Publié aux éditions Odile Jacob, La Vie, l’Evolution et l’Histoire (200 p.n 23,90€) constitue le sixième ouvrage publié par Michel Morange, biologiste moléculaire et historien des sciences du vivant. Ce texte prolonge directement la réflexion conduite dans un livre paru en 2005, Les secrets du vivant, Contre la pensée unique en biologie. Dans ce premier essai, l’auteur voulait montrer la nécessité pour la biologie d’articuler différents types d’explication pour arriver à une meilleure connaissance du vivant. Il en identifiait alors trois : des explications de type « molécularo-mécaniste », de type « darwinien », et de type « physique non causal ». Dans le texte de 2011, la dernière catégorie – dont on sentait bien qu’elle avait du mal à trouver sa place dans l’argumentaire du précédent essai – a disparu, et ne demeure donc que la distinction entre les deux grands champs de la biologie : la biologie fonctionnelle et la biologie évolutionniste (Chapitre 1).
La biologie fonctionnelle regroupe l’ensemble des disciplines ayant pour vocation la compréhension du fonctionnement des êtres vivants tels qu’ils existent actuellement. Son idéal est la caractérisation de la machinerie moléculaire à la base de leur fonctionnement. La biologie évolutionniste a pour projet l’explication de l’élaboration progressive au cours du temps évolutif de cette machinerie. Longtemps, ces deux biologies se sont développées sans interaction réelle, la première ayant souvent cherché à annexer le champ d’expertise de la seconde, à se présenter comme plus fondamentale.
Michel Morange observe que depuis quelques années, les zones de contact entre ces deux biologies deviennent de plus en plus nombreuses, et que cette convergence récente, si elle suscite évidemment de nombreuses difficultés, est d’abord porteuse d’espoirs pour les sciences du vivant (Chapitres 2 et 3). Par exemple, les nouvelles possibilités de la biologie synthétique permettent désormais de tester expérimentalement la valeur des scénarios évolutifs en laboratoire, en produisant artificiellement les différents stades d’une série évolutive. Réciproquement, des raisonnements évolutifs darwiniens permettent parfois de révéler de nouvelles (et inattendues) fonctions de structures moléculaires.
Dans le quatrième et dernier chapitre, l’auteur développe la thèse principale de son livre (absente de l’ouvrage de 2005) : si les deux biologies doivent se rapprocher, c’est parce que le vivant, par essence, est un phénomène historique. La vie n’est pas régie par des lois, comme l’est par exemple le mouvement des corps. Si tel était le cas, la biologie fonctionnelle serait suffisante à sa compréhension. Les mécanismes du vivant, y compris les plus fondamentaux (réplication de l’ADN, nature du code génétique, etc.), sont des produits de l’histoire évolutive, et en ce sens, renferment une certaine part de contingence, invisible à l’analyse fonctionnelle. Comme l’écrit Michel Morange, « la dimension historique de la vie résiste à toutes les tentatives de simplification et d’unification » (p. 133). Cette irréductible dimension historique doit rapprocher le biologiste de l’historien. Pour l’auteur – fort de sa propre expérience d’historien – il ne fait aucun doute que la biologie gagnerait beaucoup en s’inspirant de la manière dont l’histoire a su, depuis un siècle, surmonter un certain nombre d’obstacles qui demeurent encore dans le champ des sciences du vivant.
Ce livre, ancrée dans l’actualité des débats théoriques qui agitent la biologie (comme le montre la richesse de la bibliographie), prolonge une réflexion menée par Michel Morange depuis au moins dix ans sur la nature du vivant. Après avoir posé les termes du problème dans deux de ses précédents ouvrages, l’auteur dessine ici la voie qui lui semble la plus féconde pour la recherche à venir. Pour qui s’intéresse sérieusement aux fondements de la biologie, ce texte est un passage obligé.
Laurent Loison, Centre François Viète d’Histoire des Sciences et des Techniques, Université de Nantes