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novembre 2012

30 novembre 2012

La mort d'Erik Izraelewicz

Blog isra
La mort sur le front de la presse, en plein travail dans son bureau mardi 27 novembre, du directeur du Monde Erik Izraelewicz, a ébranlé la profession. Elle a réveillé des inquiétudes enfouies sur l’extrême fragilité de la presse de qualité, sur la contrainte des patrons de journaux d’avancer toujours sur le bord de la falaise, de travailler à fond comme le faisait Izraelewicz pour innover tout en assurant le quotidien. Sa disparition brutale, à laquelle l’épuisement personnel à la tâche doit sa part, rend plus périlleuse encore l’aventure de presse. Et en même temps, elle fait devoir aux vivants de poursuivre l’œuvre engagée depuis des siècles. (Photo AFP/Le Monde)

Vincent Duclert

Blog iz
En 1997, Erik Izraelewicz avait pu trouver le temps de réfléchir au monde qui nous attend. S’intéressant aux peurs françaises et l’économie (Grasset, 1997, 265 p., 19,40 €), il avait expliqué l’exception française en la matière par l'irresponsabilité des hommes politiques, qui semblent dire en permanence: « Le monde change, ne changeons rien. » Et de rappeler que le gouvernement français lors de la catastrophe de Tchernobyl, en 1986, avait dit en substance: « Nous arrêterons le nuage de Tchernobyl, il ne passera pas sur la France! » Refusant que la "globalisation" et l'Europe servent de boucs émissaires pratiques, Erik Izraelewicz avait voulu rehausser le débat. 

28 novembre 2012

La Recherche et l’innovation en France

Blog areche
Cinquième volume d'une série annuelle, La Recherche et l’innovation en France émane des travaux conduits au sein de FutuRIS, une « plate-forme prospective sur la recherche, l’innovation et la société » animée par l’ANRT, soutenue par une trentaine de contributeurs (entreprises, institutions de recherche, agences, ministères, académies) et rassemblant acteurs et experts de la recherche et de l'innovation. L’ouvrage collectif, fort d’une douzaine de contributions, propose également des annexes documentaires et chiffrées très utiles. Ses deux directeurs, Jacques Lesourne, professeur émérite au Conservatoire national des arts et métiers, membre de l'académie des technologies, et Denis Randet, délégué général de l'association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), reviennent sur le tournant de 2004 mentionné dans le billet Crémieux-Brilhac (ci-dessous). « En 2004, le système français de recherche et d’innovation était handicapé par son cloisonnement : on opposait les grandes entreprises aux petites, les organismes de recherche aux universités, le public au privé, et FutuRIS avait justement été créé pour aider à y remédier. Les choses ont bien changé, et si, dans les difficultés on n’est pas à l’abri de replis corporatistes, les solidarités amorcées ont de bonnes chances de l’emporter. Ce sera le sens de notre action ». Aux trois enjeux mentionnés dans le volume 2011 (l’adaptation du financement de la recherche, l’articulation des financements nationaux et européens, la collaboration des entreprises privées et des organismes publics), Jacques Lesourne, dans son épilogue, en ajoute un quatrième : « la gouvernance » et l’inventivité institutionnelle.

Vincent Duclert

26 novembre 2012

La politique scientifique de Pierre Mendès France

Blog pmf
Les Assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche ont ouvert aujourd’hui à Paris. Voulues par le gouvernement, elles devraient déboucher sur un rapport puis sur une loi. L’action publique en matière de recherche scientifique est souvent renvoyée à une époque faste où, non seulement les crédits étaient abondants mais surtout existait une volonté politique de doter la France d’un vaste secteur public où dominait la recherche fondamentale. Largement élaborée par les équipes réunies autour de Pierre Mendès France, cette mobilisation fut concrétisée par le général de Gaulle dès son arrivée à la tête du dernier gouvernement de la IVe République, en novembre 1958 lorsqu’il jeta les bases de ce qui allait devenir la DGRST (Délégation générale à la recherche scientifique et technique). L’un des principaux animateurs du mouvement publie aujourd’hui de cette histoire, dans la collection « Le sens de la recherche » des éditions Armand Colin associée au Comité pour l’histoire du CNRS, une brève et nécessaire analyse. La politique scientifique de Pierre Mendès France est sous-titrée à juste titre par son auteur, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, « une ambition républicaine » (186 p., 20 €). En cette année du trentième anniversaire de la disparition de PMF, ce livre se veut, loin d'une tentation hagiographique, « un acte de justice » en ce sens qu’il éclaire la marque imprimée par l’homme d’Etat et l’intellectuel sur l’organisation de la recherche et de l’enseignement supérieur dans le second XXe siècle, au-delà même des grandes assises voulues par le ministre de la Recherche et de la Technologie du gouvernement Mauroy de 1981. Puisque la gauche est de retour aux affaires, elle peut s'inspirer encore de la volonté mendésiste de placer la recherche et l’enseignement au cœur des grands enjeux politiques.

L’ouvrage est précieux aussi par les nombreux textes et documents qu’il contient. Il se clôt par l’article que Jean-Louis Crémieux-Brilhac et Pierre Piganiol, premier patron et véritable créateur opérationnel de la DGRST, publièrent dans Le Monde le 23 janvier 2004, en plein mouvement des chercheurs pour sauver la recherche.

Vincent Duclert  

 

Larzac bis

Blog Larzac seuil
Au sujet de notre billet « Gardarem lo Larzac ! », le directeur des éditions Privat Philippe Terrancle nous a fait savoir qu’il ne souhaitait pas, en incluant dans le livre de Pierre-Marie Terral dont il est l’éditeur un cahier iconographique, faire une concurrence malvenue à l’album que concevait au même moment Solveig Letort aux éditions du Seuil, Le Larzac s’affiche (préface de Stéphane Hessel, 142 p., 19,30 €). Témoin de ces luttes aux côtés de ses parents et aujourd’hui diplômée de l'université de Montpellier en ethnosociologie, cette dernière est aussi l'auteure de Chronique des gens du schiste en 1990 (éditions Siloë).

On peut saluer cette confraternité. Et saluer la sage décision du gouvernement qui a annoncé hier la création d’une Commission du dialogue au sujet du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Il était temps, certainement.

V.D.

22 novembre 2012

Séquence BD. Le serment des cinq lords

Blog blake
Le serment des Cinq Lords
(Editions Dargaud/Blake et Mortimer, 64 p., 15,25 €) est une vraie réussite. Créé d’après les personnages d’Edgar P. Jacob* par le scénariste Yves Sente et le dessinateur André Juillard, l’album emmène ses lecteurs vers les campagnes enneigées de Londres et d’Oxford, à la poursuite du fantôme de T.E. Lawrence « d’Arabie », lequel avait été un modèle pour le jeune futur capitaine Blake et quatre de ses amis. Ces cinq étudiants d'Oxford en histoire et archéologie fondèrent en son honneur et pour la défense de son œuvre une société secrète, les « cinq lords ». Mais voici que, des années plus tard, certains d’entre eux sont assassinés. Aidé de son ami le professeur Mortimer, Blake, prochain sur la liste des tueurs, se lance dans une enquête à tombeau ouvert. Où l’on apprend comment Lawrence a été lui-même assassiné en 1935 sur une route anglaise pour assouvir la vengeance personnelle d’un des chefs du MI 5 (le contre-espionnage britannique) alors même que l’ancien héros de la Grande Guerre était chargé par le MI 6 (l’espionnage) d’infiltrer les rangs du parti fasciste de Mosley. Mêlé malgré lui à l’assassinat de Lawrence, artisan ensuite de l’arrestation de son assassin, Blake revit cette période douloureuse de sa jeunesse. Au milieu de la mort de ses camarades, il tente de sauver ce qui reste de Lawrence, un manuscrit resté inédit… Les historiens auront finalement le dernier mot. 

L’intrigue est prenante, le dessin précis autant qu’inspiré, les paysages envoutants, le rythme haletant avec ces histoires, ces drames et ces temps qui se croisent et s’entrelacent. 

Vincent Duclert

* Pour les connaisseurs, précisions que les auteurs font revivre l'un des personnages secondaires du Secret de l'Espadon, le sergent Mac. 

20 novembre 2012

A la gauche du Christ

Blog gauche
La mobilisation, samedi en France, d’une partie de l’Eglise catholique et de certains de ses évêques contre le « mariage pour tous » (à savoir le mariage entre personnes de même sexe), au nom des valeurs de la famille et de la tradition, pourrait faire oublier que des chrétiens ont eu, en de nombreux événements de la vie nationale et des questions sociales, des positions très progressistes. C’est vrai de la Résistance au nazisme, de la lutte contre la torture dans la guerre d’Algérie, des solidarités ouvrières, de Mai 68, du droit des femmes, des combats pour le Tiers-monde,etc. Un impressionnant collectif, qui associe l'étude des catholiques comme des protestants, qui pose la question de l’articulation de l’Evangile et de la politique, permet d’accéder à une connaissance élargie de l’histoire contemporaine de ceux qui se tiennent « à la gauche du Christ ». Cette gauche abordée par les« chrétiens de gauche » est bien plus morale que politique, elle étend pour cela son champ des possibles et ses inscriptions politiques. On regrettera simplement, mais c’était aussi plusieurs centaines de pages supplémentaires à la clef, que l’ouvrage publié au Seuil (621 p., 27 €) n’aborde pas la préhistoire de ces combats commencés à la fin du XIXe siècle, notamment dans la crise majeure de l’affaire Dreyfus.  Mais Denis Pelletier, l’actuel président de l’Ecole pratique des hautes études et maître d’œuvre avec Jean-Louis Schlegel, évoque dans sa première contribution les « héritages et fondations ». L'Eglise catholique aurait bien tort de méconnaître ce courant vivace qui la constitue. 

Vincent Duclert

Gardarem lo Larzac !

Blog larzac
Au sujet du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes qui s’avère d’être, jour après jour, un problème central pour l’équipe gouvernementale (entêtement personnel du Premier ministre, non-sens économique puisque l’actuel aéroport continuera de fonctionner pour les besoins d'Airbus, exacerbation du sentiment écologiste, malaise dans les campagnes et chez les agriculteurs, …), on parle de plus en plus d’effet Larzac, du nom du plateau des Cévennes (Causses) visé en 1971 par l’extension du camp militaire voisin. Pendant dix ans, un large et hétéroclite mouvement de protestation s’opposa au projet gouvernemental. En 1981, le gouvernement de François Mitterrand décida l’abandon de l’extension. Une gauche à la fois libertaire et doctrinaire, internationaliste et régionaliste y gagna ses lettres de noblesse. Le « Larzac » fait figure de référence. Docteur en histoire, Pierre-Marie Terral a publié sa thèse de 2010 sur les combats du Larzac aux éditions Privat. Larzac. De la lutte paysanne à l’altermondialisme (avant-propos de Rémy Pech, préface de Christian Amalvi, 450 p., 25 €) s’intéresse particulièrement aux vies ultérieures du Larzac, avec l’émergence d’une figure aujourd’hui omniprésente sur la scène publique et militante, José Bové. Un travail réussi et utile, un livre très bien édité, mais qui manque peut-être d'un cahier iconographique tant les traces visuelles de cette lutte sont nombreuses. 

Vincent Duclert

18 novembre 2012

Faire des sciences sociales

Blog faire
Les éditions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales ont publié, le 2 novembre dernier, un ensemble de trois volumes intitulé Faire des sciences sociales, 1. Généraliser, 2. Comparer, 3. Critiquer (coll. « Cas de figures », 15 € par volume, disponible en coffert).

La présentation qu’en a faite le maître d’œuvre, Christophe Prochasson, également directeur de ces éditions, souligne la place dynamique confiée à l’éditeur dans ce vaste chantier. Cette place de l’édition dans la fabrique des grands projets scientifiques n’est pas neuve, elle associe même en France éditeurs universitaires et commerciaux, mais il était bon de la rappeler à l'occasion, par l’exemple. Nous restitutons ici l’essentiel du texte de Christophe Prochasson publié dans la Lettre de l’Ecole (http://lettre.ehess.fr/4525). On l’aura reconnu aussi, Faire des sciences sociales renvoie au lointain Faire de l’histoire, dirigé par Jacques Le Goff et Pierre Nora, et publié en 1974 aux éditions Gallimard, dans la collection « Bibliothèque des histoires » que Pierre Nora avait créée en 1970 (3 tomes : t. 1 Nouveaux problèmes, t. 2 Nouvelles approches, t. 3 Nouveaux objets)

V. D.   

« En 1996, l’EHESS s’était déjà rassemblée sous la direction de Jacques Revel et de Nathan Wachtel pour donner à voir ce qu’elle était dans un volume fièrement intitulé Une École pour les sciences sociales. C’est une autre photographie que Faire des sciences sociales propose une quinzaine d’années plus tard. Pas plus qu’en 1996, celle-ci n’est d’ailleurs représentative de ce qu’est l’École dans son ensemble. Les membres du comité de rédaction (Emmanuel Désveaux, Michel de Fornel, Pascale Haag, Cyril Lemieux, Christophe Prochasson, Olivier Remaud, Jean-Frédéric Schaub et Isabelle Thireau) ont fait des choix : diversité disciplinaire, échelle mondiale, représentation des femmes, priorité générationnelle. C’est d’ailleurs sur cette dernière dimension qu’il convient d’insister. Faire des sciences sociales illustre le passage d’une génération à l’autre : non plus bien sûr les fondateurs de l’École, ni même leurs immédiats successeurs, mais ce que l’on pourrait reconnaître comme une « troisième génération », délivrée des grandes figures comme de l’impérialisme des grands modèles. On aurait tort, comme le font certains, de n’y lire que du désenchantement au regard de temps héroïques. On peut tout au contraire se réjouir d’y déceler tant d’énergie et de liberté. L’École a de beaux jours devant elle !

L’EHESS peut se flatter d’être l’une des rares institutions à être en mesure de mener à bien un projet aussi transversal. Ces trois volumes font la preuve que l’interdisciplinarité n’est pas un drapeau que l’on se contente d’agiter. Trois années durant, des chercheurs issus de toutes les disciplines représentées à l’École ont échangé. Des uns et des autres, tous ont beaucoup appris parce qu’ils se voyaient au travail. Faire des sciences sociales ne constitue en effet ni un état des lieux par discipline, encore moins un recueil de manifestes épistémologiques qui ne dit rien des mises en œuvre et des façons de faire mais plutôt un gigantesque laboratoire où chacun montre comment il œuvre. C’est cet empirisme assumé qui fait toute la force et l’efficacité d’un ouvrage dont la lecture deviendra vite incontournable pour tous les jeunes chercheurs s’engageant dans la voie des sciences sociales.

Il faut enfin souligner la dimension collective de l’entreprise qui a été l’occasion d’une coordination remarquable entre l’École et son service des éditions dirigé par Jean-Baptiste Boyer. Anne Bertrand a coordonné le travail du comité de rédaction et fait l’interface avec le boulevard Saint-Michel, siège des éditions, où chacun s’est trouvé mobilisé, d’une façon ou d’une autre, par cet immense chantier. Malgré les inquiétudes occasionnelles, inévitables pour un projet collectif inscrit dans une telle durée, l’enthousiasme n’a jamais fait défaut. Faire des sciences sociales a fait la démonstration que les éditions de l’École sont un véritable partenaire des chercheurs et non pas un simple support de valorisation de leurs travaux. »

15 novembre 2012

La fabrique du nom d'auteur

Blog burgelin
Ce livre pourrait s’intituler la « fabrique du nom d’auteur ». Il porte sur le processus complexe par lequel un écrivain décide de se donner un nom de plume. On est déjà dans l’acte littéraire, dans la création. L’étude de Claude Burgelin, professeur émérite à l’université de Lyon 2, spécialiste de Georges Perec, s’ouvre sur une double paternité, James Joyce en dédicace*, et Marcel Proust pour La Recherche dont Gilles Deleuze avait montré, bien à propos, que cette cathédrale avait commencé de s’édifier lorsque l’auteur était parvenu à imaginer les noms propres de son œuvre.  

Habillé de son nom de plume, l’écrivain brouille les pistes sur ses origines, s’invente comme personnage, la palme à cet égard revenant à Romain Gary/Emile Ajar. Le chercheur se doit alors de mener de véritables enquêtes. Les mal nommés. Duras, Leiris, Calet, Bove, Perec, Gary et quelques autres (Le Seuil, coll. « La Librairie du XXIe siècle », 355 p., 25 €) est un livre profond sur l’acte littéraire dans ce qu’il a de créateur, et de vertigineux aussi.

Vincent Duclert

 

* « Qu’y a-t-il dans un nom ? C’est ce que nous nous demandons dans l’enfance, lorsque nous écrivons ce nom qu’on nous dit le nôtre. » (Ulysse)

14 novembre 2012

Sexe et amour sur la toile

Blog sexe
Internet a rendu plus facile, et ce faisant, a banalisé les relations de sexe et d’amour, particulièrement celles qui se déploient dans le secret des passions. En même temps, la « Toile » a donné à ces amours un caractère potentiellement public qui vient de se rappeler à la connaissance des élites américaines du pouvoir. Sociologue du couple et de la vie amoureuse contemporaine, auteur de nombreuses études à succès, Jean-Claude Kaufmannn, directeur de recherche au CNRS, a récemment publié Sex@mour aux éditions Armand Colin (coll. « Individu et société », 213 p., 14,90 €). Un nouveau chapitre vient de s'écrire aux Etats-Unis. 

Vincent Duclert