Né le 20
octobre 1917 à Berlin, Stéphane Hessel est mort à Paris, hier 27 février 2013.
Il compte parmi les plus illustres de ces « étrangers qui ont fait
la France », du nom du Dictionnaire éponyme annoncé par les éditions Robert
Laffont (coll. « Bouquins ») pour cet automne. Arrivé à Paris à l’âge
de 8 ans avec sa mère (qui inspirera l’héroïne du roman d’Henri-Pierre Roché, Jules et Jim), il réussit le concours de
l’Ecole normale supérieure en 1937 comme élève étranger, mais doit le repasser
deux ans plus tard après sa naturalisation. Résistant, il rejoint Londres et la
France Libre en 1941. En mars 1942, Stéphane Hessel intègre
le BCRA à l’initiative de l’un de ses amis rencontré sur la base de Camberley.
Tony Mella était en effet le collaborateur direct d’André Manuel. Ce dernier,
adjoint de Passy à la tête du BCRA, avait été chargé de développer l’équipe de
coopération entre Britanniques et Français libre, la section R. Sa mission
consistait à recueillir au bénéfice de l’état-major anglais les renseignements
obtenus par les réseaux français. Stéphane Hessel collabore également à la
section du contre-espionnage dirigée par Roger Wybot et Stanislas Mangin. Le 15
avril 1943, l’arrivée à Londres de Pierre Brossolette, journaliste et
intellectuel socialiste, résistant de la première heure, entraîne une réorganisation
du BCRA. L’influence de « ce normalien fougueux et irrésistible qui avait
fait la conquête du chef du BCRA » (selon Hessel, dans Danse avec le
siècle, Le Seuil, 1996, p. 72) éclipse celle d’André Manuel. Il propose une
vaste réorganisation des services et des missions des deux Résistances
londonienne et intérieure, et se heurte de ce fait à Jean Moulin. Si Stéphane
Hessel donne raison au second dans ses mémoires de 1997, il n’oublie pas de dire
ce qu’il doit au premier, tremblant avec sa femme Gilberte à chacun de ses
départs pour la France. Hessel, qui effectue lui aussi des missions en France
occupée pour renforcer les liens avec les réseaux travaillant pour le BCRA
(dont Cohors et Vélites) et organiser l’équipement radio des maquis (action « Gréco »),
est arrêté à son tour par la Gestapo, sur dénonciation, le 10 juillet 1944 à
Paris. Il est torturé. Il racontera dans ses mémoires de 1997 (Danse avec le siècle), l’épreuve qu’il a
subie et la stratégie intellectuelle qu’il a choisie pour y faire face (voir plus bas). Déporté
à Buchenwald, puis à Dora, enfin à Bergen-Belsen où l’avance des troupes
américaines permet sa libération, il retrouve Paris le 8 mai 1945.
Devenu diplomate
international, il est l’un des rédacteurs de la Déclaration universelle des
droits de l’homme. En 1977, il prend la
direction de la délégation française à l’ONU (Genève). Il est élevé à la
dignité d’ambassadeur de France en 1981, travaille au ministère de la
Coopération avant que François Mitterrand ne demande la démission du ministre Jean-Pierre
Cot, trop audacieux dans la politique africaine de la France. Hessel réédite de telles audaces en 1990 dans un rapport commandé par Michel Rocard, à l’époque Premier
ministre. Dans Les Relations de la France avec les pays en développement, il écrit que la politique française
devrait être « revue dans le sens d'une plus grande rigueur et du rejet de
toute complaisance clientéliste ». Ces propos déplaisent en haut lieu. Sa
carrière diplomatique s’achève en 1993 quand il est nommé à la tête de la
délégation française à la Conférence mondiale des Nations Unies sur les Droits
de l'Homme. Il ne fait pas de doute que Stéphane Hessel n’a pas eu les
responsabilités qu’il aurait méritées, probablement à cause de sa liberté d’esprit
et de sa farouche indépendance. Celles-ci vont pleinement s’exprimer dans les
vingt dernières années de sa vie.
Fidèle à l’éthique de la Résistance, il s’emploie avec ses camarades à en
faire vivre les valeurs. Avec Lucie Aubrac, Jean-Pierre Vernant
ou Germaine Tillion, il lance le 8 mars 2004, depuis la Maison de l’Amérique
latine à Paris, l’« Appel des Résistants aux jeunes générations ».
Au-delà de la commémoration du soixantième anniversaire du programme du Conseil
national de la Résistance (CNR), « nous, vétérans des mouvements de
Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons
les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la
Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et
culturelle. [...] Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui
commence, nous voulons dire avec affection : “Créer, c’est résister.
Résister, c’est créer” ». En 2010, le 20 octobre, jour de son 93e
anniversaire, il publie le petit livre Indignez-vous
(suivi d’Engagez-vous en 2011, puis d’A nous de jouer. Appel aux
indignés de cette terre, en 2013 aux éditions Autrement). Son livre est un
exceptionnel succès, dépassant le 4 millions d’exemplaires, forgeant l’expression
des Indignés qui va fédérer de
nombreux mouvements protestataires – de Madrid à New York. Alors que le livre
atteignait déjà les 300 000 exemplaires, nous avions publié un article sur
le Blog des Livres pour relever cette performance éditoriale (voir plus bas).
Stéphane Hessel a donc beaucoup fait pour les
livres. Il a publié pas moins de quatre autobiographies où il exprimait autant
sa vie passée que ses convictions présentes, sur l'Europe par exemple. Il demeure en eux
tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change, pour paraphraser le poète. Stéphane
Hessel dînait du reste régulièrement au restaurant Les éditeurs à Paris, avec
sa seconde femme aux côtés de laquelle il est mort mercredi. Un homme d'esprit, de goût, de fidélité. Une conscience rare.
Vincent Duclert
Photo Newscom