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septembre 2012

28 septembre 2012

La grande famine en Chine

Blog stèles
« Les pages que l’on va lire ont terribles, effroyables même », écrit Louis Vincenolles, le traducteur principal de Stèles. La grande famine en Chine, 1958-1961¸de l’historien chinois (de Hong Kong) Yang Jisheng, dans un avertissement assez inédit. C’est dire qu’éditeurs et traducteurs ont noué un rapport étroit avec cette œuvre si nécessaire pour dire, témoigner et expliquer une tragédie sans équivalent : en 1958 et 1961, 36 millions de Chinois sont morts de faim dans le cadre du « Grand bon en avant » qui provoqua un désastre humain total. Une violence absolue se répand sur les campagnes et les populations rurales, victimes de la folie idéologique des dirigeants chinois, Mao Zedong en tête. Yang Jisheng a effectivement érigé, avec son livre dont la version chinoise est considérable (mille deux cents pages), une stèle, en mémoire de son père mort de faim en 1959, à toutes les victimes de la grande famine, au système qui a provoqué cette catastrophe, enfin à lui-même qui s’est plongé jusqu’à l’épuisement dans un défi personnel, moral et heuristique lui-même total. Contre un pouvoir totalitaire, muré dans sa démence criminelle et la négation de ses actes, la matérialisation de la mémoire est une arme aux mains des peuples. « J’érige ces stèles précisément pour que les gens se souviennent de cette catastrophe provoquée par l’homme, de ces ténèbres et de ces crimes, afin qu’à l’avenir on ne les reproduise pas ». (671 p., 28 €).

Vincent Duclert

Le Livre du Mois dans La Recherche

Blog jardin
« Espace frontière, espace miroir de la société, le jardin potager révèle toute sa complexité dans cette lecture d’histoire culturelle », écrit Cristiana Oghina-Pavie, maître de conférences à l’Université d’Angers, auteur du Livre du Mois de La recherche (octobre) consacré ce mois-ci à l’Histoire du jardin potager, par Florent Quellier (Armand Colin, 192 p., 27,50 €), un riche ouvrage particulièrement bien illustré.

V.D.

26 septembre 2012

Argent privé, affaire d'Etat

Blog zunc
On le sait, les fonds privés sont essentiels aux grandes universités américaines (elles-mêmes généralement privées) et à la recherche outre-Atlantique, générant même une catégorie sociale, celle des « entrepreneurs universitaires » tel Daniel Coit Gilman, premier président de l’université John Hopkins en 1876, et sans oublier les immenses dotations assurées par Rockfeller, Carnegie ou Olivia Sage. Ce soutien à la recherche est l’un des aspects de la philanthropie américaine, dont les impacts publics sont aussi considérables que finalement peu connus, et qu’étudie Olivier Zunz, professeur à l’université de Virginie. Son étude de 2012 publiée par Princeton University Press a été aussitôt traduite en France par les soins des éditions Fayard et d’un traducteur également chercheur sur les Etats-Unis, Nicolas Barreyre. L’un des intérêts du livre est de démontrer que la philanthropie, loin de se limiter à cette pratique des couches supérieures, est partagée par une bonne partie des Américains. C’est une autre conception de la société et de l’intérêt public qui est ainsi promue et reconnue (376 p., 22,90 €).

Vincent Duclert  

De l’utilité du genre

Blog scott
Nous avions rendu compte cette année de la publication en collection « Points » (Seuil) de La Formation de la classe ouvrière anglaise. Cette œuvre magistrale de l’historien britannique E.P. Thompson a été passée au crible de la critique de l’universitaire de Princeton Joan Scott qui y voit un symptôme historiographique prégnant : « Quand on lit La Formation de la classe ouvrière anglaise, on est frappé non pas par l’absence de femmes dans le récit, mais par la façon singulière dont elles y figurent. Le livre éclaire quelques-unes des raisons de la difficulté et des frustrations rencontrées par les féministes socialistes contemporaines quand elles cherchent à se convaincre elles-mêmes, et à convaincre leurs collègues qu’il doit y avoir une place pour les femmes dans l’histoire de la constitution de la classe ouvrière et dans la théorie politique que contient ce récit ». Cet essai critique de 1988 forme l’un des chapitres De l’utilité du genre, un recueil des grands articles de Joan Scott publié à l’initiative des éditions Fayard, dans leur collection « Histoire de la pensée » (série « A venir »), et traduit de manière limpide par Claude Servan-Schreiber (223 p., 18,50 €).

Vincent Duclert

24 septembre 2012

Renouveler l'histoire de la Shoah

Blog micro
C’est une équipe de jeunes chercheurs, habitués des enquêtes de terrain, qui a conçu le dossier de la livraison annuelle du Genre humain. Plaidant pour une « microhistoire de la Shoah », ils soulignent l’importance de l’échelle locale dans l’étude des persécutions antisémites dans l’Europe nazie. La dimension de l’enquête est plus que jamais nécessaire. Elle révèle la complexité des processus de mise à mort qu’une vision d’ensemble, bien souvent, élude ; elle « met à nu la dynamique des rouages et des interactions », elle scrute les archives et les témoignages, elle implique plus intimement le chercheur parfois confronté à sa propre histoire (sous la direction de Claire Zalc et alii, éditions du Seuil, 306 p., 15,20 €).

V.D. 

23 septembre 2012

Une union menacée ?

Blog goug
Hier 22 septembre a été commémoré le 50e anniversaire du discours du général de Gaulle à la jeunesse allemande, occasion d’honorer symboliquement le rapprochement personnel entre le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer. La mise en scène des rencontres au sommet et des anniversaires historiques ne saurait cependant masquer que les deux pays se sont éloignés l’un de l’autre, interroge Jean-Pierre Gougeon, directeur de recherche à l’IRIS, dans France-Allemagne : une union menacée ? (Armand Colin, 219 p., 19,90 €). La France et l’Allemagne ont perdu cette relation privilégiée qui animait l’Europe et inspirait leurs propres changements intérieurs. Des formes d’incompréhension mutuelle sont nées de cet éloignement. On en paye certainement le prix aujourd’hui.

V.D. 

21 septembre 2012

Les deux vitesses de la pensée

Blog pensée
Les Prix Nobel d’économie sont à l’honneur pour cette rentrée littéraire. Après Paul Krugman et Joseph Stiglitz, voici Daniel Kahneman, lauréat 2002 pour ses travaux de psychologie de la connaissance et de la décision. La publication, le 3 octobre prochain, aux éditions Flammarion, de la version française de Thinking. Fast and slow, sera un événement. Traduit par Raymond Clarinard, Système 1/Système 2. Les deux vitesses de la pensée (560 p., 25 €) propose une éclairante synthèse des recherches de Daniel Kahneman sur les modes de pensée. Mobilisant la psychologie cognitive et l’économie comportementale, ce professeur émérite à l’université de Princeton assisté du chercheur Amos Tversky pose les bases de la distinction entre la « pensée rapide » et la « pensée lente », ressources essentielles pour l’amélioration des jugements et des décisions en matière économique et politique.

Vincent Duclert

19 septembre 2012

L'état du monde

Blog badie
Depuis son lancement en 1981 aux éditions La Découverte, L’état du monde « scrute et accompagne les mutations de la planète », en s’appuyant sur un réseau d’auteurs eux-mêmes connectés à des « centaines d’équipes de recherche, en France et à l’étranger, dans toutes les disciplines liées à l’international ». Depuis 2003 a également paru chaque année un cédérom devenu en 2006 un site Internet (www.etatdumonde.com) proposant de nombreux compléments, données et prolongements, l’ensemble constituant une « base documentaire unique » de l’aveu des directeurs de l’entreprise, Bertrand Badie et Dominique Vidal. Ce site, gratuit durant un mois, devient ensuite payant (9,90 € pour l’année). Un volume papier, proposant une synthèse des grandes évolutions géopolitiques de l’année, est publié à chaque rentrée universitaire. L’édition 2013 (264 p., 18 €) insiste sur les phénomènes de rupture, « rupture » entre des sociétés en processus d’émancipation  (notamment par l’accès à l’information et aux nouveaux outils de mobilisation représentés par Internet) et des pouvoirs d’Etat les gouvernant -souvent par l’oppression et la soumission. Les « printemps arabes » ou le mouvement des « Indignés » témoignent particulièrement, selon les responsables du volume, de cette « cassure » à l’échelle mondiale.

Vincent Duclert

17 septembre 2012

Versailles, ordre et chaos

Blog versailles
Michel Jeanneret a choisi de passer de « l’autre côté du miroir », celui du mythe du Grand Siècle exaltant « l’art classique comme triomphe de l’esprit, de l’ordre et de l’équilibre, de la beauté et du bon goût, [qui] en fait le pendant esthétique de l’éclat du règne, l’expression de l’accomplissement auquel a atteint la France dans ce temps privilégié où elle sert de modèle à l’Europe. Cette image d’une perfection apollinienne tient son rang dans la panoplie idéologique et hégémonique de l’esprit français : érigée en norme, elle est, là encore, difficile à ébranler ».

C’est pourtant ce à quoi s’emploie ce professeur honoraire à l’université de Genève. Il s’applique à « restaurer la face anxieuse de l’art classique, son face-à-face avec la violence et l’animalité, sa symbiose avec des forces sauvages qu’il tente de maîtriser, mais ne refoule pas ». Car la culture classique « ne nie pas la nature brute, elle esquisse au contraire un mouvement régressif vers le primitif et le tohu-bohu des origines, elle explore le règne de l’élémentaire, le territoire trouble des passions, des pulsions et des convulsions ».

Versailles, ordre et chaos (Gallimard, coll. « Bibliothèque illustrée des histoires », 376 p., 38 €) commence par une promenade inspirée dans le parc du château au moment de sa genèse : « elle découvre, dans le sanctuaire de l’ordre et de la beauté classiques, les traces d’une nature rebelle [...]. Les spectacles montés à la Cour – fêtes, comédies, ballets, opéras – proposent eux aussi diverses descentes dans le monde d’en bas ». Une manière, avec ce beau livre, de prolonger les ravissements des journées du Patrimoine…

Vincent Duclert
15 septembre 2012

Les protestants en France

Blog cabanel prot
Auteur d’une récente Histoire des justes (voir le Blog), Patrick Cabanel est spécialiste des protestants français de l’époque contemporaine. Il vient de leur consacrer une immense synthèse (de 1502 p.) qui les suit de leurs naissances dans les années 1510-1550 jusqu’au plus actuels des temps présents. Après avoir représenté près de 10 % de la population française au début des années 1560, ils ne sont plus que 3% en ce début du XXIe siècle. Pourtant, leur rôle et leur importance dans la société française sont sans commune mesure avec leur poids démographique. Car les protestants en France ont mené, et mènent, une expérience qui intéresse toute la société, expérience « de pluralisme religieux et intellectuel ». Loin du filtre exclusif de la « souffrance », Patrick Cabanel expose la réussite protestante à travers la contribution essentielle des protestants à la démocratie républicaine (éditions Fayard, 39 €).

Vincent Duclert