Vous êtes sur BLOGS > Le blog Astroparticulier « avril 2014 | Accueil | juin 2014 »

mai 2014

17/05/2014

D’AUGER à JEM-EUSO, EN PASSANT PAR EUSO-BALLON (2)

Je sais que vous mouriez d’impatience de savoir quel intérêt présentent les rayons cosmiques de très haute énergie… je ne vous ferai donc pas languir davantage ! Voici trois bonnes raisons de s'y intéresser :

Pour commencer, ils sont moins sensibes aux champs magnétiques, c'est-à-dire moins fortement déviés, à charge égale, lors de leur trajet intergalactique et interstellaire. Aux énergies extrêmes, on a par conséquent plus de chances de repérer des anisotropies dans leurs directions d’arrivée sur Terre, et idéalement d’identifier leurs sources. Dans le cas des protons, la direction d’arrivée est relativement proche de la direction de leur source.
Ensuite, les rayons cosmiques de très haute énergie sont soumis à un effet dit « GZK », qui traduit l'interactionRTEmagic_trou2 des rayons cosmiques de très haute énergie avec les fonds de rayonnement, comme le fonds diffus cosmologique, le fameux CMB : au-delà d'une certaine énergie, l'interaction des particules avec ces fonds de rayonnement conduit à des pertes d'énergie rapides, de sorte que ces particules ne peuvent pas se propager sur de grandes distances. Nous savons donc que les sources potentielles de ces particules sont proches et peu nombreuses, moins d’une dizaine.
Enfin, les rayons cosmiques sont porteurs d'un défi. Puisque qu’il y a très peu de sources susceptibles d’accélérer les rayons cosmiques à ces très hautes énergies, on va donc explorer la physique de l'extrême. Les sources pourraient bien être des environnements tout à fait extrêmes sur le plan astrophysique : sursaut gamma, noyaux actifs de galaxies, coalescences (fusions) d’objets compacts, chocs à grande échelle associés à la formation des structures...

Au-delà des rayons cosmiques eux-mêmes, ces études sont intéressantes également dans la perspective d'une astrophysique multi messagers, qui consiste à combiner les informations déduites de l’observation des photons, bien sûr, mais aussi des rayons cosmiques, des neutrinos maintenant, et bientôt on l’espère, des ondes gravitationnelles. À l'astronomie multi longueur d'ondes, qui existe déjà, on ajoute donc à présent de nouveaux messagers, non lumineux. Mais malheureusement, les rayons cosmiques arriveront bien après les autres ! Ralentis par les champs magnétiques, ils prennent un temps beaucoup plus long pour nous parvenir, bien que se déplaçant à la vitesse de la lumière. Les rayons cosmiques arriveront donc Jemeuso_fig5beaucoup trop tard, et beaucoup ça peut vouloir dire des milliers d'années… ou davantage !
Mais revenons à JEM-EUSO ! Pourquoi le placer sur la station spatiale internationale (ISS) ? C'est d'abord une opportunité programmatique. Pour les sciences fondamentales, l’ISS ne présente que peu d'intérêt par rapport aux satellites classiques, les « free flyers ». L'ISS a de plus d'autres inconvénients : c'est un très gros « machin » qui cache la vue et qui bouge beaucoup. Pour JEM-EUSO, ce n'est pas un problème, puisqu'il s'agit de regarder la terre et de couvrir un grand volume. Il n'y a qu'un instrument à fabriquer, qui trouvera son énergie sur place, et sans vraie concurrence. Par ailleurs, 400 km d'altitude, il se trouve que c'est la bonne distance pour couvrir une surface correcte tout en gardant assez de lumière pour observer. Alors, que demander de plus ?

Un lancement, lancement qui pourrait avoir lieu en 2018 ou 2019. D’ici là, il y aura le  « pathfinder », la mission EUSO-Ballon, financé par le CNES, un sous projet mené par la France, avec un chef de projet à l’APC,DSC_5548 Guillaume Prévôt. EUSO-Ballon, prévu pour cet été, emportera sous un ballon stratosphérique, qui va monter à 40 km, une réplique de l'instrument JEM-EUSO en plus petit, soit un seul module de photo détection, alors que JEM-EUSO en comportera une centaine. Il s'agit de tester en vol toute la chaîne de détection, lentilles de Fresnel, tubes photomultiplicateurs, électronique, système de trigger… C'est le même détecteur, en plus petit. À APC on intègre la surface focale, mais l'instrument lui-même, avec la lentille, sera intégré dans la nacelle à l’IRAP à Toulouse, avant de partir  en août pour le site de lancement ballon du CNES, dans l'Ontario, au Canada.

Les partenaires français du « pathfinder » EUSO-Ballon sont le CNES, l’IRAP,  OMEGA et le LAL.

Pour en savoir plus :

http://jemeuso.riken.jp/en/

http://www.polaris-emp.eu/index.php?action=projet&id=733&lang=fr

 

02/05/2014

D’AUGER à JEM-EUSO, EN PASSANT PAR EUSO-BALLON (1)

Quelles sont les sources des rayons cosmiques d’ultra-haute énergie ? Quel mécanisme physique peut les accélérer à des vitesses si proches de celle de la lumière ?  C’est un des grands mystères de l’astrophysique. Qu'il s'agisse de protons ou de noyaux d'atomes plus lourds, leur énergie en fait les particules les plus énergétiques de l’univers connu. Cette énergie peut dépasser les 10 puissance 20 eV et atteindre quelques dizaines de joules, une énergie macroscopique équivalente à celle d'une balle de tennis lancé à 150 km/h environ ! Pour achever leur portrait, ajoutons que  ces événements sont trèsShower rares : à peine plus d’un par kilomètre carré par millénaire aux énergies extrêmes ! Etienne Parizot, chercheur au laboratoire APC et professeur à l’Université Paris Diderot nous a mis sur la piste des réponses envisageables aujourd’hui et sur les moyens mis en œuvre.

Il y a deux techniques pour observer les rayons cosmiques : la détection des particules de la gerbe atmosphérique (qui résulte de l’interaction du rayon cosmique avec les particules de l’atmosphère terrestre) ou la détection de la lumière de fluorescence induite par ces particules secondaires de la gerbe. L'avantage du détecteur de fluorescence est qu'il permet d’observer la lumière d'une gerbe à distance avec un télescope couvrant un grand volume d’atmosphère : tout ce qui est dans le champ du télescope peut être observé, pourvu que la gerbe soit suffisamment énergétique. Ainsi, avec l’observatoire Auger, les détecteurs de fluorescence voient des gerbes à 40 km sans difficulté. Mais la technique de la fluorescence ne fonctionne que la nuit, dans un environnement pauvre en lumière parasite, soit 10 à 15 % du temps. L’observatoire Auger, qui utilise ces deux techniques, a étendu considérablement la capacité de détection, le handicap de tels instruments au sol étant qu'il leur faut couvrir une très grande surface (dans le cas d’Auger, il y a 1600 détecteurs répartis sur 3000 km²). Si on veut multiplier par 10 la surface, il faut alors multiplier par 10 le nombre de détecteurs, et cela devient vite impossible, pour des raisons pratiques autant que logistiques.

Le projet JEM-EUSO est la transposition dans l'espace, pour la détection des rayons cosmiques d'ultra haute énergie, de la technique de fluorescence. Le passage dans l'espace représente un challenge technologique, mais semble la meilleure façon d'augmenter significativement la statistique sur les rayons cosmiques dits « d’ultra-haute énergie ». L'idée de JEM-EUSO, pour accroître de manière significative le nombre de rayons cosmiques ultra-énergétiques détectés, c’est de prendre du Euso2recul… en prenant de l'altitude ! La meilleure façon d’observer un immense volume d’atmosphère est de se placer dans l’espace. L’ISS (la station spatiale internationale) est en orbite à 400 km d'attitude et permet donc, en regardant vers le sol dans un champ de 30° d’ouverture, de couvrir près de 200 000 km2 avec seul instrument ! L’idée est donc de se placer dans l'espace non pas pour s'affranchir de l'atmosphère, mais pour mieux l’observer, et détecter ainsi, en prenant du recul, les particules d’ultra-haute énergie qui proviennent de l'espace.

Comme il s’agit de la technique de détection par fluorescence, l’instrument ne pourra prendre des données utiles que la nuit. Mais la surface couverte est telle que la capacité d’observation de l’instrument sera de l’ordre d’une dizaine de fois celle de l'observatoire Pierre Auger. Rien n’empêche d’imaginer plusieurs détecteurs en orbite autour de la Terre, ou de se placer plus loin encore de l’atmosphère, pour en couvrir un plus grand volume. JEM-EUSO pourrait ainsi n’être que la première étape d’une nouvelle voie ouverte, dans l’espace, pour l’observation de ces fameuses particules de l’extrême…

Bien sûr, rien n'est simple. D’abord, parce que ça n'a encore jamais été fait. Ensuite, comme la détection se fait à grande distance, la lumière est très ténue et il faut un détecteur qui soit sensible au « photon unique ». De surcroit, on ne peut voir que les gerbes les plus énergétiques. Là, par contre, ça tombe bien, ce sont pour elles avant tout que l’on cherche à accroître la capacité de détection.

Vous allez me dire, mais pourquoi donc s’intéresse-t-on tellement à ces fameux rayons ? Je sais, le suspense est à son comble, mais vous devrez attendre la prochaine publication pour connaître la réponse…

A bientôt.