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novembre 2010

12 novembre 2010

Conte d'hiver

Blog allemand 
Bel objet que L'homme qui refusait de mourir (110 p., 29€). Les éditions Dis Voir le publient dans une collection intitulée « Contes illustrés pour adultes » (qui ne compte qu'un autre titre, paru l'an dernier et qui nous avait échappé). Il associe un auteur, Nicolas Ancion, un dessinateur Patrice Killoffer et, ce qui contribue pour nous à son intérêt, un scientifique, François Taddéi. Celui-ci exerce ordinairement son activité dans l'unité Génétique Moléculaire Evolutive et Médicale de l'INSERM. Ses travaux sur la très résistante bactérie Deinococcus radiodurans (qui, hasard du calendrier, fait l'objet d'un article dans le numéro de novembre 2010 de La Recherche) et sur le vieillissement ont à l'évidence nourri l'imagination de l'auteur. Autre hasard du calendrier, l'histoire évoque aussi l'une des avancées scientifiques de ces dernières années qui est au cœur du numéro de novembre des Dossiers de La Recherche : les microorganismes avec lesquels nous cohabitons et sans lesquels nous ne pourrions pas vivre.

Le style évoque La modification de Michel Butor, avec une adresse au lecteur à la deuxième personne (du singulier ici), comme s'il était le personnage principal dont il suit les aventures. Comme chez Butor, le héros va subir une modification au cours du récit, mais elle sera nettement plus désagréable. Disons, sans trop révéler l'intrigue, que la longévité de son arrière-grand-mère de 108 ans lui vaut bien des ennuis (elle finit mal, elle aussi, mais à cet âge, pouvait-il en être autrement ?). Certaines caractéristiques de la vieille dame et de ses descendants intéressent en effet des scientifiques sans scrupules décidés à trouver les clés de l'immortalité.

Tout est noir dans ce récit. Aussi noir que l'encre utilisée par Killoffer pour ses dessins. Les scientifiques sont tous dépourvus de conscience morale et ne reculent devant aucune violation de l'éthique pour réaliser leurs projets, meurtres y compris. La mort est la seule fin possible, et personne n'y échappe : telle pourrait être la morale de ce conte. Habilement, la dernière phrase renvoie toutefois chacun à ses convictions quant à la gravité de ce fait inéluctable.

Luc Allemand

 

11 novembre 2010

Les armes et la chair

Blog st 
Stéphane Audoin-Rouzeau a beaucoup œuvré, avec d’autres dont Jean-Jacques Becker et Annette Becker, à la création de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne. Explorant les collections du musée, l’historien s’est confronté à l’objet, un type de source finalement assez inhabituel, tout au moins pour le spécialiste d’histoire contemporaine d’abord attaché à l’écrit et à l’image. Il a choisi trois objets de la Grande Guerre, trois « objets de mort », dont un éclat d’obus provenant de l’explosion du « corps » (de l’obus), projeté à une vitesse extrême, déchiquetant les chairs s’il atteint un combattant, causant des blessures mortelles par hémorragie abondante « en raison d’une capacité vulnérante spécifique les conduisant à entailler le système vasculaire sur leur passage », ou bien séparant les membres, ouvrant les corps. Stéphane Audoin-Rouzeau restitue l’aveu du peintre Fernand Léger : « A tous ces ballots qui se demandent si je suis ou serai encore cubiste en rentrant, tu peux leur dire que bien plus que jamais. Il n’y a pas plus cubiste qu’une guerre comme celle-là qui te divise plus ou moins proprement un bonhomme en plusieurs morceaux et qui l’envoie aux quatre coins cardinaux ».

Observer les objets de mort, les interroger dans leurs usages et leurs fonctions, c’est comprendre toute la guerre, sa brutalité sans nom. « L'objet a cette vertu de subvertir un peu cette forme de sécurité qui caractérise si souvent le travail historien », observe Audoin-Rouzeau dans Les armes et la chair (Armand Colin, coll. « Le fait guerrier », 175 p., 19,50 €).

Vincent Duclert

 

10 novembre 2010

Les humanités scientifiques

Blog latour 
Chargé de la politique scientifique à Sciences Po, Bruno Latour mène une œuvre originale et féconde de conceptualisation des sciences sociales et humaines. Son dernier ouvrage, Cogitamus, Six lettres sur les humanités scientifiques, publié à La Découverte (249 p., 18 €) comme la plupart des livres en langue française *, traite du champ nouveau des humanités rencontrant les savoirs scientifiques et techniques. L’auteur le fait sur le mode des « lettres à un jeune poète » (Rilke), en s’adressant à une étudiante allemande qui avait fait part de son désarroi devant le fiasco du sommet de Copenhague à l’automne dernier. Bruno Latour dispensait précisément à Sciences Po un enseignement sur le sujet, mais l’étudiante ne pouvait le suivre. Alors décida-t-il de lui résumer son cours. Il en découle un exposé limpide, élevé, et très accessible, qui constitue une belle introduction au champ nouveau des « humanités scientifiques » et qui est, de surcroît, édité avec une rare élégance typographique.

 Vincent Duclert

* Bruno latour est l’un des rares chercheurs français à publier indifféremment en français et en anglais.

08 novembre 2010

Le Train du Livre

Blog brive

J’étais ce dimanche à la Foire du Livre de Brive-la-Gaillarde, pour sa 29e édition. C’est un grand rendez-vous littéraire qui mobilise toute la ville et qui possède un fort rayonnement national. Après le Salon du Livre à Paris, c’est la plus importante rencontre en France consacrée aux livres. Et c’est vrai qu’il y avait foule hier, foule des publics de tout âge, de tout sexe, de toute origine sociale, et foule aussi des auteurs, même les frères Bogdanov venus signer la veille leur dernier essai, Le visage de Dieu. Je vous recommande à ce sujet la critique de Luc Allemand parue dans le n°444 de la Recherche (août 2010). Les frères Bogdanov ne sont pas un artefact ; et si je ne les ai pas croisés, ils ont eu leur photo dans La Montagne, le quotidien de référence du Massif Central qui soutient la manifestation.

Blog train 
Quatre cents personnalités du livre avaient fait le voyage. C’est une prouesse quand on sait que Brive est à plus de quatre heures de train de la capitale. Mais comment font les organisateurs ? Leur arme secrète, c’est « Le train du Livre », un train spécialement affrété par la Foire, très confortable (que des places de première), qui part le vendredi en fin de matinée et qui retourne à Paris le dimanche en fin d’après-midi. Mais la touche finale, décisive, c’est le repas gastronomique qui y est servi. Le voyage, même retardé d’une heure hier soir à cause des feuilles mortes entassées sur les voies (et oui !), se transforme en un moment particulièrement réussi, sauf pour les taux de cholestérol. 

Blog train 2 
Ce qui m’a le plus intéressé dans cette expérience, c’est le lien social ainsi créé. Lien social entre les écrivains, éditeurs, attachés de presse, journalistes, il va s’en dire, mais ils ont l’habitude des transgressions autant que de l'endogamie. Lien social aussi entre les habitants de Brive, ce qui est plus original. En effet, « Le Train du Livre » est une grande expérience pour pas mal d’habitants de la ville : non seulement les deux menus et les six à huit cents repas sont entièrement préparés à la cuisine centrale de la ville mais plusieurs dizaines de personnes sont mobilisés pour servir dans le train. Tout ça, je l'ai su en discutant avec des Brivistes embarqués. C’est l’occasion pour eux de nouer des contacts avec les auteurs, des contacts entre eux, et surtout d’avoir le sentiment de participer à une œuvre collective qui compte. Du reste, c’est une entreprise technique majeure, notamment pour le train de l'aller : la veille du départ, des camions réfrigérés de la ville montent à Paris, les Brivistes mobilisés et une délégation de la Foire prennent quat à eux le train, si bien que tout est là et que tout est prêt pour accueillir le lendemain, sur le quai de la gare d’Austerlitz, les centaines d’écrivains qui ne veulent pas rater ce moment unique.

« Le Train du Livre » auquel Le Blog du Livre veut rendre un vibrant hommage – finalement, Le Blog des Livres, c’est un peu comme un train avec des wagons, pardon des « Posts » accrochés les uns aux autres, et jamais en retard sauf les jours de feuilles mortes – est une réussite exemplaire parce qu’elle combine une inventivité organisationnelle, une réponse inattendue aux contraintes d’éloignement, et un temps de communauté rare dans le monde moderne. Et tout cela pour le Livre ! La ville et les habitants consacrent beaucoup d’énergie, de bonne humeur et de moyens pour la réussite de cette Foire du Livre. Cela confère de la dignité à l’action publique et à la vie ordinaire. Bravo Brive !

Vincent Duclert

Le député-maire, Philippe Nauche, et le président de la 29e édition, l'écrivain Jean-Christophe Rufin, sur le quai de la gare de Brive, à l'arrivée du Train du Livre, vendredi.

Les manifestants contre la loi sur les retraites venus accueillir eux aussi les écrivains.

04 novembre 2010

Les couleurs de nos souvenirs

Blog pastou 
Après le prix Fémina essai décerné l’année dernière à Michelle Perrot pour Histoire de chambres, « La librairie du XXIe siècle » des éditions du Seuil, dirigée par Maurice Olender, enregistre un nouveau succès littéraire avec le prix Médicis essai accordé à Michel Pastoureau pour son livre, Les couleurs de nos souvenirs (264 p., 18 €). Agé de soixante-trois ans, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), l’auteur partage son temps de recherche, d’enseignement et d’écriture entre l’histoire et la symbolique des couleurs d’une part, et l’histoire des animaux de l’autre. Il a publié notamment, sur ce dernier sujet, L’ours, Histoire d’un roi déchu, dans la même collection, en 2007. Ses publications scientifiques relatives aux couleurs sont nombreuses ; elles se poursuivront, en 2012, avec une anthologie du Rouge commandée par son éditeur du Seuil.

L’ouvrage honoré hier, 3 novembre, par les jurés du Médicis, est un très beau livre. C’est d’abord un ouvrage de recherche au sens classique du terme. Michel Pastoureau interroge et construit son objet, la couleur et les couleurs dans l’univers social, familial et intime des individus, en prenant sa propre existence comme terrain d’enquête, et en l'éclairant, en la révélant même, grâce à des enquêtes fulgurantes d'histoire symbolique et culturelle. C’est aussi un livre sur la mémoire personnelle, sur la fabrique des souvenirs, sur la présence de l’enfance ; Michel Pastoureau y mène une analyse très fine, sensible et toujours juste, de la manière dont les souvenirs demeurent dans la conscience ; et ce sont les couleurs qui, prioritairement, donnent une existence aux émotions du temps perdu. L’auteur démontre, grâce à des récits de fragments de vie, le pouvoir de la couleur de fixer les événements qui marquent l’existence et font ce que nous sommes. Cette expérience de soi est restituée dans une langue d’une grande qualité. Les couleurs de nos souvenirs est un exemple d’écriture littéraire qui transmet un savoir précieux, indispensable même à la compréhension des choses et des êtres. N’est-ce pas un hasard si le titre choisi est inspiré d’une phrase de Gérard de Nerval, dans une lettre d’avril 1848 à Paul Chenavard : « … avant que ne s’évanouissent dans l’éternité du silence les couleurs mêmes de nos souvenirs ». Ce sont ces mêmes couleurs, retrouvées et rappelées, qui ramènent les souvenirs à la surface du temps.

« André Breton restera toujours dans mes souvenirs associé à une certaine nuance de la couleur jaune, et, avec lui, l’ensemble du mouvement surréaliste. A tout jamais pour moi le surréalisme est jaune, d’un beau jaune lumineux et mystérieux. » (page 19).

Vincent Duclert

Illustration de couverture du livre : Eugen Batz, Correspondence between colours and forms. Study from Kandinsky's teaching, 1929/1930.

 

03 novembre 2010

Les soixante-dix sept erreurs de Madame Bigabanga

Blog luc 2 
J'aurais aimé apprécier Les sept coups de génie de madame Bigabanga de Jean-Noël Fenwick (Albin Michel, Universcience, 2010, 220 p. 15 €). Le projet annoncé en sous-titre, « Du Big bang à la naissance de l'homme, l'histoire de l'univers en 200 pages » est en effet alléchant. Et l'avant-propos, profession de foi d'un autodidacte amateur de science, plutôt sympathique. Un homme qui affirme sa curiosité pour le monde qui nous entoure et sa foi dans la science pour comprendre celui-ci ne peut pas être complètement mauvais. Quand en plus son enthousiasme le pousse à partager ce qu'il a compris avec ceux qui, comme lui, n'ont pas fait d'études scientifiques, on est admiratif.

Hélas, dès le premier chapitre, la catastrophe est avérée. Le soupçon pointe quand l'auteur fait du Big Bang l'instant zéro de l'Univers. Admettons : ce n'est pas le premier à faire ce type de raccourci. Mais il écrit plus loin (page 29) : « Il est important de savoir que le phénomène du Big Bang se produit dans le néant. Si vous le désirez, vous pouvez parfaitement vous représenter le néant comme de l'espace absolument vide, froid et sombre à l'infini ». Je sursaute. Je suis vaguement rassuré quand il se reprend, juste après, en précisant que « le néant n'est pas un espace ». Mais c'est pour rester sans voix quand je lis, à la fin du même paragraphe : « L'important reste que si le néant n'a pas d'existence, il a néanmoins une température »!

C'est vrai, le début de l'Univers, c'est compliqué : de l'espace qui s'étend dans rien (pas dans le néant, vraiment dans rien) c'est difficile à concevoir. Et le refroidissement lié « simplement » à l'expansion du vide, ce n'est pas une situation que l'on retrouve tous les jours. Je continue donc ma lecture. Mais c'est pour trouver à la page 43, à propos des trous noirs, que « la lumière qu'ils tendent à émettre étant constituée de photons, particules ayant une masse, un poids, et donc soumises à la gravité, cette lumière potentielle reste prisonnière de leur incroyable attraction... ». Des photons massifs? Diable! Et la courbure de l'espace temps au voisinage d'une masse, ça ne vous dit rien?

Par acquis de conscience, j'ai sauté au dernier chapitre, « Du rongeur à l'invention de l'écriture ». Un ensemble de périodes sur lesquelles j'ai quelques repères. Des sujets qui font appel à des concepts moins complexes que la cosmologie. Session de rattrapage en quelque sorte. Mais c'est pire encore. Ainsi lit-on page 134 : « Que l'écureuil soit lui aussi un primate devrait en dire plus qu'un long discours décrivant l'ensemble de cette branche évolutive ». Cela en dit surtout long sur le soin que l'auteur a mis à se relire! Et ça continue : il identifie d'une phrase proconsul et dryopithèque ; il place le nakalipithèque de 10 millions d'années comme « ancêtre commun, et avéré cette fois, du gorille, du chimpanzé, du bonobo et de l'homme » (je connais quelques paléontologues qui seraient heureux d'en savoir aussi long) ; il écarte les australopithèques de la lignée humaine ; n'évoque même pas Ardipithecus ni Orrorin ; etc. Je passe les inepties qu'il écrit sur Neandertal.

Vaincu, je me suis arrêté là. C'est raté, M. Fenwick. Une lecture par deux ou trois connaisseurs de la science aurait pourtant suffit à éliminer 99 % de ces erreurs grossières.

Et là, je me pose quand même une question. Que les éditeurs d'Albin Michel se contentent du nom d'un auteur connu par ailleurs pour le phénoménal succès des « Palmes de M. Schutz », et ne se préoccupent pas de la validité de ce qu'il raconte, on peut le comprendre : leur mission est avant tout de gagner de l'argent. Pas d'éduquer les foules. Mais à quoi les responsables des co-éditions d'Universcience occupent-ils donc leur temps? Il faut croire qu'ils ont mieux à faire que de lire les livres sur lesquels ils apposent leur marque. Cet organisme public, qui regroupe la Cité des Sciences et le Palais de la Découverte, porte un bien mauvais coup à sa mission en cautionnant cet ouvrage.

Luc Allemand

 

02 novembre 2010

La fonction politique de la justice

Blog martine 
En attendant des études de sciences sociales sur l’affaire Woerth-Bettencourt, soulignons combien la justice y est attendue. A savoir une ou plusieurs instructions menées par des juges indépendants. C’est à cela que vient de se résigner le procureur de la République de Nanterre qui a demandé, vendredi 29 octobre, l’ouverture d’une information judiciaire à laquelle il était resté jusque-là hostile. C’est dire que la justice, dans le fait même d’exister comme une institution réputée indépendante d’enquête et de jugement, révèle une « fonction politique », qualité à laquelle est consacré un ouvrage collectif dirigé par deux sociologues du fait politique, Jacques Commaille (Ecole normale supérieure de Cachan) et Martine Kaluszynski (CNRS). Les contributeurs de ce volume publié dans la collection « Recherches » de La Découverte se sont en majorité penchés sur le phénomène de « judiciarisation du politique » qui traduisent l’affaiblissement des « modes traditionnels de régulation sociale » et induisent « un transfert de souveraineté de l’Etat vers la justice, du politique vers le juge ». Mais, avertissent les maîtres d’œuvre de La Fonction politique de la justice (327 p., 26 €), « l’enjeu réside dès lors dans la capacité des institutions républicaines à se rénover pour recréer un lien social que le pouvoir judiciaire, garant des valeurs héritées par l’histoire, n’a pas vocation à entretenir ». En d’autres termes, il s’agit de redonner du sens à la politique pour ne pas avoir à en rechercher du côté des institutions judiciaires. Redonner du sens à la politique, c’est-à-dire lui faire assumer l’idée de justice qui traverse les sociétés.

Vincent Duclert

Tous les lecteur ont bien sûr reconnu la photographie qui orne la couverture du livre, due à Marie-Laure De Decker (Gamma), montrant l'avocate Gisèle Halimi et sa cliente Marie-Claire Chevalier, seize ans, poursuivie devant le tribunal de Bobigny pour avoir avorté après un viol (1972). Cette dernière sera relaxée à la suite d'un procès transformé en événement politique, parce que les milieux politiques restaient sourds à la question de l'IVG et s'en tenaient à sa stricte pénalisation.