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mars 2008

31 mars 2008

Points de rupture

Blog_pearce Dans la masse des publications consacrées au réchauffement climatiques, le meilleur * côtoie le moins bon. Points de rupture dû à Fred Pearce, consultant environnemental et contributeur au New Scientist Magazine, est truffé d'affirmations péremptoires : le refroidissement du Dryas récent (entre 12 800 et 10 800 BP selon les sources) attribué au déversement dans l'océan du «grand lac glaciaire d'Amérique du Nord », ou l'affirmation selon laquelle, en 2003, le glacier de Jakobshavn, au Groenland, avançait sa langue glaciaire de 15 km dans la mer de Baffin ! Le reste à l'avenant. Ainsi, concernant les solutions technocratiques à la crise climatique, on peut lire : « Le président Georges Bush (...) a raison sur un point : au bout du compte, il appartiendra aux technologies davantage qu'aux politiques de résoudre le problème »... (Calmann-Lévy, 2008, 388 p. 19 €).

Pascal Acot, CNRS

* Voir le post du 25 mars consacré au Plan B.

28 mars 2008

De pied ferme

Blog_moraz Petit post aujourd’hui, en raison de la page « Opinion » sur mai 68 et l’université que la rédactrice en chef attendait de pied ferme (pavé ou bidule à la main, au choix) pour le mensuel daté mai, en cours de bouclage. Nous ne déflorerons pas la substantifique moelle du papier. Pour patienter, les lecteurs pourront se reporter aux très intéressants mémoires(Fayard, 2007, 430 p., 26 €) de l’historien Charles Morazé (1913-2003), un proche du général de Gaulle et de Christian Fouchet, baron du gaullisme, ministre de l’Education nationale entre 1962 et 1967 puis ministre de l’Intérieur en pleine tourmente de « mai ». Très critique sur Georges Pompidou accusé d’avoir bloqué la réforme nécessaire de l’enseignement supérieur (dit « Plan Fouchet » contesté par les étudiants et enterré par Matignon), l’auteur se souvient des conseils qu’il avait prodigués à son mentor à son arrivée place Beauvau. Quant à Daniel Cohn-Bendit, on constatera qu’il n’était assurément pas le genre de beauté de l’historien. Mais on peut se demander raisonnablement, au vu de l’histoire démographique de la France, s’il existe un Français qui ne soit pas aussi « mi-immigré »…..

« Christian Fouchet a été nommé à l’Intérieur. Je l’ai en vain avisé qu’il aurait à combattre ceux qu’il avait voulu aider. ‘Un tel ministère ne se refuse pas, et je m’y intéresserai d’abord aux collectivités locales.’ Son successeur rue de Grenelle bloque ou temporise quand il eût fallu aller de l’avant. Aubaine pour un meneur – mi-Français, mi-immigré – alliant l’audace de la jeunesse à un sens avisé des limites de l’étrangeté. Et un monstre chahut d’étudiants va prendre le masque d’une révolution. » Une parole de prof incontestablement. 

Vincent Duclert

27 mars 2008

La science du mouvement des eaux

Il n’y a pas que les chats qui peuvent regarder, fascinés, pendant des heures un mince filet d’eau s’écouler. Dans le passé, il y a eu aussi des gens très bien, voire d’éminents académiciens : Toricelli, Mersenne, Descartes, Mariotte, Huygens, Varignon… et demain peut-être vous-même si vous vous laissez prendre par La science du mouvement des eaux de Michel Blay (Belin, 2007, 30 €). Car enfin, nous avions oublié un peu tout cela mais c’est fascinant : commencez par percer un petit trou sous un vase et regardez. Le jet coulera d’autant plus vite que le niveau de l’eau est haut, facile ! On peut alors se prendre au jeu, déjà moins trivial de calculer la forme qu’aurait une clepsydre dont la baisse de niveau mesurerait directement le temps. On peut s’amuser, comme Mariotte, à faire remonter le petit jet d’eau et maintenir en équilibre à son extrémité un objet pour en calculer la force. En théorie, on peut montrer que le jet d’eau ne peut remonter que la moitié du niveau d’eau du vase alors qu’on constate bien qu’il remonte presque jusqu’en haut du niveau…Et oui, Newton montrera que le petit jet est rétréci en sortant et a donc une accélération plus forte. C’est comme cela que sans s’en rendre compte on passe de l’hydraulique du père Bernouilli à l’hydrodynamique du fils. Un livre à lire pour ceux qui sont amenés à enseigner le mouvement des eaux et pour tous les autres afin qu’ils regrettent de ne pas avoir à le faire…

Frédérique Rémy, CNRS

26 mars 2008

Les experts récupérateurs

La plupart des récits d’anticipation qui envisagent les relations avec des intelligences extra-terrestres le font sur le mode guerrier, moral ou existentiel. La nouvelle série de Kristine Kathryn Rusch, Les experts récupérateurs, aborde ce thème sous un angle plus original : celui de la question juridique. Le premier volet, Les Disparus (traduit de l’américain par Élisabeth Vonarburg, Bragelonne, 2008, 348 p., 20 €), suit le parcours de Miles Flint, policier dans un dôme lunaire. Pour assurer la stabilité des relations commerciales avec les différentes espèces non-humaines, l’Alliance terrestre se plie aux lois des autochtones pour les crimes commis par des humains à leur endroit. Pour échapper à la vindicte extra-terrestre, les coupables (souvent par simple négligence et dans l’ignorance des modes de vie de leurs hôtes) n’ont qu’un recours : les agences de Disparition, qui, dans l’illégalité, leur offrent une nouvelle identité. Mais lorsqu’une de ces agences vend ses fichiers aux aliens, Flint voit affluer sur sa juridiction les cas de Disparus laissés à la merci des non-humains, dont les peines (rapts d’enfants, vendettas sanglantes ou travaux forcés), quoique légales, révoltent le policier et le plongent dans un dilemme entre la loi et une éthique séculaire mise à mal par le « galactiquement correct ». Espérons seulement que les prochains épisodes nuanceront l’impression quelque peu « aliénophobe » que laisse cet opus introductif, emprunt par ailleurs d’une grande sensibilité.

Ivan Kiriow

25 mars 2008

Anniversaire..... du Blog des Livres

Mai 68 a quarante ans, le Blog des Livres de La Recherche aura un mois demain. Pour fêter ce grand âge, plus de « posts » aujourd’hui, un article dans Livres Hebdo, une invitation à participer diffusée sur la liste Theuth par notre collègue Stéphane Tirard, directeur du Centre François-Viète de l’Université de Nantes. En avant-première aussi, la critique de Pascal Acot consacrée au « Plan B » et qui paraîtra dans le prochain Dossier de La Recherche (succédant à La Conscience, toujours dans les kiosques) : nous y travaillons, preuve que le lien ne cesse d'être maintenu entre la revue papier et son développement numérique. Didier Hauglustaine, directeur de recherche au CNRS, qui participe lui aussi à ce dossier, nous livre ici sa lecture inédite d’Atmosphère, océan et climat. On s’intéressera également à La profondeur des Sexes par une nouvelle recrue du Blog, Brigitte Sitbon-Peillon, philosophe à l’Ecole pratique des hautes études. Et on saluera le texte littéraire et engagé d’André Michard, géologue de profession et humaniste de conviction, sur Le Cimetière des Innocents.

Vincent Duclert, co-responsable du Blog des Livres

Le Cimetière des Innocents

On a déjà lu beaucoup de livres sur la violence sinistre du régime dit « soviétique ». L’Aveu d’Arthur London, L’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljenitsyne , Vie et Destin de Vassili Grossman, que d’ouvrages, de témoignages nous ont déjà accablés sur ce que fut le « socialisme réel » au pays de la révolution bolchevique! Mais on oublie. On a la mémoire courte. Ou bien on est trop jeune, et on ne lit pas ces vieilles histoires. On est tourné vers l’avenir, on est généreux, on se saisit des drapeaux rouges de la révolte contre les injustices capitalistes, on n’hésite pas à s’intituler « révolutionnaire », « trotskiste » ou « communiste ». Voici un livre qui sera, pour les uns, une nécessaire piqûre de rappel, pour les autres, de quoi (à tout le moins !) s’interroger : Le cimetière des Innocents (Calmann-Lévy, 2007, 283 p., 20 €). Son auteur, Alexander Yakovlev (1923-2005), à peine sorti sur ses béquilles du cloaque de la guerre, est témoin de la déportation des prisonniers russes libérés des camps allemands vers le goulag. Puis c’est le rapport Krouchtchev au XXème Congrès du PCUS, où il est l’un des jeunes délégués. La boîte de Pandore des crimes de Staline s’entrouvre. Yakovlev, devenu historien, expédié comme ambassadeur au Canada, y fait la rencontre de Gorbatchev, et le voici responsable de la commission de recensement des victimes du communisme. Tâche écrasante, d’où résulte ce livre accablant – mais qu’il faut lire, pourtant. Staline ? Il ne fut qu’un élève appliqué de Lénine, dont les consignes sanguinaires font frémir. La Russie est encore malade de cette plongée dans la folie. Gardons nous de la contagion.

André Michard, ENS et Université Paris-Sud

Le plan B

Chez le même éditeur, deux ouvrages généralistes bien différents mais tous deux marqués par la question du réchauffement anthropique de l'atmosphère. « Le plan B » de Lester Brown (Pour un pacte écologique mondial, préface de Nicolas Hulot, Calmann-Lévy, 2007, 415 p., 20 €) est sérieux et novateur. Son auteur a fondé en 1974 et présidé pendant 26 ans le Worldwatch Institute, une organisation non-gouvernementale de recherche interdisciplinaire sur l'état écologique du monde et le développement durable. L'ouvrage est une somme environnementaliste originale en ce que les questions sociales, non seulement liées à la survie des populations les plus fragiles mais aussi aux questions de bien-être sont constamment prises en compte : l'éradication de la pauvreté et l'amélioration des systèmes de santé pour tous font partie des mesures écologiques prévues par le plan B « pour remettre la planète en l'état ». L'ensemble est remarquablement documenté : les travaux patients et méticuleux du Worldwatch Institute et de son réseau mondial y sont pour beaucoup. Sur ce dernier point les références sont d'une grande richesse, mais hélas, toutes les notes sont rejetées en fin d'ouvrage, ce qui ne rend pas leur consultation facile (il y a 80 pages). Le plan de l'ouvrage, en trois parties, est limpide : dans « Une civilisation en danger » est présenté l'ensemble des problèmes environnementaux tels qu'ils se posent aujourd'hui en matière de combustibles fossiles, de pénurie d'eau, de réchauffement climatique, de déforestation et de « fracture sociale dans notre monde ». Dans la seconde partie, l'auteur s'attaque aux mesures à prendre, c'est le « Plan B », qui ne dissocie pas la stabilisation nécessaire du climat de la question alimentaire dans le monde. En revanche, la troisième partie, intitulée « Une perspective enthousiasmante » apparaîtra comme telle aux seuls défenseurs de ce libéralisme qui considère que le marché est « capable d'attribuer les ressources avec une efficacité qu'aucun organisme de planification centralisé ne peut atteindre » et qu'il « équilibre aisément l'offre et la demande et fixe un prix qui reflète facilement la rareté ou l'abondance » ! Il reste que certaines perspectives sont effectivement enthousiasmantes, comme la réduction des budgets militaires et leur redéploiement pour « la construction d'un autre futur ».

Pascal Acot, CNRS

Atmosphère, océan et climat

Le climat de la Terre résulte d’un équilibre subtil entre l’état de l’atmosphère et celui des océans. Depuis quelque 150 ans, l’homme a, par ses activités industrielles et agricoles, perturbé cet état d’équilibre à un rythme sans précédent dans l’histoire de notre planète. Comprendre un système climatique en mutation amène des questions plus essentielles. Comment se forment et évoluent les nuages ? Quelle est l’origine du Gulf Stream et du phénomène El Niño ? L’ozone est-il un polluant ou protège-t-il la vie à la surface de la Terre ? Comment naissent les tsunamis et les cyclones ? Pourquoi l’effet de serre augmente-il ? Quelle est la différence entre météorologie et climat ? Ces questions fondamentales, nous devons tous nous les poser pour tenter de comprendre les enjeux auxquels notre société doit faire face dans ce domaine. Dans Atmosphère, océan et climat (Belin, 2007, 287 p., 29€), vous trouverez des explications claires et documentées. Robert Delmas et ses co-auteurs couvrent l’ensemble des questions liées à la fois à l’atmosphère et aux océans dans leurs propriétés physiques, dynamiques et chimiques et dans leurs interactions. Ils s’attachent à en présenter les fondements scientifiques, les manifestations spectaculaires et les aléas naturels mais aussi la part de l’homme dans le dérèglement qui s’est installé. Une riche iconographie facilite la compréhension du sujet, alors que le propos reste avant tout scolaire. Ce livre fournit toutes les clés pour comprendre la complexité du système climatique et la problématique de ses perturbations par l’homme.

Didier Hauglustaine, CNRS

La Profondeur des sexes

Il est en apparence plus aisé de mesurer la longueur d’un sexe masculin que de sonder la profondeur d’un vagin féminin ! Ce constat exhibe une énigme de taille : celle du mystère insondable de la jouissance des corps. Ah les voies du seigneur sont impénétrables, mais plus impénétrable encore est la fente d’Ève que son Époux divin caresse dans Le Cantique des cantiques et qui lui fait « frémir ses entrailles » ! Elle s’ouvre à d’infinis possibles comme tous les humains qui à la différence des animaux font « la bête à deux dos ».Mais qui veut faire la bête fait l’ange et finalement n’est-ce pas dans cet acte le plus commun qu’est l’acte sexuel que se découvre dans les corps une spiritualité insoupçonnée venue d’en Haut. Pour F. Hadjadj, auteur de (La Profondeur des sexes. Pour une mystique de la chair, Paris, Seuil, 2008, 420p, 20 €) le sexe, loin d’être un reliquat bestial, est une sorte de reliquaire exorbitant », de là son idée maîtresse d’une « mystique de la chair ». Pour autant, son ouvrage n’est pas un appendice du Kama-sutra ni un nouveau traité des états des adeptes de l’oraison dans leur élévation anagogique. Pas question non plus pour l’auteur de ce livre au style alerte, croustillant, et jouissif de donner des leçons éculées de « morale sexuelle », mais de proposer une façon de toucher de près le sexe dans sa profondeur méta-physique. Les bas-ventres de Monsieur et Madame-Tout-le-Monde recèleraient des trésors quasi divins que l’auteur, à travers les récits bibliques, littéraires ou philosophiques et les différentes expériences de la vie courante, exhume dans leur grandeur et leur luxuriance.C’est donc une « morale moqueuse » que nous propose F. Hadjadj ne craignant pas de tendre les verges pour se faire battre en relevant l’échec d’autres approches face à une résolution de cette énigme de l’homme que Sade dans sa Vingt troisième journée de Sodome propose de « foutre plus que de comprendre ».

Brigitte Sitbon-Peillon, EPHE

24 mars 2008

Evolution

Livre de science, livre d’art, album photographique, cet Évolution du biologiste Jean-Baptiste de Panafieu et du photographe Patrick Gries (Éditions Xavier Barral, Muséum national d'histoire naturelle, 2007. 285 p. 49,90 €) est tout cela. Qu’il s’agisse des dizaines de squelettes montés d’animaux vertébrés (représentants d’espèces parfois menacées ou éteintes) ou des quelques coquilles de mollusques marins qui les accompagnent, tous sont ici présentés telles des œuvres d’art. Le résultat, c'est-à-dire un très bel album de photographies en noir et blanc, frappe par sa proximité avec le travail effectué autrefois par Robert Hupka pour la Pieta de Michel-Ange. Et, effectivement, il s’agit bien de sculptures : celles que l’épaisseur du temps et la vie ont, à travers l’évolution des espèces, sélectionnées et façonnées. En ce monde soumis depuis l’origine aux mécanismes de la sélection naturelle, l’extinction des espèces est la norme. La vie est un mouvement continu et celui-ci se retrouve y compris dans les choix de mise en scène des animaux présentés. Bien plus qu’une réponse « esthétique » aux menées récentes du créationnisme nourri de fondamentalisme religieux (cf. l’affaire de la diffusion de L’Atlas de la création d’Harun Yahya en février 2007), ce livre est bien une démonstration scientifique. Chacune des photographies vient souligner le propos de J.-B. de Panafieu : explorer une « nature dépourvue de tout projet » qui, ainsi libérée, se donne en spectacle, s’offre à la découverte d’une richesse et d’une diversité faites de complexité, et invite à observer et connaître les mécanismes du vivant pour comprendre et (pourquoi pas ?) songer à préserver la biodiversité.

Arnaud Hurel, Muséum national d'histoire naturelle