Vous êtes sur BLOGS > le blog des livres « juillet 2010 | Accueil | septembre 2010 »

août 2010

31 août 2010

Encore un effort pour être républicains !

Blog laborde
L’été n’a pas été de tout repos pour la République et ses « fondamentaux », soumis aux fortes tensions venues de la politique dite « sécuritaire » du gouvernement. Avant la trêve estivale était paru l’essai de Cécile Laborde, Français, encore un effort pour être républicain ! (Le Seuil, 156 p., 13 €). Porté par l’un des directeurs de la « La République des idées » (mais non publié dans cette collection), ce petit livre est adapté de la recherche que cette politiste française –enseignant à l’université de Londres – a menée sur la question du voile islamique et qui a débouché sur un livre en 2008, Critical Republicanism. The Hijab Philosophy and Political Philosophy (Oxford University Press). Dans son essai, Cécile Laborde synthétise ce qu’elle entend par « républicanisme critique », à savoir l’affirmation et l’application d’un idéal de non-domination. Le passage qui suit en donne une claire illustration dans le contexte de la laïcité et de ses débats :

« La laïcité peut ainsi recouvrir deux idées assez différentes : d’une part, un principe égalitaire de séparation et de neutralité de l’Etat (un principe "neutraliste") ; et, d’autre part, un principe de promotion de la liberté comme émancipation de l’ "obscurantisme" religieux par la raison (un principe "laïciste"). Je qualifie ainsi de "laïcisme" une certaine tradition républicaine de méfiance vis-à-vis de la croyance religieuse – pour la distinguer d’une version plus "neutraliste" des visées de la séparation. Il s’agit, dans la première partie de ce livre, de comprendre comment l’interdiction du foulard musulman dans les écoles a pu être défendue par référence à un idéal d’émancipation laïciste, dont il convient de restituer l’épaisseur historique et les attendus sociologiques et philosophiques. Cet idéal laïciste a toutefois été soumis, dans le débat français, à une critique serrée, qui affirme que seuls la tolérance et le respect de la subjectivité des jeunes filles voilées sont compatibles avec la liberté républicaine. le débat entre laïcisme et tolérance, ainsi reconstruit, peut ensuite être dépassé par le républicanisme critique, qui tolère le foulard à l’école mais n’abandonne pas pour autant la lutte contre la domination. »

Le livre de Cécile Laborde démontre donc que la République a de l’avenir, qu’elle peut répondre aux grands défis sociaux et nationaux, à condition de mieux la connaître et de la penser davantage.

Vincent Duclert

27 août 2010

La mathématique du physicien

Blog diu
Dans La mathématique du physicien paru chez Odile Jacob (coll. Sciences, 380 p., 30 €), Bernard Diu, coauteur d'un célèbre ouvrage de mécanique quantique, se propose d'illustrer la différence entre la mathématique du physicien et celle du mathématicien. C'est un sujet vaste, passionnant, et qui pourrait certainement donner lieu à des réflexions profondes. Hélas, l'auteur s'en tient à de vagues ronchonnements et n'esquisse pas la moindre étude, historique ou philosophique, sur l'origine de l'incompréhension qu'il ressent entre les deux communautés. On peine même à discerner le rapport entre les développements d'idées de physique, qui forment l'essentiel du livre, et le propos général annoncé dans le prologue et repris dans l'épilogue. Certains chapitres sont d'ailleurs des reprises intégrales d'ouvrages précédents, et le tout ressemble à un collage de fonds de tiroir au fil directeur mal défini. Mais si nous mettons de côté le sujet, dont on aura compris qu'il ne s'agit que d'un prétexte, les chapitres, pris individuellement, présentent-ils de l'intérêt ? Même pas, car les lecteurs ayant un certain niveau en physique n'apprendront rien, et les autres ne comprendront rien. Il faut dire que ces derniers ne seront guère aidés par le style de l'auteur, qui vise l'élégance plus que la clarté, et s'interrompt si souvent lui-même par des citations et des mots d'auteur que cela tourne au trouble obsessionnel compulsif. Passez votre chemin.

Fabien Besnard

23 août 2010

Sur les origines de l'effet de serre et du changement climatique

Blog grine
Svante Arrhenius, Thomas C. Chamberlin, James Croll, Joseph Fourier, Claude Pouillet, John Tyndall, Sur les origines de l'effet de serre et du changement climatique, Paris, La ville brûle, 2010, 277 p., 25 €
 
Avec deux remarquables préfaces, l'une d'Edouard Bard, du Collège de France, l'autre de Jérôme Chappellaz, du Laboratoire de glaciologie et géophysique de l'environnement de Grenoble, deux chercheurs chevronnés et bien connus pour leur sens de la responsabilité sociale des scientifiques et leur talent de communicateurs, cette anthologie de textes du XIXe siècle publiée par une jeune et courageuse petite maison éditions française ne devrait pas laisser indifférent. Elle devrait intéresser non seulement les amateurs d'histoire des sciences mais encore les milieux de l'éducation et de l'enseignement supérieur, car l'histoire des sciences, comme le disait Goethe, c'est la science elle-même, la science en marche, la recherche en train de se faire. Ce genre de textbook est encore assez rare pour la physique cosmique et la climatologie du XIXe siècle, c'est-à-dire du début de notre révolution thermo-industrielle. Curieusement, la théorie de l'effet de serre, y compris de l'interférence de l'activité humaine, et des changements climatiques dans l'histoire géologique de la Terre possède, grosso modo, la même chronologie historique et le même gradient de croissance que la Révolution Industrielle bien comprise, c'est-à-dire à l'échelle du système Terre.

L'originalité et l'utilité de ce volume broché de bonne facture, à la typographie très agréable, me semblent de bon augure pour la diffusion (a priori un peu difficile) d'un tel travail de traduction. Il faut bien le reconnaître, ce genre d'ouvrage ne court pas les rues, ni même les couloirs de nos facultés (des sciences ou des lettres). Pour la Fac des lettres, Fourier ou Arrhénius, c'est de la science, pas de la littérature! Pour la Fac des sciences, Tyndall ou Chamberlin, c'est maintenant de la littérature, plus de la science! La réalité historique et épistémologique ne cadre plus avec nos catégories et représentations actuelles. Mais
c'est justement pour cela qu'il vaut la peine de relire les fondateurs, les classiques d'un grand débat scientifique, et non de la plus grande escroquerie intellectuelle du siècle, comme le proclament les climato-sceptiques qui ne connaissent pas cette histoire de l'effet de serre qui a les dimensions de notre civilisation thermo-industrielle!

Pour ma part, je n'ai qu'un souhait après cette lecture (une relecture en fait, car cela fait plus de vingt ans que je m'intéresse à cette passionnante histoire) : que cette anthologie sur la découverte des changements climatiques et du rôle de l'effet de serre dans l'histoire géochimique de notre « Biosphère dans le cosmos » (V. Vernadsky) soit suivie d'un second volume qui rassemblerait les pionniers de la dérive anthropogénique de l'effet de serre à partir de l'Année Géophysique Internationale (1957-58), comme Gilbert Plass, Roger Revelle, Charles David Keeling, Lester Machta, Bert Bolin, Jule Charney, William Kellogg, et encore d'un troisième volume, avec les découvertes extraordinaires des glaciologues comme Will Dansgaard, Hans Oeschger ou Claude Lorius, et beaucoup d'autres dont le grand public ignore encore les contributions à la nouvelle science du système Terre.
Jacques Grinevald, IHEID, Université de Genève

20 août 2010

Une société à soigner

Blog jorland
L’étude du philosophe et historien des sciences Gérard Jorland consacrée à l’hygiène et à la salubrité publiques en France au XIXe siècle (Une société à soigner, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 361 p., 27 €) se saisit d’une contradiction essentielle dans la naissance de la santé publique dans notre pays. Le mouvement hygiéniste y a été particulièrement puissant, et il a conféré à la santé publique une importance considérable. Pourtant, le libéralisme a dominé dans la construction des politiques publiques, à la différence de l’Angleterre où a régné un fort étatisme. Ce n’est pas le moindre mérite du livre de Gérard Jorland que d’étudier ce paradoxe dont l’impact est toujours d’actualité. L’échec de la campagne de vaccination de la grippe A n’en serait-il que le dernier avatar ?

Vincent Duclert

17 août 2010

Esthétique et philosophie des listes

Blog sève
Avec la rentrée qui se profile, les listes se préparent, listes de courses, listes de projets, de résolutions, etc. Bernard Sève, professeur d’esthétique et de philosophie de l’art à l’université 3, a étudié ce processus humain d’établissement des listes. Et l’auteur lui-même a du recourir à une liste, « liste des notions corrélées à l’idée de liste », où l’on va d’Abécédaire à Who’s Who en passant par Florilège, Glossaire ou Pétition. Chacune des listes qu’induisent ces notions « exprime une facette de l’esprit humain ». Nous souhaitons, ajoute Bernard Sève, « penser à la fois la diversité de ces facettes et l’unité du geste humain fondamental consistant à penser et à agir "en liste". Peut-être saurons-nous mieux, alors, ce que nous faisons lorsque nous remplissons notre agenda, consultons l’annuaire ou nous laissons griser par la poésie des listes de Rabelais, de Melville ou d’Homère. » (De haut en bas. Philosophie des listes, Paris, La Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 238 p. 19 €). Une étude subtile, ample, originale.

Vincent Duclert

12 août 2010

La stratégie de la contredanse

Blog tangente
Une bonne livraison, ce numéro 135 de Tangente. L’aventure mathématique, daté juillet-août 2010 (52 p., 6,40 €), avec, notamment, un Hommage à Denis Guedj disparu en avril dernier et dénommé ici « l’amant des mathématiques », un dossier sur « les mots et les maths » pour rappeler que les mathématiques ont une dimension littéraire essentielle (mentionnons du reste le nombre de poètes mathématiciens), enfin une étude très sérieuse sur « la stratégie du de la contredanse » - avec le passage probable de la contravention de première classe de 11 à 20 euros. Et l’auteur, Gilles Cohen, de préconiser l’échange d’informations via les réseaux Internet d’alerte communautaire qui se multiplient afin de conserver la rentabilité des comportements alternatifs.

Vincent Duclert

La Recherche

et Tangente s’associent pour publier cet été un « Spécial jeux mathématiques et énigmes policières »
10 août 2010

La lune à portée de main

Blog lune
Les trois auteurs de La lune à portée de main. Phases, éclipses, marées définissent d’emblée l’objectif de leur ouvrage : décrire et analyser « les phénomènes lunaires grâce à des observations, de nombreux schémas, des propositions d’expériences et des maquettes. Ces différents "outils" devraient être utiles à tous ceux qui veulent comprendre la Lune, mais aussi à ceux qui veulent expliquer, qu’ils soient parents, animateurs ou enseignants ». Avec ce manuel, les éditions Belin confirment leur vocation à présenter et expliquer l’astronomie. Pas moins de vingt-quatre volumes dont deux déjà élaborés par le trio Pierre Causeret, Jean-Luc Fouquet et Liliane Sarrazin-Vilas, tous professeurs de mathématiques ou de sciences physiques. Un prolongement sur le site Internet de l’éditeur (www.editions-belin.fr) enrichit un travail très illustré et complet, qui procède souvent de questions-réponses, et qui invite à la lecture, surtout en ces temps de congés et de voyages – lorsqu’on peut prendre enfin le temps de voir, de près ou de loin, la Lune (coll. « Bibliothèque scientifique », 224 p., 24 €).

Vincent Duclert

06 août 2010

L'héritage sanglant

Blog saint 1
Blog saint 2
Blog saint 3
Due au talent de dessinateur de Jean-Charles Kraehn et à son imagination de scénariste, la série BD Gil Saint-André affiche déjà deux cycles au compteur, dont l’un prenait l’Algérie et l’islamisme comme toile de fond. Vient de paraître en mai dernier le premier volet d’un troisième cycle. L’héritage sanglant s’ouvre sur l’assassinat d’une riche famille, les Gauthier de Rochard-Haumont, sur leur yacht en mer Egée. Seule l’héritière Diane, une jeune femme, survit ; elle se baignait à proximité du bateau lorsque celui-ci a explosé. Elle est recueillie par un groupe d’amis voguant sur un catamaran. Le voilier est alors pris en chasse par les assassins du milliardaire. A bord du bateau, Gil Saint-André. Il parvient à déjouer les plans terroristes et à rapatrier tout le monde, Diane comprise, à Paris, où la police est en émois. Habitué aux enquêtes criminelles et aux manipulations en tout genre, il comprend progressivement que la survie de la belle Diane n’est pas si fortuite que cela. Il tente alors de conserver sa pleine liberté afin de dénouer les fils d’une affaire aux nombreuses ramifications, africaines comprises… Suite au prochain épisode !

Vincent Duclert

Glénat, 48 p., 9,95 €. A noter que les huit précédents tomes sont réédités pour l'occasion, avec de nouvelles couvertures - mais moins réussies que les premières. à notre avis

03 août 2010

Libertés et sûreté dans un monde dangereux

Blog mireille
Paru en février dernier, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, l’essai de la juriste et professeure au Collège de France Mireille Delmas-Marty, est d’une inquiétante et passionnante actualité. Le brusque sursaut de politique sécuritaire du président de la République et du gouvernement, ces derniers jours en France, rend plus urgente encore la lecture de ce livre voulu par son auteure après l’adoption par le Parlement, le 25 février 2008, de la loi relative à la rétention de sûreté, qui permet de maintenir un condamné en détention, après exécution de sa peine, pour une durée d’un an, renouvelable indéfiniment sur le seul critère de sa dangerosité. « Montesquieu doit se retourner dans sa tombe », n’hésite pas à écrire à ce propos Mireille Delmas-Marty qui cite le philosophe de L’esprit des lois : « c’est donc de la bonté des lois criminelles que dépend principalement la liberté du citoyen ».

« Comment en est-on arrivé là ? » C’est la question qui hante depuis l’universitaire. Elle a choisi d’y consacrer son cours au Collège de France puis d’écrire ce livre. Elle démontre combien, dans le monde démocratique, les politiques de sûreté se sont aggravées, comment celles-ci menacent l’Etat de droit, et pourquoi les responsables politiques se résignent à cette logique de réduction des libertés individuelles et publiques voire l’encouragent et la construisent. La cause de cette régression démocratique ne tient pas seulement dans la dérive de la lutte contre le terrorisme comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme avec sa formule : « perdre la démocratie au motif de la défendre ». Le terrorisme devient définitivement victorieux lorsqu’un Etat le combat en lui empruntant ses propres armes. Les Etats-Unis après le 11 septembre 2001 fournissent à cet égard de nombreux exemples qui montrent en plus la double inefficacité de cette politique anti-terroriste. Les services de sécurité perdent la pratique de l’enquête et de l’intelligence au profit de la seule répression tandis que les fondements démocratiques, ceux de la nation particulièrement en Amérique, sont durablement sapés. Mais l’existence régulière des Etats, la politique pénale ordinaire traduisent elle aussi cette emprise du sécuritaire sur les libertés.

Inquiétante, l’actualité du livre de Mireille Delmas-Marty est aussi passionnante puisqu’elle prouve in situ que le droit n’est pas seulement un raisonnement nécessaire mais aussi le garant des libertés et un rempart contre l’arbitraire. Les « forces imaginantes du droit » selon la belle expression de l’auteur qui conclut avec Edouard Glissant : « Face à l’alliance Ben Laden/Big Brother, la meilleure réponse est peut-être dans cette "énorme insurrection de l’imaginaire" que le poète Edouard Glissant nomme la "pensée du tremblement" : une pensée qui n’est "ni crainte ni faiblesse, mais l’assurance qu’il est possible d’approcher ces chaos, de durer et grandir dans l’imprévisible". "Ni crainte ni faiblesse" : ce ne sont pas les mots de la fin mais les mots de l’avenir. »

(Le Seuil, coll. « La Couleur des idées », 283 p., 21 €)

Vincent Duclert

02 août 2010

Daemon

Blog daemon
Daemon
, « le démon », est sorti de l’imagination de l’américain Daniel Suarez (Fleuve noir, coll. « Thriller », 20,90 €). Celui-ci a conçu un techno-thriller de près de 600 pages qui met en scène un informaticien de génie, Matthew A. Sobol, créateur de jeux électroniques et devenu richissime grâce à leur commercialisation. Il meurt à 34 ans d’une tumeur au cerveau. Mais il ne disparaît pas tout à fait puisqu’il laisse derrière lui une machine redoutable, tout un ensemble de logiciels et un empire d’intelligence artificielle qui vont défier les meilleurs agents des Etats-Unis, semant la terreur et la ruine sur la côte ouest. Sobol est vivant, incontrôlable, démoniaque. Les situations imaginées sont captivantes. Mais le scénario global apparaît plutôt décousu à la lecture. On conseillera cependant Daemon pour son pouvoir d’anticipation de la puissance informatique échappant à toute décision humaine de régulation et de contrôle.

Vincent Duclert

« Daemon », ou « Disk And Execution MONitor » dans le jargon informatique.