
Au cours de la visite d’Etat qu’il débute aujourd’hui en
Algérie, François Hollande se recueillera demain sur la place Maurice Audin, à
Alger centre, pour lui rendre hommage.

Le 11 juin
1957, ce jeune mathématicien de 25 ans, assistant délégué à l’Université d’Alger
(auprès du professeur René de Possel, titulaire du cours d’analyse supérieure),
doctorant en passe de soutenir sa thèse à Paris, père de deux enfants, militant du
PCA (Parti communiste algérien), est
arrêté vers 23 heures dans son appartement à Alger, par des militaires du
1er régiment étranger de parachutistes (1er REP) engagés dans la « bataille
d’Alger ». Le 1er juillet 1957, le colonel Roger Trinquier, commandant du secteur
d’Alger-Sahel, annonce à Josette Audin que son mari s’est évadé le 21 juin
en sautant de la Jeep qui le conduisait de nuit pour un interrogatoire. En réalité,
comme le démontrera Pierre Vidal-Naquet dans L’affaire Audin (Paris, Editions de Minuit, 1958, rééd. 1989, 192
p., 10,50 €), Maurice Audin est mort des tortures infligées par les parachutistes
à moins qu’il n’ait été étranglé par ses tortionnaires. Dominée par la pratique
généralisée de la torture en Algérie, l’armée française se livrait au mensonge.
Le 2 décembre
1957, une soutenance in absentia de
la thèse de Maurice Audin eut lieu à la Sorbonne, sur « les équations
linéaires dans un espace vectoriel », sous la présidence de Laurent
Schwartz. Ce fut un acte solennel de résistance des élites scientifiques et
intellectuelles, une « révolte de l’université ».
« Ses
derniers mots qu’il dit à ma mère, lorsque les parachutistes l’emmenèrent,
furent : “Occupe-toi des enfants.” C’était le mardi 11 juin. Les
derniers mots qu’il dit à Henri Aleg lorsque leurs tortionnaires les mirent
face à face furent : “C’est dur, Henri.”. C’était le mercredi 12 juin. On
sait qu’il a parlé ensuite avec Georges Hadjadj et d’autres prisonniers, mais
les mots exacts qu’il a dits, on ne les connaît pas, la date non plus. »
Ces quelques
phrases témoignant brièvement du martyre de Maurice Audin sont extraites d’un livre
remarquable que publie sa fille Michèle Audin, mathématicienne et historienne
de la philosophie. Une vie brève sera
en librairie le 10 janvier, nous en rendrons compte plus longuement (L’Arbalète
Gallimard, 184 p., 17,90 €).
Le 1er
janvier 2009, Michèle Audin faisait savoir publiquement qu’elle refusait la Légion
d’honneur que l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy avait décidé
de le lui décerner.
Par une lettre datée du 30 décembre 2008, vous
m'informez de votre décision de me décerner, sur la réserve présidentielle, le
grade de chevalier de la Légion d'honneur
Je suis très heureuse, Monsieur le Président, de
cet intérêt montré à ma contribution à la recherche fondamentale en
mathématiques et à la popularisation de cette discipline et je vous en remercie.
Monsieur le Président, il y a un an et demi, vous
receviez une lettre (ouverte) envoyée par ma mère, Josette Audin, qui vous
demandait de contribuer à faire la vérité sur la disparition de mon père,
Maurice Audin, mathématicien lui aussi, et disparu depuis le 21 juin 1957 alors
qu'il était sous la responsabilité de l'armée française.
A ce jour, vous n'avez pas donné suite à cette
demande. Vous n'avez d'ailleurs même pas répondu à cette lettre.
Cette distinction décernée par vous est
incompatible avec cette non-réponse de votre part.
Vous me voyez donc au regret de vous informer que
je ne souhaite pas recevoir cette décoration.

En février
2011, Michèle Audin commençait l’écriture d’Une
vie brève, vie de son père mort à 25 ans, « jeune éternellement »,
comme elle avait souvent entendu Pierre Vidal-Naquet le qualifier (p. 68).
Le Monde d’hier a rendu compte de l’annonce faite
par sa veuve, Josette Audin, que le président François Hollande s'était
engagé à lui faire remettre tous les documents relatifs à la « disparition » de son
mari.
Josette Audin a précisé avoir reçu un courrier du
chef de l'Etat dans lequel il assure avoir « demandé à Jean-Yves Le Drian, ministre de la
défense, de vous recevoir afin de vous remettre en mains propres l'ensemble des
archives et documents en sa possession relatifs à la disparition de votre mari ». François Hollande assure également que
la France « doit
faire face à ses responsabilités et au devoir de vérité qui lui incombe envers
vous et votre famille d'abord, mais également envers l'ensemble des citoyens ». (Le Monde.fr | 17.12.2012
à 21h15)
Vincent Duclert

Sérigraphie d'Ernest Pignon Ernest représentant Maurice
Audin. Elle a été collée sur des murs d'Alger en avril 2003, le visage a été
gratté par une main inconnue