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28 février 2013 |

Stéphane Hessel, un destin

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Né le 20 octobre 1917 à Berlin, Stéphane Hessel est mort à Paris, hier 27 février 2013. Il compte parmi les plus illustres de ces « étrangers qui ont fait la France », du nom du Dictionnaire éponyme annoncé par les éditions Robert Laffont (coll. « Bouquins ») pour cet automne. Arrivé à Paris à l’âge de 8 ans avec sa mère (qui inspirera l’héroïne du roman d’Henri-Pierre Roché, Jules et Jim), il réussit le concours de l’Ecole normale supérieure en 1937 comme élève étranger, mais doit le repasser deux ans plus tard après sa naturalisation. Résistant, il rejoint Londres et la France Libre en 1941. En mars 1942, Stéphane Hessel intègre le BCRA à l’initiative de l’un de ses amis rencontré sur la base de Camberley. Tony Mella était en effet le collaborateur direct d’André Manuel. Ce dernier, adjoint de Passy à la tête du BCRA, avait été chargé de développer l’équipe de coopération entre Britanniques et Français libre, la section R. Sa mission consistait à recueillir au bénéfice de l’état-major anglais les renseignements obtenus par les réseaux français. Stéphane Hessel collabore également à la section du contre-espionnage dirigée par Roger Wybot et Stanislas Mangin. Le 15 avril 1943, l’arrivée à Londres de Pierre Brossolette, journaliste et intellectuel socialiste, résistant de la première heure, entraîne une réorganisation du BCRA. L’influence de « ce normalien fougueux et irrésistible qui avait fait la conquête du chef du BCRA » (selon Hessel, dans Danse avec le siècle, Le Seuil, 1996, p. 72) éclipse celle d’André Manuel. Il propose une vaste réorganisation des services et des missions des deux Résistances londonienne et intérieure, et se heurte de ce fait à Jean Moulin. Si Stéphane Hessel donne raison au second dans ses mémoires de 1997, il n’oublie pas de dire ce qu’il doit au premier, tremblant avec sa femme Gilberte à chacun de ses départs pour la France. Hessel, qui effectue lui aussi des missions en France occupée pour renforcer les liens avec les réseaux travaillant pour le BCRA (dont Cohors et Vélites) et organiser l’équipement radio des maquis (action « Gréco »), est arrêté à son tour par la Gestapo, sur dénonciation, le 10 juillet 1944 à Paris. Il est torturé. Il racontera dans ses mémoires de 1997 (Danse avec le siècle), l’épreuve qu’il a subie et la stratégie intellectuelle qu’il a choisie pour y faire face (voir plus bas). Déporté à Buchenwald, puis à Dora, enfin à Bergen-Belsen où l’avance des troupes américaines permet sa libération, il retrouve Paris le 8 mai 1945.

Devenu diplomate international, il est l’un des rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme.  En 1977, il prend la direction de la délégation française à l’ONU (Genève). Il est élevé à la dignité d’ambassadeur de France en 1981, travaille au ministère de la Coopération avant que François Mitterrand ne demande la démission du ministre Jean-Pierre Cot, trop audacieux dans la politique africaine de la France. Hessel réédite de telles audaces en 1990 dans un rapport commandé par Michel Rocard, à l’époque Premier ministre. Dans Les Relations de la France avec les pays en développement, il écrit que la politique française devrait être « revue dans le sens d'une plus grande rigueur et du rejet de toute complaisance clientéliste ». Ces propos déplaisent en haut lieu. Sa carrière diplomatique s’achève en 1993 quand il est nommé à la tête de la délégation française à la Conférence mondiale des Nations Unies sur les Droits de l'Homme. Il ne fait pas de doute que Stéphane Hessel n’a pas eu les responsabilités qu’il aurait méritées, probablement à cause de sa liberté d’esprit et de sa farouche indépendance. Celles-ci vont pleinement s’exprimer dans les vingt dernières années de sa vie.

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Fidèle à l’éthique de la Résistance, il s’emploie avec ses camarades à en faire vivre les valeurs. Avec Lucie Aubrac, Jean-Pierre Vernant ou Germaine Tillion, il lance le 8 mars 2004, depuis la Maison de l’Amérique latine à Paris, l’« Appel des Résistants aux jeunes générations ». Au-delà de la commémoration du soixantième anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance (CNR), « nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle. [...] Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec affection : “Créer, c’est résister. Résister, c’est créer” ». En 2010, le 20 octobre, jour de son 93e anniversaire, il publie le petit livre Indignez-vous (suivi d’Engagez-vous en 2011, puis d’A nous de jouer. Appel aux indignés de cette terre, en 2013 aux éditions Autrement). Son livre est un exceptionnel succès, dépassant le 4 millions d’exemplaires, forgeant l’expression des Indignés qui va fédérer de nombreux mouvements protestataires – de Madrid à New York. Alors que le livre atteignait déjà les 300 000 exemplaires, nous avions publié un article sur le Blog des Livres pour relever cette performance éditoriale (voir plus bas).

Stéphane Hessel a donc beaucoup fait pour les livres. Il a publié pas moins de quatre autobiographies où il exprimait autant sa vie passée que ses convictions présentes, sur l'Europe par exemple. Il demeure en eux tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change, pour paraphraser le poète. Stéphane Hessel dînait du reste régulièrement au restaurant Les éditeurs à Paris, avec sa seconde femme aux côtés de laquelle il est mort mercredi. Un homme d'esprit, de goût, de fidélité. Une conscience rare. 

Vincent Duclert

 

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 Photo Newscom

Billet du Blog des Livres, décembre 2010 : Le succès – plus de 300 000 exemplaires en deux mois -  du court essai de Stéphane Hessel, ambassadeur de France, ancien résistant au nazisme et déporté à Buchenwald, militant des droits de l’homme et du citoyen, figure parmi les très bonnes nouvelles de cette fin d’année. Parce qu’il honore l’engagement d’un homme dans l’histoire et les raisons qu’il en livre. Parce qu’il distingue deux éditeurs, Jean-Pierre Barou et Sylvie Grossman, la petite maison d’édition qu’ils ont cofondée à Montpellier *, et la collection qu’ils viennent de créer, « Ceux qui marchent contre le vent », un nom emprunté aux Omahas, un peuple indien des plaines d’Amérique du Nord. Parce qu’il témoigne de la résistance du livre et des libraires qui le font vivre. Se présentant sous l’aspect d’une brochure, d’un fascicule, Indignez-vous ! se révèle au toucher, au regard et à l’usage comme un vrai livre, à la mise en page soigné et au texte très édité. C’est « une pépite », n’hésitent pas à écrire légitimement Les Echos dans leur livraison du 23 décembre (Nathalie Silbert). C’est en tout cas la preuve que le courage intellectuel et les risques professionnels peuvent déboucher sur de belles réussites, la rencontre d’une pensée et d’un public par le biais d’un objet vivant, accessible pour 3 euros seulement. Le rêve de tout éditeur !

Vincent Duclert

* « Indigènes est une maison d’édition dédiée aux savoirs et aux arts non industrielles des Premières Nations – Aborigènes d’Australie, Indiens d’Amérique, Tibétains, Inuit, Maoris… - sans oublier les “Indigènes” de nos propres sociétés, ces pionniers, chez nous, qui entendent rompre avec les logiques mercantiles, protectionnistes, standardisées, tout en dégageant de nouveaux pôles d’autorité intellectuelle et de viabilité économique. »

 

Face à la torture nazie (Danse avec le siècle, op. cit., pp. 79-81) 

Emmené au sous-sol, je suis soumis à cette torture dont nous avons maintes fois entendu vanter l’efficacité. Au quatrième plongeon, je me déclare disposé à parler. J'ai imaginé un scénario subtil : au lieu de donner l'adresse de Jean-Pierre Couture, rue Delambre, où nous nous retrouvions chaque matin pour le petit déjeuner, je vais indiquer une adresse située dix numéros plus loin. Si la Gestapo s'y présente, toute la rue saura et mes amis seront alertés. Ma ruse est vaine. N os interrogateurs ont déjà relevé l'adresse de Couture et n'ont aucun besoin de mon aveu, qu'ils considèrent d'emblée comme une confirmation, malgré la différence de numéros. C'est ainsi que Jacques Brun est arrêté à son tour.

Je continue à nier que je suis Greco. Mais mon pouvoir de conviction faiblit. Pour mettre un terme à une séance de gifles qu'une jeune brute m'inflige après m'avoir attaché sur une chaise les mains dans le dos, je finis par avouer. Il s'agit à présent d'entrer dans les détails: l'objet de ma mission, mes contacts à Paris, ce que je sais de l'organisation clandestine. D'autres services secrets allemands s'intéressent à moi. Utilisant toujours la langue aIle mande, je me dis prêt à répondre et brode sur tous les thèmes de la clandestinité : cloisonnement, alerte, sécurité, fonctionnement du réseau.

Les jours passaient. Le rythme des interrogatoires se ralentit. Je ne me souviens que d'une confrontation. Dans un bureau où j'en trais pour la première fois, je me trouvai un jour en face d’Antoine Masurel. Je savais que ce grand jeune homme intelligent et courageux, qui était à la tête de Phratrie, l'un des plus efficaces de nos réseaux de renseignements, avait été arrêté quinze jours avant moi. Me reconnaîtrait-il ? L’identifierais-je ? Nous nous regardâmes comme si nous ne nous étions jamais croisés. “ Celui-là, dis-je d'un air dédaigneux, vous n 'y pensez pas ! Tout au plus un petit agent de liaison. Sûrement pas un chef de réseau. Il me semble que ça se voit. ” Le tout en allemand, bien sûr. “ Je ne connais pas ce monsieur ”, confirma Masurel. La séance prit fin, me laissant l'immense satisfaction de n'avoir rien laissé échapper.

Parler, plutôt que de se refuser obstinément au dialogue. Toute mon admiration va aujourd'hui à ceux qui ont décidé de se taire sous les coups, de lasser la brutalité des bourreaux par l'acceptation muette de la souffrance. A ceux aussi qui, se craignant incapables de résister, ont choisi la mort – Jacques Bingen, Pierre Brossolette. Moi, j’ai beaucoup parlé. J’ai même écrit : un nouvel interrogateur voulait des détails sur l’organisation clandestine des liaisons radio entre Londres et la Résistance. Je lui proposai de rédiger un rapport sur ce sujet. Bel exercice d’imagination, qui l’a peut-être fait bien voir de ses chefs.

 

La France réelle et l’Europe (ibid., pp. 137-138)

 

La France réelle n’a pas toujours été pour moi, au long des cinquante dernières années, la France souhaitée. Et pourtant je n’ai pas tenté de rapprocher l’une de l’autre par la voie normale en démocratie : l’accession à des responsabilités politiques.

Je l’ai fait tantôt en travaillant pour des hommes politiques dont je respectais le combat, tantôt en participant à des cercles de réflexion dont je partageais les idées. La confrontation avec des adversaires, la réfutation des arguments de l’autre, je ne les ai connues que sur le plan international : face à des interlocuteurs qui mettaient en cause ou minimisaient le rôle de la France dans le monde. Ce rôle, je veux bien le critiquer ou l’entendre critiquer par des compatriotes. Mais pas par les autres. Rien ne m’irrite comme les clichés que véhiculent les médias anglais, allemands, américains sur une France égoïste, nationaliste, arrogante.

Que répondrais-je si la question m’était posée aujourd’hui ? Je trouverais à la France bien des défauts, certes, mais aussi bien des mérites. Après le coup tragique de juin 1940, la remontée des années cinquante fait honneur à ma génération. Puis elle a eu à mener simultanément la renonciation laborieuse à un vaste empire outre-mer et la patiente gestation d’une Europe où elle pourrait s’épanouir. Et tout cela en moins de trente ans, entre mon vingt- cinquième et mon cinquante-cinquième anniversaire. Je ne dirai pas que cela s’est bien passé. La guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, bien des turpitudes de notre politique africaine sont là pour nous rappeler à une saine humilité. Il reste que nous avons rendu à la France une place de premier plan dans le concert des nations. Nous avons vécu pour elle une importante mutation. Pour la génération “fin de siècle”, il faudra trouver un nouveau sens à son “moment de l’histoire”. Le nôtre a été brutal, exalté, maladroit, ambitieux. Nous laissons une France en haut de l’échelle des nations industrielles, économiquement privilégiée, socialement en crise, politiquement modeste. Trop modeste peut-être.

Elle est la plus européenne des nations européennes, celle où se croisent toutes les Europes -du Nord, de l’Ouest, du Sud. C’est à l’Europe que revient en cette fin de siècle la tâche de donner à tous ses citoyens, aux Français comme aux autres, un avenir exaltant. Et à la France de s’investir sans réserve dans cette perspective.

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