Libertés et sûreté dans un monde dangereux
Paru en février dernier, Libertés et sûreté dans un monde dangereux, l’essai de la juriste et professeure au Collège de France Mireille Delmas-Marty, est d’une inquiétante et passionnante actualité. Le brusque sursaut de politique sécuritaire du président de la République et du gouvernement, ces derniers jours en France, rend plus urgente encore la lecture de ce livre voulu par son auteure après l’adoption par le Parlement, le 25 février 2008, de la loi relative à la rétention de sûreté, qui permet de maintenir un condamné en détention, après exécution de sa peine, pour une durée d’un an, renouvelable indéfiniment sur le seul critère de sa dangerosité. « Montesquieu doit se retourner dans sa tombe », n’hésite pas à écrire à ce propos Mireille Delmas-Marty qui cite le philosophe de L’esprit des lois : « c’est donc de la bonté des lois criminelles que dépend principalement la liberté du citoyen ».
« Comment en est-on arrivé là ? » C’est la question qui hante depuis l’universitaire. Elle a choisi d’y consacrer son cours au Collège de France puis d’écrire ce livre. Elle démontre combien, dans le monde démocratique, les politiques de sûreté se sont aggravées, comment celles-ci menacent l’Etat de droit, et pourquoi les responsables politiques se résignent à cette logique de réduction des libertés individuelles et publiques voire l’encouragent et la construisent. La cause de cette régression démocratique ne tient pas seulement dans la dérive de la lutte contre le terrorisme comme l’a souligné la Cour européenne des droits de l’homme avec sa formule : « perdre la démocratie au motif de la défendre ». Le terrorisme devient définitivement victorieux lorsqu’un Etat le combat en lui empruntant ses propres armes. Les Etats-Unis après le 11 septembre 2001 fournissent à cet égard de nombreux exemples qui montrent en plus la double inefficacité de cette politique anti-terroriste. Les services de sécurité perdent la pratique de l’enquête et de l’intelligence au profit de la seule répression tandis que les fondements démocratiques, ceux de la nation particulièrement en Amérique, sont durablement sapés. Mais l’existence régulière des Etats, la politique pénale ordinaire traduisent elle aussi cette emprise du sécuritaire sur les libertés.
Inquiétante, l’actualité du livre de Mireille Delmas-Marty est aussi passionnante puisqu’elle prouve in situ que le droit n’est pas seulement un raisonnement nécessaire mais aussi le garant des libertés et un rempart contre l’arbitraire. Les « forces imaginantes du droit » selon la belle expression de l’auteur qui conclut avec Edouard Glissant : « Face à l’alliance Ben Laden/Big Brother, la meilleure réponse est peut-être dans cette "énorme insurrection de l’imaginaire" que le poète Edouard Glissant nomme la "pensée du tremblement" : une pensée qui n’est "ni crainte ni faiblesse, mais l’assurance qu’il est possible d’approcher ces chaos, de durer et grandir dans l’imprévisible". "Ni crainte ni faiblesse" : ce ne sont pas les mots de la fin mais les mots de l’avenir. »
(Le Seuil, coll. « La Couleur des idées », 283 p., 21 €)
Vincent Duclert
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