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janvier 2013

31 janvier 2013

Séquence BD. 47 idées reçues.... et corrigées

C’est aujourd’hui que s’ouvre la 40e édition du Festival de la Bande dessinée d’Angoulême. La BD se porte bien. Il est vrai que l’image et la beauté des albums constituent une plus-value indéniable donnant au livre une force esthétique et commerciale que n’ont pas les livres papier « noirs », sans image ni format comparables (bien que...), les transformant en objets de séduction et de convoitise prêts à rivaliser avec n’importe quel contenu numérique.

Blog idées
Les Idées reçues et corrigées ! de la paire de scénaristes Yannick Lejeune & Eric Dérian dit Turalo, et du dessinateur Jean-Philippe Peyraud, qu’a publié Delcourt à la fin de l’année 2012 (48 p., 13, 95 €), figurera parmi les productions remarquées. Les auteurs ont réalisé un album plein d’humour et de légèreté, porté par des dialogues d’anthologie et un dessin particulièrement agile, irrévérencieux même. Chaque planche déploie une histoire, souvent entre deux amis ou dans un couple, les situations sont aussi variées que les évidences rectifiées en plein vol, « Jésus est né le soir de Noël », « les chats retombent toujours sur leurs pattes », « L’homme n’a que 5 sens », « La nuit, les plantes prennent tout l’oxygène », « Napoléon était petit »,…..  Un album à découvrir, lire et relire, et à prolonger avec le blog http://idees-recues.blogs.liberation.fr/

Vincent Duclert

 

28 janvier 2013

Max Jacob, 1876-1944

La collection « Quarto » des éditions Gallimard poursuivent leur travail méthodique de mise à disposition des œuvres contemporaines majeures, tant en littérature qu’en histoire ou en philosophie politique. Grâce à la réalisation de volumes de plus de mille pages, et pour certains approchant des deux mille comme les Œuvres du poète Max Jacob (1824 p., 29,50 €), « Quarto » propose des corpus très larges réunissant des textes ou des éditions souvent très dispersés, et que précédent une introduction approfondie et une chronologie illustrée et très rédigée de la vie et l’œuvre de l’auteur. Le volume consacré à Max Jacob est édité par Antonio Rodriguez (et Patricia Sustrac) et tandis que des poèmes de Guy Coffette en composent la préface, « Portrait de Max en accordéon » : « Timide, il est partout chez lui, à Paris comme à Quimper/Clinquant avec les riches et claquant dans la misère. »

Blog jacob
Né le 12 juillet 1876 le long des quais de l’Odet, dans une des rares familles juives de Quimper, il découvre Paris à l’âge de treize ans, où il vit le docteur Charcot en raison de « troubles mal identifiés ». Ce dernier conseille à sa mère de distraire le jeune garçon, ce qu’elle fait en l’emmenant à la Comédie-Française découvrir « Réjane, et tous les gens de théâtre de l’époque, émerveillé ». Ce voyage initiatique décide d’une farouche volonté de retourner vivre dans la capitale. Ce qu’il fait en 1894 en partant préparer – un choix qui déconcerta plus d’un – l’Ecole coloniale. Il échoue. La vie parisienne le désenchante. Il découvre la peinture, se passionne pour la critique d’art. Dès lors s’affirme ce déploiement de son inspiration dans le langage et dans l’image. Marx Jacob épouse les avant-gardes de son temps, jusqu’à la guerre où il tente de résister au déferlement d’antisémitisme. Malgré l’interdiction faite aux Juifs de publier, il écrit un hommage à Guillaume Apollinaire et participe aux revues de la contrebande littéraire comme Confluences ou Fontaine. En avril 1942, il se rend pour la dernière fois à Quimper, appelé par la mort de sa sœur aînée. Il écrit pour elle « Enterrement à Quimper ». Le 4 janvier 1944, Léa, sa sœur cadette, est arrêtée, internée à Drancy et déportée à Auschwitz où elle sera aussitôt gazée. Max Jacob est arrêté à son tour le 24 février par la police allemande. Envoyé lui aussi à Drancy, il doit être déporté à Auschwitz dans le convoi 69 du 7 mars. Atteinte de pneumonie, il décède à l’infirmerie du camp deux jours avant le départ.  

En 1960, Max Jacob est élevé au rang de poète « mort pour la France » à titre civil, rejoignant dans cette distinction Charles Péguy, Guillaume Apollinaire, Robert Desnos et Benjamin Fondane. Le « Quarto » qui lui est consacré aujourd'hui est un nouvel hommage à son œuvre, à commencer par l’effort considérable de la réunir et de l’éditer.  

Vincent Duclert

25 janvier 2013

Dans les coulisses du Proche-Orient

Aujourd’hui, l’Egypte commémore dans l’inquiétude et le désenchantement le deuxième anniversaire de sa « révolution ». Sans être présente dans les mémoires du « journaliste diplomate » Eric Rouleau, celle-ci forme l’arrière-plan du livre qu’il a publié aux Editions Fayard en octobre 2012 (435 p., 22 €).

Blog rouleau
En décembre 1951, Eric Rouleau, né en Egypte dans une famille juive laïque et de gauche, est expulsé de son pays « sous la double inculpation de sionisme et de communisme ». Quelques mois plus tard, le 23 juillet 1952, les “officiers libres” dirigés par Gamal Abdel  Nasser s’emparent du pouvoir et instaurent, un an plus tard, la république ». Près de soixante ans plus tard, écrit-il dans les premières pages de Dans les coulisses du Proche-Orient, « me voici témoin à distance du “printemps” qui submerge le monde arabe. [..] Si le texte qui suit n’annonce pas explicitement [son] apparition à l’horizon, il n’en constitue pas moins à la fois le prélude et la justification ».

Entre temps, Eric Rouleau, arrivé en France  avec un visa égyptien « aller sans retour », parvient à ouvrir les portes de l’AFP puis du Monde et devenir le chef de la rubrique Proche et Moyen-Orient (un choix courageux de la rédaction puisque la plupart des Etats arabes « refusaient à l’époque de délivrer un visa d’entrée à un juif »). En 1985, il est nommé ambassadeur en Tunisie par François Mitterrand avant de figurer sur la liste noire des diplomates de gauche visés par la cohabitation. Après la réélection de François Mitterrand en 1988, il est nommé sur le poste d'Ankara.

On peut dire qu’Eric Rouleau contribua au « printemps arabe » par le travail d’investigation et d’explication qu’il mena sur le monde arabe. Ses mémoires portent essentiellement sur cette expérience de journaliste diplomate dans ces pays. On aurait aimé l’entendre également sur l’Afrique ou sur la Turquie qu’il a bien connue et qui sont aussi des acteurs du changement dans le Proche Orient. Une suite, alors ?

Vincent Duclert

24 janvier 2013

Fractures territoriales en France

Quand l’approche sociale croise la géographie des territoires, le meilleur peut survenir comme les deux essais que publie la collection « La République des idées » dirigée au Seuil par Pierre Rosanvallon et Ivan Jablonka.

Blog davezies
La « nouvelle fracture territoriale » du professeur du CNAM (chaire « Economie et développement des territoires ») Laurent Davezies* ambitionne de « déglobaliser la crise » en l’étudiant du point de vue territoriale, non seulement dans ses effets mais aussi dans ses causes. « Il faut donc renverser l’analyse : l’“aménagement du territoire” n’est plus un enjeu d’appoint, tributaire de l’état général du pays. C’est plutôt l’équilibre du pays tout entier qui dépend de la santé de ses territoires », - territoires entendus comme les régions, les villes, les banlieues qui, loin de constituer une « dimension du réel », sont « le réel lui-même » (128 p., 11,80 €).

Blog refaire la cité
Au sein du triptyque des territoires métropolitains, les banlieues occupent une place une place particulière compte tenu de l’intensité des problèmes sociaux et urbains conduisant à la « marginalisation urbaine et sociale d’une partie de la population ». Ce poids d’un territoire en crise nourrit des imaginaires répulsifs (les « territoires perdus de la République ») et interrogent la capacité du politique à agir. Deux sociologues, Michel Kokoreff et Didier Lapeyronnie, soulignent que le problème clef est politique, au sens des rapports entre les groupes sociaux et la construction symbolique de ces rapports. « L’enjeu est décisif, avancent-ils : si le problème est politique, alors la solution est aussi de nature politique. Il s’agit, pour le dire en un mot, de réincorporer les banlieues dans la communauté, d’en faire un espace démocratique. […] Il est urgent que les habitants deviennent des citoyens à part entière, c’est-à-dire des acteurs de la vie démocratique, quitte à nourrir une certaine dose de conflictualité. Lutter contre le chômage de masse, la délinquance et les nuisances qui pourrissent le quotidien est une nécessité ; mais, au préalable, il faut refaire la cité. L’intégration politique doit être la priorité ». Ainsi la confrontation du problème des territoires et de la question sociale, assumée par des sociologues, débouche-t-elle sur une proposition en faveur d’une rénovation de l’action politique (Refaire la cité. L’avenir des banlieues, 112 p., 11,80 €) .

Blog blanc
La force du problème posé par les banlieues tient à sa visibilité. Mais d’autres logiques territoriales accentuent des phénomènes inverses d’ « invisibilité sociale » étudiés par exemple, en 2009, par le philosophe Guillaume le Blanc (PUF, coll. « Pratiques théoriques », 197 p., 19 €).

Vincent Duclert

*Il a publié dans la même collection, en 2008, La République et ses territoires. La circulation invisible des richesses.

22 janvier 2013

Avant l’apocalypse. Berlin 1919-1933

Blog berlin
Entre le temps du conservatisme et celui du nazisme, entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, entre l’Empire allemand et la division de l’Allemagne, Berlin a vécu quatorze années intenses de bouillonnement intellectuel, de création artistique, d’innovation technique, dans un contexte de tensions politiques ouvertes et de fragilités économiques. C’est la ville d’Otto Dix, de Bertolt Brecht, Kurt Weill, Fritz Lang. Dirigé par Lionel Richard, spécialiste de l’Allemagne de Weimar, Avant l’apocalypse. Berlin 1919-1933 (Autrement, coll. « L’atelier d’histoire », 256 p., 22 €) associe de nombreux chercheurs allemands à des auteurs français. La grande métropole se déploie, avec ses lendemains de guerre sanglants et ses avant-gardes fiévreuses,  l’importance de son quartier juif ou l’image de l’Amérique entraînant une phase de modernisation et de culture de masse. Mais très vite la violence politique revient, la crise de 29 déchire la prospérité allemande, le nazisme impose son ordre, Berlin plonge dans la nuit. Si l’ouvrage inclut un plan de Berlin dans les années 20, on pourra regretter l’absence d’illustrations permettant de mieux comprendre l’importance de ces quelques années où Berlin découvrait la démocratie républicaine, et pénétrer plus en avant dans le passé lointain d’une ville sans équivalent.

Vincent Duclert

21 janvier 2013

Séquence BD. Winch & XIII associés

Jean van Hamme est le scénariste le plus célèbre de la BD francophone. Coup sur coup il a donné un nouvel épisode aux aventures de Largo Winch et confié à Yves Sente le soin de ressusciter la plus mythique encore série XIII qu’on avait pourtant annoncé achevée.

Blog largo
Colère rouge
clôt une forme de cycle (Dupuis, 48 p., 12,95 €). L’album s’en retourne aux origines de l’histoire de cet héritier venu de nulle part d’un immense groupe financier construit par son père adoptif, Nerio Winch, un Serbe du Monténégro dont la famille avait émigré aux Etats-Unis en 1845. Les premiers pas, mouvementés, de Largo Winch, s’étaient déroulés sur les rives du Bosphore. Enquêtant sur des malversations commises dans son groupe, il se voit ramener vers la Turquie, sur les bords de la mer Noire, en compagnie d’une pilote d’hélicoptère rompue à toutes les situations, même les plus périlleuses au sommet des plus hauts porte-conteneurs. Au même moment son ami Simon Ovronnaz se débat dans les rais d’un mariage non désiré, mais susceptible de le faire sortir des prisons suisses. L’épilogue à tombeau ouvert permettra de donner une fin, toute provisoire, à la série.

Blog appat
XIII
est reparti avec L’Appat (Dargaud, 48 p., 11,99 €), vingt-et-unième tome de la série, et deuxième album imaginé par Yves Sente avec le dessinateur Youri Jigounov révélé par la série Alpha. Après Le Jour du Mayflower (2011), ce nouvel album relance une histoire dont les lecteurs savent la complexité autant que la force, sur fond de références à l’histoire des Etats-Unis et à ses assassinats politiques.  Il relance l’intérêt pour une série qu’avaient tenté de maintenir, un peu artificiellement il faut en convenir, les albums dérivés sous le label « XIII Mystery » qui revenaient sur le passé, forcément mystérieux, des principaux protagonistes. Comme dans Largo Winch, les personnages associés au plus près à l’intrique emportent l’adhésion et humanisent le héros, en l’occurrence le major Jones (qui a les honneurs de la couverture) mais aussi la charmante Betty et son aristocrate époux français et bien sûr l’inoxydable général Carrington.

Vincent Duclert

16 janvier 2013

Trois livres de Jean Starobinski

Pas moins de trois livres de l’historien de la littérature Jean Starobinski sont parus ces derniers mois et mettent à l’honneur deux grandes collections, « La librairie du XXIe siècle » du Seuil pour L’encre de la mélancolie (661 p., 26 €), et « La Bibliothèque des idées » des éditions Gallimard pour des Essais sur Jean-Jacques Rousseau (328 p., 19,50 €) et Diderot, un diable de ramage (420 p., 22 €).

Blog staro rousseau
Né en 1920, médecin psychiatre de formation et de profession, animateur de la contrebande littéraire des années d'occupation, Jean Starobinki a, par deux ouvrages maîtres des années 1950 et 1960, occupé une place majeure dans la critique littéraire et esthétique, La transparence et l’obstacle consacrée à l’engagement littéraire et ontologique de Jean-Jacques Rousseau (1957, rééd. Gallimard) et L’invention de la liberté (Skira, 1964) prolongé par Les Emblèmes de la liberté (Flammarion, 1973) sur les artistes et les formes de la Révolution française. Gallimard et d’autres éditeurs ont assuré la poursuite de la publication de l’œuvre de Starobinski dont son Montaigne en 1982 (Gallimard).

Blog staro seuil
« À la fin d’une période où j’ai été médecin (1957-1968) à l’hôpital psychiatrique de Cery, près de Lausanne, explique l’auteur dans L’encre de la mélancolie, il m’avait semblé opportun de jeter un regard sur l’histoire millénaire de la mélancolie et de ses traitements. L’ère des nouvelles thérapeutiques médicamenteuses venait de s’ouvrir. Après une licence ès lettres classiques à l’université de Genève, j’avais entrepris en 1942 des études conduisant au diplôme de médecin. La double activité médicale et littéraire se prolongea au cours des années 1953-1956 passées à l’Université Johns Hopkins de Baltimore. Je relate ces diverses étapes de mes jeunes années pour dissiper un malentendu. Je suis souvent considéré comme un médecin défroqué, passé à la critique et à l’histoire littéraire. À la vérité, mes travaux furent entremêlés. L’enseignement d’histoire des idées qui me fut confié à Genève en 1958 s’est poursuivi de façon ininterrompue sur des sujets qui touchaient à l’histoire de la médecine, et plus particulièrement de la psychopathologie. »

Ce livre n’est donc pas seulement une enquête sur les formes littéraires prises par la mélancolie, mais aussi un essai réussi sur l’espace de la critique littéraire, l’expérience intime d’un chercheur, et la confrontation de l'artiste avec le social et le politique.

Blog staro diderot
Avec Diderot et Rousseau, Jean Starobinki continue le travail mené sur la littérature comme pratique d’écriture et processus de recherche allant jusqu’à s’instituer en acte philosophique. Ces livres réunissent des études dont la visée est repensée à travers leur association. C'est le prix des ouvrages ainsi construits au fil des travaux particuliers et qui, un moment, s'imposent par leur achèvement.  

Vincent Duclert

14 janvier 2013

La vie brève de Maurice Audin

Blog audin
Paru jeudi, La vie brève (L’Arbalète Gallimard, 184 p., 17,90 €), le récit que la mathématicienne et historienne des mathématiques Michèle Audin a consacré à son père qu’elle ne connut que brièvement avant sa mort à Alger sous la torture des parachutistes français, a suscité de nombreux articles de presse dont deux pleines pages dans Le Monde des livres (11 janvier) et dans le « Cahier livres » de Libération (10 janvier). C’est justice. Michèle Audin a choisi de redonner une vie à Maurice Audin disparu à l’âge de vingt-cinq ans en 1957, déclaré « disparu » par l’armée française qui n’avait jamais reconnu son assassinat malgré l’enquête à charge mené dès 1958 par l’historien Pierre Vidal-Naquet dans L’affaire Audin (Paris, Editions de Minuit, 1958, rééd. 1989, 192 p., 10,50 €).

« Ses derniers mots qu’il dit à ma mère, lorsque les parachutistes l’emmenèrent, furent : “Occupe-toi des enfants.” C’était le mardi 11 juin. Les derniers mots qu’il dit à Henri Alleg lorsque leurs tortionnaires les mirent face à face furent : “C’est dur, Henri.”. C’était le mercredi 12 juin. On sait qu’il a parlé ensuite avec Georges Hadjadj et d’autres prisonniers, mais les mots exacts qu’il a dits, on ne les connaît pas, la date non plus. »

Ces quelques phrases brèves évoquent ici le martyre de Maurice Audin, dans un livre que sa fille a débuté en février 2011 pour rappeler la courte existence de celui qui était « jeune éternellement », comme elle avait souvent entendu Pierre Vidal-Naquet le qualifier (p. 68). On y apprend beaucoup de ce jeune mathématicien dont on savait seulement qu’il était militant anticolonialiste au sein du Parti communiste algérien et dont la soutenance de la thèse en Sorbonne, le 2 décembre 1957, sur « les équations linéaires dans un espace vectoriel », sous la présidence de Laurent Schwartz, en l’absence de l’impétrant (in absentia), fut un acte solennel de résistance des élites scientifiques et intellectuelles, une « révolte de l’université ».

Si ses origines sont clairement liées au Maghreb colonial, de Béja (Tunisie) où il est né le 15 février 1932 à Alger où il disparut, Maurice Audin, qui porte le prénom d’un enfant mort prématurément à quatre ans, connut la métropole en tant qu’élève dans l’école d’enfants de troupe à Autun. « Car lui, qui a été, nous le savons, torturé et assassiné par l’armée française était, aussi, un produit de cette armée » (p. 46). Ce fut une période terrible de son existence, explique Michèle Audin citant l’écrivain Claude Simon qui qualifiait ces écoles de « bagnes d’enfants ».

Blog audin 2
Pour retracer sa « vie brève », sa fille se repose sur des fragments, des lettres de la famille, quelques photographies, une élégance simple de jeune étudiant portant chemisette et chaussures de tennis (bien qu’il n’y jouait pas). Etudiant en mathématiques à l’université d’Alger, il obtient avant même sa licence achevée, en 1953, un poste d’assistant auprès de la chaire d’analyse supérieure de René de Possel. Il se marie le 24 janvier 1954, vit avec sa femme Josette dans un trois pièces du centre d’Alger rue de Nîmes, a trois enfants, Michèle (née le 3 janvier 1954) puis ses frères, aurait pu en avoir d’autres ou même adopter après le tremblement de terre d’Orléansville en septembre 1954. Le couple vit simplement, quelques plaisirs, quelques loisirs que Michèle peut identifier grâce aux comptes du ménage. En 1956, il envisage une candidature sur un poste de l’Institut des Hautes Etudes de Tunis. Il renonce cependant, pour ne pas quitter une ville que lui et sa femme aimaient. « Le fait que le parti avait besoin de lui a certainement joué son rôle dans la décision qu’ils ont prise », ajoute Michèle Audin (p. 132). En novembre 1956, il se rend à Paris,pour des raisons politiques (« c’était une mission pour le PCA ») et pour des raisons scientifiques, afin de préparer la soutenance de sa thèse.

Blog Audin journal
Michèle Audin est partie « à la recherche de lieux qui nous soient communs, au visiteur de 1956 et à moi », comme l’hôtel Gerson de la rue des Ecoles qui n’existe plus aujourd’hui. Mais il reste « des images en noir et blanc » qu’égrène sa fille. Elle n’arrive cependant pas à se le représenter « en novembre à Paris, parce que de lui ne me viennent que des images où il est chemisette blanche, comme sur la photographie où il lit le journal, que je vois, derrière une vitrine de la bibliothèque, lorsque je vais chez ma mère » (p. 137). Il rencontre les futures membres du jury de sa soutenance, dont Laurent Schwartz, et puis la poétesse Minou Drouet, « parce que de Possel était admirateur des poèmes de la jeune prodige » (p. 139). Au retour à Alger débute la bataille qui porte son nom, 18 000 arrestations, 3 000 disparitions. Audin milite au milieu du danger, travaille sur pas moins de six notes scientifiques qui paraîtront dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences. Et puis plus rien, brutalement, sinon son arrestation le 11 juin au soir, sa fille donnant des coups de pied aux paras en leur criant de s’en aller de cette maison.

Dans son dernier chapitre, « Après », Michèle Audin s'emploie à réunir les rares survivances d’une vie qui s’en est allée, la solidarité des savants et des intellectuels avec le Comité Audin, son propre travail à commencer par la biographie du mathématicien Jacques Feldbau, qui n’avait pas tout à fait, lui aussi, terminé sa thèse en 1943, lorsqu’il fut déporté à Drancy puis à Auschwitz, mort à la fin de la guerre. Michèle Audin avait appris qu’après la soutenance in absentia de son père, certains de ses amis avaient eu l’idée d’organiser pour Feldbau une soutenance comparable. « C’était beaucoup trop tard, cela ne se fit pas. A part ses mathématiques, c’est une des premières choses que j’ai apprises à son sujet. C’est peut-être ce qui m’a décidée à rechercher, fouiller, à recueillir d’autres informations, à partir desquelles j’ai écrit un petit livre sur ses mathématiques et sa vie. » Michèle Audin ajoute : « Peut-être ce travail était-il surtout pour moi un premier pas vers ce texte-ci. Une façon de raccrocher l’histoire singulière de la disparition de mon père […] et notre deuil singulier à une histoire collective, […] il y a un deuil collectif, une mémoire historique, qui nous ont fait défaut, dont je ressens toujours le manque ».

Blog Audin Pignon
Le manque est en passe d’être comblé avec Une vie brève, pour elle comme pour tous ceux qui ont su, un jour, que Maurice Audin avait vécu et entrainé sur son nom bien des engagements. La qualité littéraire du récit a donné à cette présence retrouvée une réalité aussi forte que la dimension historique du deuil collectif. Un peu comme les portraits de lui que le peintre Ernest Pignon Ernest répandit dans «Alger la blanche ».

Vincent Duclert     

Photographies de la famille de Maurice Audin et de Ernest Pignon Ernest 

09 janvier 2013

Séquence BD. Adaptation flamboyante

« Les Oulahmr fuyaient dans la nuit épouvantable, fous de souffrance et de fatigue, tout leur semblait vain devant la calamité suprême: le feu était mort ». Cette phrase ouvre la Guerre du feu, que J.-H. Rosny Aîné publia en 1911. Elle est emblématique du roman. Sans que rien ne soit dévoilé de l'intrigue, tout y est dit de la vision romantique du destin humain que le romancier y développe.

Car, en recherchant le feu, les trois héros, Naoh et ses compagnons Gaw et Nam affrontent certes, des hommes, parmi lesquels les redoutables « Dévoreurs d'hommes » et les non moins belliqueux « Nains rouges ». Mais surtout, ils affrontent la nature, animaux et éléments. C'est d'ailleurs l'objet de la première partie de l'ouvrage, qui vient de faire l'objet d'une adaptation en bande dessinée par Emmanuel Roudier (La Guerre du Feu, 1 - Dans la nuit des âges, couleurs de Simon Champelovier, Delcourt, 56 p., 2012, 14,30€).

Blog guerre
Dans ce début de récit, plus que l'affrontement entre Naoh, « fils du léopard », et Aghoo, « fils de l'aurochs », qui convoitent tous deux la belle Gammla et, indirectement, la place de chef des Oulahmr, ce sont les combats entre animaux qui sont au cœur de l'action. Des mammouths affrontent des aurochs près d'un point d'eau. Un lion des cavernes tue un tigre (et s'approprie la femelle de celui-ci, peu rancunière). Chaque fois, le premier réflexe de l'homme est de se mettre à couvert, de se barricader et d'observer. Petit à petit, toutefois, il prend confiance. Après avoir abattu un ours pour se défendre, les héros attaquent la tigresse, et en triomphent : ils sont prêts pour affronter d'autres hommes, ceux dont ils découvrent les traces à la fin du volume.

Les dessins d'Emmanuel Roudier, mis en valeur par les couleurs de Simon Champelovier, servent parfaitement le scénario. Les hommes sont craintifs et désemparés, les animaux terribles, les combats intenses, sauvages. L'auteur a, qui plus, est, fait l'excellent choix de conserver le texte original de Rosny Aîné pour les commentaires comme pour les dialogues. Même s'il a coupé des scènes, son adaptation est très fidèle à l'esprit et à la lettre. Il en a également ajouté une au début, qui fait écho à sa précédente trilogie Neandertal

http://larecherche.typepad.fr/le_blog_des_livres/2009/11/neandertal.html, avec une allusion à une alliance entre un homme et des loups.

J'avoue avoir découvert la Guerre du feu par l'intermédiaire du film de Jean-Jacques Annaud (sorti en 1981). Je n'ai lu le livre qu'ensuite. Puis j'ai revu le film. La lecture de cet album m'a procuré autant de plaisir. Et je suis retourné lire des passages du livre. Gageons que cette adaptation de Roudier fera connaître ce classique du roman préhistorique, et donnera envie de lire lire en version originale (par exemple, on le trouve gratuitement en PDF http://bit.ly/GduFeuPDF).

Sa qualité, faut-il le préciser, n'a rien à voir avec une quelconque vraisemblance. Il y a bien longtemps que les préhistoriens savent que nos ancêtres préhistoriques n'ont jamais vécu de cette façon. Mais cela ne les empêche pas de prendre du plaisir à ces aventures. J'attends le volume suivant avec impatience.

Luc Allemand

06 janvier 2013

Illustrations scientifiques

Blog moustache
Marion Montaigne continue la publication en livre des notes de son blog « Tu mourras moins bête (mais tu mourras quand même) » http://tumourrasmoinsbete.blogspot.fr, et nous livre un second volume intitulé Quoi de neuf Docteur Moustache (Ankama, 256 p., 15,90€). Le succès du premier a été tel que la maison d'édition, qui avait compté (un peu, et avec raison http://larecherche.typepad.fr/le_blog_des_livres/2011/09/montaigne-magique.html) sur la presse de vulgarisation scientifique pour le lancer, avait même omis de me faire parvenir un exemplaire, d'où l'arrivée tardive de cette note. Cela dit, je ne m'en plains pas : cela signifie que même la science peut-être un sujet grand public quand elle est bien traitée.

Le traitement que lui fait subir Marion Montaigne, qui se cache sous le personnage du Docteur Moustache (je l'ai vue en vrai, et je vous promets, elle n'a pas de moustache), reste le même : érudition raisonnable, et dérision. Faut-il rappeler que le tout est en forme de bande dessinée ? Elle se concentre cette fois sur la biologie avec une forte attraction pour les sujets liés au sexe. C'est de façon assumée pour satisfaire la partie de son public constituée d'adolescents et de jeunes adultes : le chapitre « Parlons de sexe pour réveiller le lecteur » (p. 164) en témoigne.

Bref, c'est excellent, comme d'habitude, même si personnellement je préconise la lecture à petites doses (est-ce la publication initiale sous forme de notes de blog qui produit à la longue une petite lassitude?). L'édition est particulièrement soignée avec, pour l'introduction de la plupart des chapitres, de jolis dessins originaux de tout un tas de jeunes dessinateurs talentueux. Et (a-t-elle entendu ma remarque dans ma critique du précédent volume?) une bibliographie figure à la fin du livre pour ceux qui souhaiteraient en savoir plus. Continuez Madame Montaigne.

Luc Allemand