics), Jacques Lesourne, dans son épilogue, en ajoute un quatrième : « la gouvernance » et l’inventivité institutionnelle.

Vincent Duclert

26 novembre 2012 | 

La politique scientifique de Pierre Mendès France

Blog pmf
Les Assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche ont ouvert aujourd’hui à Paris. Voulues par le gouvernement, elles devraient déboucher sur un rapport puis sur une loi. L’action publique en matière de recherche scientifique est souvent renvoyée à une époque faste où, non seulement les crédits étaient abondants mais surtout existait une volonté politique de doter la France d’un vaste secteur public où dominait la recherche fondamentale. Largement élaborée par les équipes réunies autour de Pierre Mendès France, cette mobilisation fut concrétisée par le général de Gaulle dès son arrivée à la tête du dernier gouvernement de la IVe République, en novembre 1958 lorsqu’il jeta les bases de ce qui allait devenir la DGRST (Délégation générale à la recherche scientifique et technique). L’un des principaux animateurs du mouvement publie aujourd’hui de cette histoire, dans la collection « Le sens de la recherche » des éditions Armand Colin associée au Comité pour l’histoire du CNRS, une brève et nécessaire analyse. La politique scientifique de Pierre Mendès France est sous-titrée à juste titre par son auteur, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, « une ambition républicaine » (186 p., 20 €). En cette année du trentième anniversaire de la disparition de PMF, ce livre se veut, loin d'une tentation hagiographique, « un acte de justice » en ce sens qu’il éclaire la marque imprimée par l’homme d’Etat et l’intellectuel sur l’organisation de la recherche et de l’enseignement supérieur dans le second XXe siècle, au-delà même des grandes assises voulues par le ministre de la Recherche et de la Technologie du gouvernement Mauroy de 1981. Puisque la gauche est de retour aux affaires, elle peut s'inspirer encore de la volonté mendésiste de placer la recherche et l’enseignement au cœur des grands enjeux politiques.

L’ouvrage est précieux aussi par les nombreux textes et documents qu’il contient. Il se clôt par l’article que Jean-Louis Crémieux-Brilhac et Pierre Piganiol, premier patron et véritable créateur opérationnel de la DGRST, publièrent dans Le Monde le 23 janvier 2004, en plein mouvement des chercheurs pour sauver la recherche.

Vincent Duclert  

 

Larzac bis

Blog Larzac seuil
Au sujet de notre billet « Gardarem lo Larzac ! », le directeur des éditions Privat Philippe Terrancle nous a fait savoir qu’il ne souhaitait pas, en incluant dans le livre de Pierre-Marie Terral dont il est l’éditeur un cahier iconographique, faire une concurrence malvenue à l’album que concevait au même moment Solveig Letort aux éditions du Seuil, Le Larzac s’affiche (préface de Stéphane Hessel, 142 p., 19,30 €). Témoin de ces luttes aux côtés de ses parents et aujourd’hui diplômée de l'université de Montpellier en ethnosociologie, cette dernière est aussi l'auteure de Chronique des gens du schiste en 1990 (éditions Siloë).

On peut saluer cette confraternité. Et saluer la sage décision du gouvernement qui a annoncé hier la création d’une Commission du dialogue au sujet du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Il était temps, certainement.

V.D.

22 novembre 2012 | 

Séquence BD. Le serment des cinq lords

Blog blake
Le serment des Cinq Lords
(Editions Dargaud/Blake et Mortimer, 64 p., 15,25 €) est une vraie réussite. Créé d’après les personnages d’Edgar P. Jacob* par le scénariste Yves Sente et le dessinateur André Juillard, l’album emmène ses lecteurs vers les campagnes enneigées de Londres et d’Oxford, à la poursuite du fantôme de T.E. Lawrence « d’Arabie », lequel avait été un modèle pour le jeune futur capitaine Blake et quatre de ses amis. Ces cinq étudiants d'Oxford en histoire et archéologie fondèrent en son honneur et pour la défense de son œuvre une société secrète, les « cinq lords ». Mais voici que, des années plus tard, certains d’entre eux sont assassinés. Aidé de son ami le professeur Mortimer, Blake, prochain sur la liste des tueurs, se lance dans une enquête à tombeau ouvert. Où l’on apprend comment Lawrence a été lui-même assassiné en 1935 sur une route anglaise pour assouvir la vengeance personnelle d’un des chefs du MI 5 (le contre-espionnage britannique) alors même que l’ancien héros de la Grande Guerre était chargé par le MI 6 (l’espionnage) d’infiltrer les rangs du parti fasciste de Mosley. Mêlé malgré lui à l’assassinat de Lawrence, artisan ensuite de l’arrestation de son assassin, Blake revit cette période douloureuse de sa jeunesse. Au milieu de la mort de ses camarades, il tente de sauver ce qui reste de Lawrence, un manuscrit resté inédit… Les historiens auront finalement le dernier mot. 

L’intrigue est prenante, le dessin précis autant qu’inspiré, les paysages envoutants, le rythme haletant avec ces histoires, ces drames et ces temps qui se croisent et s’entrelacent. 

Vincent Duclert

* Pour les connaisseurs, précisions que les auteurs font revivre l'un des personnages secondaires du Secret de l'Espadon, le sergent Mac. 

20 novembre 2012 | 

A la gauche du Christ

Blog gauche
La mobilisation, samedi en France, d’une partie de l’Eglise catholique et de certains de ses évêques contre le « mariage pour tous » (à savoir le mariage entre personnes de même sexe), au nom des valeurs de la famille et de la tradition, pourrait faire oublier que des chrétiens ont eu, en de nombreux événements de la vie nationale et des questions sociales, des positions très progressistes. C’est vrai de la Résistance au nazisme, de la lutte contre la torture dans la guerre d’Algérie, des solidarités ouvrières, de Mai 68, du droit des femmes, des combats pour le Tiers-monde,etc. Un impressionnant collectif, qui associe l'étude des catholiques comme des protestants, qui pose la question de l’articulation de l’Evangile et de la politique, permet d’accéder à une connaissance élargie de l’histoire contemporaine de ceux qui se tiennent « à la gauche du Christ ». Cette gauche abordée par les« chrétiens de gauche » est bien plus morale que politique, elle étend pour cela son champ des possibles et ses inscriptions politiques. On regrettera simplement, mais c’était aussi plusieurs centaines de pages supplémentaires à la clef, que l’ouvrage publié au Seuil (621 p., 27 €) n’aborde pas la préhistoire de ces combats commencés à la fin du XIXe siècle, notamment dans la crise majeure de l’affaire Dreyfus.  Mais Denis Pelletier, l’actuel président de l’Ecole pratique des hautes études et maître d’œuvre avec Jean-Louis Schlegel, évoque dans sa première contribution les « héritages et fondations ». L'Eglise catholique aurait bien tort de méconnaître ce courant vivace qui la constitue. 

Vincent Duclert