Le phénomène « climato-sceptique » devrait interpeller tout citoyen s’intéressant à la science. L’existence d’un réchauffement climatique dangereux provoqué par les émissions humaines de gaz à effet de serre est un fait désormais établi depuis une quinzaine d’années par les climatologues, et est continuellement confirmée par un flot incessant de nouvelles observations et découvertes. Or, à mesure que la compréhension des scientifiques progresse, celle du public s’obscurcit, comme en témoignent de nombreuses études. Un paradoxe qui ne concerne pas que la fraction la moins instruite de la population : nombre d’intellectuels, même des scientifiques de valeur, ont récemment exprimé des doutes sur le réchauffement climatique.
Et il y a plus extraordinaire encore : deux acteurs essentiels du débat, Claude Allègre et Vincent Courtillot, convaincus de fraude et de mensonges répétés, sont laissés libres de poursuivre leur action par toutes les institutions scientifiques établies. Pire, le dévoilement de ces mensonges et de ces fraudes n’affaiblit pas leur position médiatique, qui au contraire semble se renforcer sans cesse. Comme le relève Pierre Joliot, académicien et médaille d’or du CNRS dans le livre de Stéphane Foucart, Le populisme climatique. Claude Allègre et Cie, enquête sur les ennemis de la science (Denoël, coll. « Impacts », 315 p., 19 €) : « ce qui se passe actuellement est une évolution sans précédent : [alors qu’autrefois on se cachait pour frauder] nous avons désormais en science des manquements éthiques qui non seulement sont affichés mais aussi justifiés. » C’est donc un véritable drame qui se joue ici –voire une tragédie-, et c’est aussi pour cela que cet ouvrage est si passionnant.
Que l’on soit scientifique, journaliste, ou simple citoyen, un tel constat vaut signal d’alarme. Lorsque l’on aime la science, que l’on estime sa quête rigoureuse de la vérité, que l’on respecte les qualités humaines qu’elle suppose, on ne peut qu’être à la fois médusé et révolté par l’incroyable machine à nier le réel qui s’est ici mise en marche. Une machine qui pour l’instant concentre son pilonnage sur la climatologie, mais s’en prendra à n’en pas douter à d’autres disciplines à l’avenir. Or ce sont précisément les complexes rouages de cette machine à travestir la vérité que Stéphane Foucart s’attache à décortiquer dans ce livre, minutieusement, avec beaucoup de pédagogie, et une impressionnante hauteur de vue.
Naturellement, les mensonges des uns et des autres sont soigneusement expliqués, avec toutes les références nécessaires. (Et pourtant le livre ne vire jamais au monotone inventaire des fautes, gardant au contraire une remarquable tension, même dans les passages les plus arides.) Mais il y a surtout des pages passionnantes sur les motivations des uns et des autres, sur les rivalités des disciplines, sur le jeu des convictions sociales et philosophiques, sur le rôle de l’industrie, la place acquise par la blogosphère dans la fabrique de l’opinion, sur la nouvelle étape dans laquelle la science est entrée avec la prise de conscience des limites de la planète…
Le climat est un extraordinaire concentré des problèmes que soulèvent les rapports entre démocratie, science et société. Il s’y joue une partie dont il est indispensable d’avoir une vue claire, car son issue aura des répercussions énormes non seulement sur l’exercice de notre profession mais sur l’ensemble du champ social. Voilà pourquoi ce livre concerne tous ceux qui ont la science au cœur.
Yves Sciama