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06 août 2011 | 

2CV pour une égérie

Blog margot 
Nous avions déjà rendu compte en octobre dernier du bel album rétro intitulé Le Mystère de la Traction d’Olivier Martin, avec son dessin très « ligne claire » et son scénario un rien désuet et charmant. La jeune Margot, « une sorte de Tintin reporter, en plus sexy » y menait l’enquête sur une mystérieuse Traction « 22 », dotée d’un moteur V8 et de phares encastrés dans les ailes (à la différence des Tractions 7 et 11 chevaux), et disparue à peine née. Les éditions Paquet qui avaient publié cette BD rafraichissante très sixties ont réédité l’opération avec deux nouveaux albums, Les Déesses de la Route en hommage à la DS bien entendu, et 2CV pour une égérie (48 p., 13 €) qui s’inspire de la série limitée « Spot » (une 2CV bicolore de 1976, tirée à 1800 exemplaires, pour fêter la cinq millionième « Petite Citroën » depuis son lancement en 1949). Devenue l'égérie de la marque aux chevrons après sa victoire dans la Coupe des demoiselles, Margot est chargée de présenter les 22 créations d’un modèle spécial de 2CV aux couleurs du célèbre couturier Théophile Saint Cardon. Le défilé de mode a lieu en juin 1961 au Grand Palais, là où se tient – encore pour un an – le Salon de l’automobile. Mais voici qu’une série d’attentats survient contre les précieuses voitures. Intrépide, Margot se lance aux trousses des redoutables commanditaires…..

Vincent Duclert

 

04 août 2011 | 

Supprimer "toutes les filières qui ne conduisent à rien"

 

 

Voici, communiqué par une collègue, un extrait de la séance de 10 heures de la Commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale du mercredi 16 mars 2011 (compte rendu n° 34). Ces propos nourrissent utilement le débat lancé par l'ouvrage La nouvelle école capitaliste présenté dans le billet précédent.

Intégralité de l'intervention du député UMP des Pyrénées Orientales Fernand Siré :

"En termes de rationalisation budgétaire, on ne peut que constater la faillite de l'éducation nationale s'agissant de la formation des jeunes : non seulement certains s'arrêtent avant le niveau bac + 2 sans diplôme tandis que d'autres quittent l'école à seize ans sans rien faire après, mais on perpétue des classes dans le seul intérêt de professeurs dont le souci est uniquement de protéger leur emploi.

Mieux vaudrait rationaliser les dépenses en supprimant toutes les filières qui ne conduisent à rien - par exemple psychologie, sociologie ou encore géologie à l'université - et en réintroduisant les entreprises dans la formation plutôt que de leur demander de faire des efforts sur leurs propres deniers pour former des jeunes : alors que c'est le rôle de l'éducation nationale, celle-ci délivre au contraire à des jeunes entre seize ans et dix-neuf ans une fausse formation que les parents se seront sacrifiés à payer bien qu'elle ne mène à rien"


Compte rendu sur :

http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-soc/10-11/c1011034.asp

03 août 2011 | 

Travaux de rentrée

Pour la rentrée, les éditions La Découverte inaugureront une « nouvelle identité graphique pour les sciences humaines et sociales » que La Recherche dévoile ici. Cinquante ans après la création, aux éditions anciennement Maspero, de la collection « Textes à l’appui », La Découverte publie désormais tous ses livres de recherche sous une même couverture (de facture typographique) qui mentionnera seulement la série concernée, « Bibliothèque du Mauss » ou « Genre & Sexualité » pour ne citer que deux d’entre elles. La volonté, clairement affirmée, de « transgresser » la logique disciplinaire vise à « mieux souligner la transversalité des ouvrages publiés ». Autre transgression, celle qui consiste à unir dans une même production des études de référence – comme les huit cent pages annoncées pour le mois octobre du sociologue Philippe Chanial, La sociologie comme philosophie morale : et réciproquement - et des essais critiques comme La nouvelle école capitaliste. Le parti-pris de cette unité proclamée est intéressant. Il met l’accent sur un objet, il oblige à en souligner l’actualité, à définir l’enquête et ses méthodes. Pas sûr néanmoins que le lecteur s’y retrouve ni que les disciplines puissent échapper à leur identité. Du reste, Philippe Chanial retrouve ces mêmes catégories disciplinaires pour élaborer une hypothèse dont nous attendons beaucoup, eu égard à ses livres précédents, par exemple La Société vue du don (La Découverte, 2008), et à sa présence dans le débat intellectuel.

Blog la decouv 
La nouvelle école capitaliste
fait donc partie de ces livraisons de rentrée de La Découverte qui bénéficient de la « nouvelle identité graphique pour les sciences humaines et sociales ». C’est un essai bien à propos sur la pénétration des normes néo-libérales dans l’institution scolaire désormais transformée en « nouvelle école capitaliste » -d’où le titre du livre. Celui-ci émane de quatre enseignants qui sont aussi des chercheurs attachés au syndicat FSU et des intellectuels engagés (voir notamment L’école n’est pas une entreprise de Christian Laval, et La Nouvelle Raison du monde de Pierre Dardot et Christian Laval). La nouvelle école capitaliste sera à l’honneur du numéro de rentrée de La Recherche. Nul doute que seront commentées les positions très alarmistes des auteurs identifiant une rupture dans le consensus relatif aux cultures scolaires et universitaires. Celles-ci ne pouvaient se résumer classiquement, dans le système intellectuel français, « aux savoirs et connaissances utiles et exigibles sur le marché du travail » ; elles avaient vocation à libérer l’individu, à lui apporter cet esprit critique nécessaire à son devenir de citoyen accompli. Elles se maintenaient dans une forme de gratuité essentielle et de relation à la liberté de la recherche. Pour les auteurs de La nouvelle école capitaliste, la pression du néo-libéralisme économique a détruit ce consensus sur l’école émancipatrice et le savoir libre. Il faut aussi faire la part dans cette rupture au désenchantement démocratique et à la grande fatigue sociale devant la reproduction des injustices et au mythe de l'égalité scolaire.

Vincent Duclert

Pierre Clément, Guy Dreux, Christian Laval et Francis Vergne, La nouvelle école capitaliste, La Découverte, coll. « Sciences humaines », 240 p., 18 €.

 

 

01 août 2011 | 

Des villes sans librairies ?

Blog ny 
Revenu d'un séjour à New York, j’ai découvert le triste destin des librairies de la métropole monde. Certes, quelques indépendantes continuent de survivre, notamment vers Greenwich Village ou à Brooklyn, en relation avec les étudiants ou New-Yorkais éclairés qui s’y pressent encore. Mais, dans le reste de la ville, il n’y a plus guère de librairies indépendantes, celles-ci ayant été détruites par la montée en puissance des mégastores type Barnes & Nobles (le premier réseau aux Etats-Unis) ou Borders (le deuxième). Et voici que ces chaînes hyper-capitalistes dont les magasins se comptent par centaines sont elles-mêmes en difficulté. New York est particulièrement touché.

Borders a annoncé le 18 juillet sa mise en liquidation judiciaire et la fermeture de ses 399 magasins (en plus des 200 déjà fermés pour raisons économiques). Aussitôt d’immenses pancartes ont été apposées sur les vitrines, signalant la vente de tout le stock avec rabais substantiels. Les clients se sont rués dans les rayons tandis que les 11 000 employés se demandaient ce que leur avenir sera fait demain. Les logiques de marché rattrapent à leur tour cette entreprise prédatrice fondée en 1971. On mesure les dégâts qu’a impliqués son développement puisque la fermeture des magasins laissera de nombreuses villes moyennes sans librairies, la firme ayant fait le vide autour d'elle pour grandir. Et il n’est pas sûr que les libraires indépendants puissent revenir dans les quartiers dont elles avaient chassées tant les loyers sont devenus maintenant exorbitants. Fleuriront surtout des banques, des pharmacies et des boutiques de vêtements.

La chute de l’empire Borders n’en est pas moins un coup dur porté à la commercialisation du livre et donc à sa survie. Et cela d’autant plus que le numéro 1, Barnes & Nobles, ne se porte pas très bien. L’un de ses magasins emblématiques, sur 5 niveaux, a fermé à l’angle de Brodway et de Colombus, sur la 66e rue, à quelques pas de Lincoln Center. Le New York Times a écrit à ce sujet, perfide : « Even category killers are not immune to market forces » (30 août 2010). Un magasin de vêtements remplacera la librairie, « Century 21 ».

Barnes & Nobles résiste mieux cependant grâce au développement de son format numérique (le fameux « Nook » opposé au « Kindle » d’Amazon), grâce à sa présence sur les campus (comme sur celui de Columbia à New York) au travers de partenariats avec les universités et les colleges qui lui assurent un public captif, grâce à son site d'achat en ligne. On dit même Apple intéressé par la firme, laquelle a annoncé en août 2010 qu'elle se mettait en vente avec ses 720 magasins répartis dans 50 Etats.....

Y aurait-il, dans ce contexte inquiétant, place pour un regain de la librairie indépendante ? C’est ce que laisse entendre Pierre Assouline sur son blog (« La République des livres »), dans un billet informé du 24 juillet (http://passouline.blog.lemonde.fr/2011/07/24/bye-bye-borders/ ). Il y évoque l’American Booksellers Association (ABA) et son soutien à la réouverture de librairies de quartier. Le concept reste néanmoins à inventer, à l’heure du commerce en ligne et du livre numérique. Mais c’est un défi à relever, pour les livres, pour le tissu urbain et la vie civile, pour la culture savante et populaire. Cela ne concerne pas seulement les Etats-Unis. Si la France voit ses librairies indépendantes survivre à la FNAC ou aux hypermarchés (le prix unique du livre y est pour beaucoup), celles-ci sont confrontées elles aussi au commerce en ligne, au livre numérique et aux nouvelles formes de sociabilités imposées (ou proposées) par le web.

Vincent Duclert

La photographie (merci le NYTimes fr du 1er septembre 2010 : http://www.cityrealty.com/new-york-city-real-estate/carters-view/century-21-reportedly-replacing-barnes-noble-66th-street-broadway/carter-b-horsley/34442 ) montre le building au bas duquel s’étendait depuis 15 ans le mégastore Barnes & Nobles, au carrefour du Lincoln Center, dans le quartier d’Upper West Side.

 

16 juillet 2011 | 

Dans l’intimité des frères Caillebotte

Blog caillebotte 
L’exposition présentée par le musée Jacquemart André sur le peintre Gustave Caillebotte et son frère Martial, photographe, a connu un énorme succès. Elle a fermé le 11 juillet (elle avait été auparavant offerte par le Musée national des beaux-arts du Québec). Même les titulaires de cartes d’accès prioritaire au musée devaient attendre sur le boulevard Haussmann, à l’ombre des arbres, dans une bonne ambiance.

Blog caillebotte homme balcon 
L’exposition commençait du reste dès ce temps d’attente, sur le trottoir parisien puisque Gustave Caillebotte, cet artiste, mécène, collectionneur d’art, représenta souvent, du haut des balcons ou depuis les avenues, le quartier nouveau – entre Europe et Etoile - qui symbolisa pour beaucoup la Belle Epoque.

Blog caillebotte bateaux 
C’est bien être au plus proche de « l’intimité des frères Caillebotte » (Flammarion, 240 p., 39 €), dans leur regard sur le monde proche et lointain au tournant du siècle. L’intérêt de l’exposition tint dans cette reconstitution de la vie d’une famille exceptionnelle et de son mode de vie de vie tout à la fois très urbain et séquanien, au fil des splendides demeures qui, le long de la Seine, jalonnèrent son histoire. En amateurs éclairés, les Caillebotte furent de remarquables jardiniers, des skippers hors-pair au point d’imaginer et de faire construire des voiliers taillés pour les régates.

Blog caillebotte peintres 
Ils étaient curieux de tout, les photographies de Martial et les peinture de Gustave le révélant, de la modernité industrielle comme la technique photographique elle-même ou bien le pont métallique de l’Europe surplombant la gare Saint-Lazare, de la forme moderne des villes et des longues façades des immeubles haussmanniens jusqu’aux petits métiers de dur labeur, raboteurs de parquet ou peintres sur leurs échelles.

Blog caillebotte pont 
Les frères Caillebotte incarnent la richesse et la curiosité d’un monde aujourd’hui disparu, où des élites avaient à cœur d’écouter la respiration du monde, du temps et de la société, où elles étaient soucieuses du bien public et du rayonnement de la République. Gustave avait décidé de léguer à l’Etat son extraordinaire collection de toiles impressionnistes, dont Le Bal du Moulin de la Galette d’Auguste Renoir, toile que l’on aperçoit dans l’autoportrait de Caillebotte dans son atelier. La toile est en arrière-plan, remarquable et lumineuse dans ses roses et bleus. Pourtant, le directeur des Beaux-Arts Henri Roujon refuse les soixante-sept œuvres du legs, dont Renoir a la responsabilité en tant qu’exécuteur testamentaire de son ami décédé. On est en 1894. Après deux ans de négociations, l’Etat se décide finalement pour Le Bal de Renoir et trente-sept autres tableaux. Mais des œuvres majeures de Sisley, Monet ou Pissarro échappent à la France. Insensible à la modernité exceptionnelle de la collection, Henri Roujon avait guidé son choix sur des motifs anecdotiques. Sur le Bal du moulin de la Galette, il s’est plu ainsi d’y reconnaître un de ses amis peintres, comme le relève Renoir lui-même : « La seule toile de moi qu’il admit de confiance… parce que Gervex y figurait. ».

Des toiles d’Henri Gervex, on en découvre une dans l’exposition Edouard Manet au Musée d’Orsay, de même qu’on aperçoit dans le portrait d’Emile Zola exécuté par l’inventeur du moderne, une copie, peut-être une photographie du même tableau (Le Bal) accrochée au dessus du secrétaire de l’écrivain. La peinture est un petit monde et un monde de suggestions inépuisable pour la vie présente, comme la lecture à laquelle nous invite à réfléchir Marielle Macé (voir plus bas).

Sur ces paroles pleines d’espoir pour le livre et la lecture, la peinture et la vie, nous prenons congé des lecteurs du Blog des Livres de La Recherche. Retour des billets le 1er août, soit dans quinze jours à peine !

Vincent Duclert

Manet inventeur du moderne

Blog manet catalogue 
Edouard Manet, inventeur du moderne, tel est le fil de la superbe exposition qui s’achève demain au musée d’Orsay (il est encore temps, pour les Parisiens, de s’y rendre). Le commissaire Stéphane Guégan et toute la conservation ont illustré ce parti-pris par l’accrochage d’œuvres montrant les emprunts et les inspirations du prince de la peinture. Ce qui frappe, c’est la manière dont Manet, tout inspiré qu’il fut par les maîtres de la peinture, plongé dans un monde d’artistes et de courants artistiques (dont l’impressionnisme), inventa son propre style irréductible à tout, genres, influences, écoles. C’est cela, être moderne, affirmer à la fois son appartenance au monde et décider de son propre parcours jusqu’à en faire une œuvre d’art. L’esthétique imparable de Manet en fait un peintre profondément politique (Manet, inventeur du moderne, catalogue dirigé par Stéphane Guégan, Gallimard, 297 p. 40 €).

Vincent Duclert

 

« Donner un style à son existence, qu’est-ce à dire ? »

Blog Macé Liseuse 1879 80 
« Il n’y a pas d’un côté la littérature et de l’autre la vie, dans un face-à-face brutal et sans échanges qui rendrait incompréhensible la croyance aux livres […]. Il y a plutôt, à l’intérieur de la vie elle-même, des formes, des élans, des images et des manières d’être qui circulent entre les sujets et les œuvres, qui les exposent, les animent, les affectent. La lecture n’est pas une activité séparée, qui serait uniquement en concurrence avec la vie : c’est l’une de ces conduites par lesquelles, quotidiennement, nous donnons une forme, une saveur et même un style à notre existence. »

« Donner un style à son existence, qu’est-ce à dire ? Ce n’est pas le monopole des artistes, des esthètes ou des vies héroïques, mais le propre de l’humain : non parce qu’il faudrait recouvrir ses comportements d’un vernis d’élégance, mais parce que l’on engage en toute pratique les formes mêmes de la vie. L’expérience ordinaire et extraordinaire de la littérature prend ainsi place dans l’aventure des individus, où chacun peut se réapproprier son rapport à soi-même, à son langage, à ses possibles : car les styles littéraires se proposent dans la lecture comme de véritables formes de vie, engageant des conduites, des démarches, des puissances de façonnement et des valeurs existentielles. »

Voici un texte parfait, qui dit combien la lecture, exercice simple, proche, intime, offert à toutes et à tous, sans limites, sans entraves. Elle transforme nos vies, bouleverse nos existences, fait que nous devenons différents, plus profonds, que nous pensons plus loin, ailleurs, au-delà. Que nous sortons de nous-mêmes, que nous approchons de insoupçonnées. Que nous allons vers des mondes inconnus, que nous rencontrons des êtres d’exceptions. Que nous découvrons les vertus de l’écriture ainsi transmises.

Blog macé 
Mais cela, cette métamorphose à laquelle nous convie le livre, elle suppose de réfléchir au pouvoir de la lecture, à son déploiement dans les vies ordinaires. Marielle Macé, chargée de recherche au CNRS, auteure en 2006 d’une belle étude sur Le temps de l’essai (éditions Belin), nous y invite dans un remarquable essai, très original, courageux, merveilleusement écrit. Façons de lire, manières d’être (Gallimard, coll. « NRF essais », 288 p., 18,50 €). La lecture est dans la vie, il faut y penser sans cesse, et en cela, elle est la vie même, sauvée du temps qui l’entraîne dans l’oubli. Le livre et l’écriture dont il procède restituent le plus précieux, une invitation intime et universelle à sculpter sa vie, à révéler la « statue intérieure » de notre être plongé dans l’expérience, la mémoire et le temps. Au lecteur, « chaque forme littéraire ne lui est pas offerte comme une identification reposante, mais comme une idée qui l’agrippe, une puissance qui tire en lui des fils et des possibilités d’être. Il s’y trouve suspendu à des phrases, à ces forces d’attraction qui nourrissent en continu son propre effort de stylisation. »

Blog macé manet la lecture 
Pas besoin d’être écrivain pour atteindre le temps retrouvé, il suffit de lire La recherche du temps perdu. Marcel Proust occupe, on s’en doute, une place importante dans la réflexion de Marielle Macé. « Si Marcel, le héros de Proust, se tourne en permanence vers des livres, s’il s’emploie lui aussi à les faire rayonner dans la vie, et s’il engage dans ses lectures tout son effort existentiel, ce n’est pas non plus parce qu’il serait d’une autre nature – ce n’est pas seulement pour devenir écrivain et s’y séparer des formes de l’existence commune. Non, pour eux comme pour nous, c’est dans la vie ordinaire que les œuvres d’art se tiennent, qu’elles déposent leurs traces et exercent durablement leur force. »

On remercie Marielle Macé pour ce livre, au seuil d’un été de lectures et de vie, d’avoir écrit ce livre limpide et lumineux, comme le soleil qui frappe la surface des flots et transforme l’eau en émeraude.

Vincent Duclert

Et, pour illustrer Façons de lire, manières d’être, on ne résiste pas au plaisir de convier Edouard Manet au festin, avec La liseuse (1879-1880), avec La lecture (1865-1873).

13 juillet 2011 | 

Sociologie de la jeunesse

Blog galland 
Comme Martine Aubry, François Hollande a présenté hier à Paris son équipe de campagne en vue des primaires socialistes à la présidentielle 2012. Dans sa brève allocution à la Maison de l’Amérique latine, il a souligné l’importance de la jeunesse dans sa vocation au renouveau du pays et de la société*. Cela tombe bien puisque les éditions Armand Colin publient la 5e édition de Sociologie de la jeunesse (coll. « U », 250 p., 26,30 €), par Olivier Galland, directeur de recherche au CNRS (Groupe des méthodes de l’analyse sociologique). L’ouvrage, qui se veut aussi bien un manuel à destination des étudiants qu’un essai pour les chercheurs et le public éclairé, s’ouvre sur le défi de toute perspective de sciences sociales : penser son objet, « penser la jeunesse, ou plutôt tenter de comprendre comment la jeunesse a été pensée au cours de l’histoire, comment se sont formées, transformées et sédimentées les représentations qui vont aboutir à l’image que nous nous formons d’elle aujourd’hui ». Pourquoi une réflexion de cet ordre ? s’interroge le sociologue, une réflexion quin notons-le, emprunte les chemins de l’histoire. « Tout d’abord parce que la sociologie d’une catégorie sociale ne se comprend pas sans une tentative d’analyse de sa formation historique ; en second lieu parce que la sociologie est une façon parmi d’autres, même si elle se veut savante, de penser le social, et qu’elle ne peut prétendre échapper à l’influence d’un contexte social et historique particulier ; s’il faut donc faire la sociologie historique de la jeunesse, il faut aussi faire l’histoire des façons de penser la jeunesse. »

Vincent Duclert

Olivier Galland est aussi l’auteur des Jeunes, une synthèse en 128 pages de la collection « Repères » de La Découverte (7e édition, 2009)

* « Durant toute cette période j’ai mis en avant un engagement majeur, une grande cause qui sera le thème fédérateur des élections présidentielles : la jeunesse. À travers elle, je m’adresse au pays tout entier pour porter le rêve républicain celui qui promet à chaque génération de vivre mieux que la précédente. Promouvoir la réussite des jeunes, investir dans l’avenir, réconcilier les âges, c’est montrer que la France a un destin, qu’elle est fière de ses valeurs. » (François Hollande, 12 juillet 2011).

 

10 juillet 2011 | 

Une « légende urbaine »

Blog pincon 
Dans un entretien à Libération (samedi 9 et dimanche 10 juillet 2011), le conseiller spécial du président de la République Henri Guaino a rejeté les supputations sur « Sarkozy président des riches ». Il s'agit d'une « légende urbaine », a-t-il déclaré (p. 9). Les sociologues et anciens directeurs de recherche au CNRS Michel et Monique Pinçon, auteurs de Le président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy (La Découverte/Zones, 2010, 223 p., 14 €), ont démontré le contraire dans un ouvrage fort documenté – et dont la méthode même oppose un démenti aux déclarations d’Henri Guaino : « Conserver la chronologie des événements, leur enchaînement, la trace des déclarations tonitruantes, est le moyen de mettre en évidence les tours de passe-passe d’un pouvoir déguisé en magicien ». Dommage que le conseiller spécial n’ait pas répondu aux sociologues. Au moins la sociologie aurait-elle été à l’honneur dans le débat public !

Vincent Duclert

 

07 juillet 2011 | 

Séquence Polar. L'espoir fait vivre et autres Lee Child

Publiées par les éditions du Seuil dans leur précieuse collection « Policiers », les enquêtes de Jack Reacher imaginées par l’anglo-américain Lee Child, sont passionnantes. Il est vrai que cet ancien détective dans la police militaire, désormais sans attaches sinon d’anciennes camaraderies qui le mèneront à reprendre du service (dans La Faute à pas de chance, paru l’année dernière, que je recommande), a le chic pour se mettre dans des situations impossibles. On l’a croisé sur la 6e Avenue de New York, dans un café « à égale distance de Bleeker Street et Houston Street », témoin d’une scène apparemment banale qui allait l’entraîner dans une défense héroïque de la veuve et de l’orphelin (Sans douceur excessive, 2009). Lee Child s’est donné un personnage à la mesure de son écriture. L’écrivain aime les lieux, les villes, les avenues. Jack Reacher les arpente sans relâche, chaque sens toujours aux aguets.

Blog hopp3 
Traduit par Jean-François le Ruyet, Nothing to loose (L’espoir fait vivre, 518 p., 23 €) nous emmène dans l’Etat du Colorado, sur la route qui sépare plus qu’elle ne relie deux bourgades, Despair et Hope. Alors qu’il patiente dans un café-restaurant de la première, il est brutalement arrêté, condamné par le juge local pour « vagabondage » et déposé manu-militari à la limite des deux communes, avant d’être réceptionné par la police locale de Hope, en l’occurrence une femme-flic à bord d’une puissante Ford Crown Victoria. Une complicité se développe entre le solitaire Reacher et la troublante Vaughan qui porte le secret de la mort cérébrale de son mari blessé en Irak et rapatrié dans un sinistre hôpital.

Blog hopp 4 
Avec des airs de route de Madison (le film de Clint Eastwood où l’acteur bouleverse le destin de Meryl Streep quelques jours suspendus au-dessus de la banalité de l'existence), Nothing to loose déroule son rythme lent et décisif sur fond de bout du monde. « Question de principe » (sa liberté de circuler sans qui il n’existerait pas), Reacher retourne bien évidemment à Despair pour découvrir les mystères de cette ville interdite aux étrangers. Elle est sous le contrôle des propriétaires d’une énorme usine de récupération de métaux issus de carcasses de voitures. Un complexe bien étrange. Des Hummer de l’armée américaine eux aussi revenus d’Irak surveillent l’usine : car celle-ci traite aussi dans le plus grand secret le matériel détruit par les obus américains à uranium appauvri.

Blog hopp 2 
Au milieu d’incessants va-et-vient entre les deux villes, de jours comme de nuit, dans de vieux 4 x 4 ou dans les Crown Victoria type interception de la police de Hope, Reacher imprime sa marque aux paysages désertiques du Colorado autant qu’à ses communautés presque immobiles. Plus rien ne sera comme avant après son départ vers le sud, « mille six cents kilomètres jusqu’à San Diego ». Les lieux et les silhouettes des tableaux de Hopper ont pris vie, malgré l’absence des êtres chers, avec la guerre au loin, et dans la solitude de l’Amérique profonde. Un très beau roman, peut-être plus pour son univers littéraire que pour son intrigue policière.

Vincent Duclert