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novembre 2010

29 novembre 2010

La dynamique de l’innovation

Blog caron 
François Caron est un spécialiste de l’histoire des techniques, des chemins de fer à l’électricité. La dynamique de l’innovation (Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 469 p., 26 €), qui se présente comme une grande synthèse alliant théorie et pratique, se propose d’étudier la relation entre le changement technique et le changement social, depuis le XVIe siècle jusqu’au XXe. Pour ce faire, l’auteur isole « quatre composantes d’un système global : la formation d’un corpus de savoirs techniciens et scientifiques organisé en filières spécifiques ; le développement de puissantes institutions vouées uniquement à la recherche scientifique et technique ; la mise en place d’un réseau de relations d’ordre social entre les différents acteurs de la construction des savoirs ; l’établissement de relations entre le consommateur final et les différents modes de production ». L’étude se centre plus particulièrement sur ce dernier point, « l’établissement de relations entre le consommateur final et les différents modes de production », en montrant que les consommateurs n’ont pas toujours été, comme on l’imagine trop souvent, asservis au progrès industriel, et qu’ils l’ont même en grande partie façonné par leur pouvoir critique et leur force collective d’intervention. Qu'en sera-t-il désormais avec les technologies informatiques et numériques ?

Vincent Duclert

26 novembre 2010

Des chiens et des humains

Blog chiens 
Sociologue, anthropologue et historien des sciences (laboratoire GEMAS-CNRS), Dominique Guillo est aussi un propriétaire de chien heureux. Il a observé l’attachement qu’il porte à son « fidèle compagnon à quatre pattes » et le risque de subjectivité qu’une telle « chaleureuse présence » peut faire naître « dans nos esprits attendris ou enthousiasmés ». Aussi se décida-t-il de vérifier si le scientifique qu’il est aboutit aux mêmes conclusions relatives à l’humanité du chien. « Pour éviter la célébration un peu fleur bleue, bêtifiante et stérilisante, il me fallait donc porter un regard objectif et distancié. Au risque de conclure éventuellement que le chien est nettement moins intéressant pour le scientifique et le philosophe qu’il l’est pour son maître ou sa maîtresse. » Des chiens et des humains (Le Pommier, coll. « Mélétè », 319 p., 22 €) expose cette enquête savante sur la relation à l’animal, et « les résultats obtenus ont dépassé [les] espérances. En réalité, le chien est pour l’être humain un animal unique au monde. Et son étude en dit beaucoup plus long sur nous que bien des sujets apparemment plus humains ». Dominique Guillo s’inscrit là dans les réflexions tracées par Dominique Lestel dans L’animal est l’avenir de l’homme (voir le billet du 23 novembre). En effet, l’étude du chien (l’auteur justifie la primauté canine de l’homme sur le monde félin sans désespérer néanmoins les maîtres heureux de chats !) invite à effacer la frontière tracée volontiers entre nature et culture : « Des tels animaux sont porteurs d’une authentique subjectivité, quoique différente de la nôtre, et nous entretenons avec eux une réelle vie sociale. En nous obligeant à décentrer notre regard, le détour par le chien constitue une voie particulièrement féconde pour faire ressortir certains traits enfouis de notre psychologie et de notre sociabilité, comme le rôle crucial du malentendu ou la possibilité d’une communication avec des êtres très différents de nous ». L’abondante documentation mobilisée dans ce livre ainsi que l’élégance du raisonnement invitent à le lire et à regarder le chien d’un œil neuf, attentif et conscient. Un bel ouvrage.

Vincent Duclert

 

24 novembre 2010

La chair de l'araignée

Blog all 
L'anorexie, conséquence d'un manque d'adéquation entre l'esprit et le corps? Mauvaise étape à passer pour certains adolescents et jeunes adultes? Incapacité à aimer? Hubert et Marie Caillou, scénariste et dessinateur de La chair de l'araignée (Glénat, 2010, 80 p., 15€) ne choisissent pas. Un garçon et une fille se croisent chez leur psy. Pas besoin d'explication pour savoir ce qu'ils viennent y faire : ils sont aussi maigre l'un que l'autre. Ils sympathisent (ils ont le même indice de masse corporelle, remarque-t-elle!), deviennent co-locataires. On les suit, chacun de leur côté, avec leurs familles. On les y observe en tentant de comprendre l'origine de leur mal. Ils sont artistes, ce qui n'arrange pas les choses : elle joue du piano et chante ; lui est versé dans la sculpture. Les incertitudes et les échecs sont autant de prétextes à des crises de boulimie suivies de vomissements provoqués. Elle semble sauvée quand elle rencontre quelques succès dans son art ; devient femme. Lui assume enfin son homosexualité. Mais rien n'est simple. Il n'y a pas de leçon à tirer de cette histoire sensible. Juste un regard sur une maladie difficile à soigner, et qui peut devenir mortelle.

Luc Allemand

 

23 novembre 2010

L’animal est l’avenir de l’homme

Blog lestel 
Alors que se tient aujourd’hui à Saint-Pétersbourg une conférence internationale pour la sauvegarde du tigre, arrêtons-nous sur le travail du philosophe et éthologue Dominique Lestel, maître de conférences à l’Ecole normale supérieure. Auteur de nombreux ouvrages consacrés au rapport de l’homme et de l’animal, il élabore méthodiquement une anthropologie philosophique de l’humanité pensée dans sa relation avec cet autre-ressemblant. Publiant aujourd’hui un essai dense et médité, L’animal est l’avenir de l’homme (Fayard, 188 p., 16 €), il avertit résolument ses lecteurs : « Les pages qui suivent visent à fournir des munitions et des vitamines pour ceux qui continuent à penser, envers et contre tous, que se soucier des animaux fait intrinsèquement partie de ce que signifie être un humain ». Aussi l’homme prédateur ne fait-il pas seulement que détruire des espèces et la vie, il se mutile et se dévore lui-même. La solution réside, pour Dominique Lestel, dans la construction d’une bioéthique de la réciprocité, une « bioéthique prescriptive » visant à la promotion d’un monde commun où s’établiraient des « relations justes » avec l’animal (loin de toute sacralisation). En tout cas, L’animal est l’avenir de l’homme démontre que le souci de l’animal est une forme supérieure de sagesse humaine. C'était le pari de Lestel.

Vincent Duclert

 

22 novembre 2010

Mer noire

Blog largo 
Voici de la BD à grand spectacle, mais ne boudons pas notre plaisir sur le Blog des Livres. Le tome 17 des aventures du milliardaire tout terrain Largo Winch mérite qu’on s’y arrête. D’abord parce que Mer noire (Dupuis, 48 p., 11,50 €) correspond aux vingt ans de la série et que, de surcroît, l’album multiplie les flash back en direction du premier tome, Le Groupe W, lorsque tout avait commencé pour ce jeune héritier sur les bords du Bosphore, à Istanbul, ou dans un village paisible de la discrète et riche Confédération helvétique. Il est toujours très intéressant de voir comment un scénariste, en l’occurrence Jean van Hamme, s’emploie à retravailler l’histoire qu’il a déroulée depuis vingt ans, comment il tisse des fils entre les albums, et comment le monde imaginé acquiert une profondeur inattendue. La seconde (bonne) surprise tient dans l’évocation de la situation mondiale, à travers un entretien fictif du jeune PDG au magazine Forbes et une longue lettre qu’il adresse à tous ses collaborateurs du Groupe W, alors que la crise financière a, « depuis le second semestre 2008 [...] handicapé durement toute l’économie mondiale ». Le scandale des subprimes est stigmatisé, l’insouciance des banques mondiales critiquée. Mais, écrit Largo, « grâce aux dispositifs que j’ai mis en place, nous allons tenter de limiter la casse. En jouant sur la solidarité. Comme vous le savez sans doute, mon but, en acceptant l’héritage de Nerio Winch, n’était pas de m’enrichir davantage mais bien de préserver l’emploi et la qualité de vie des cinq cent mille travailleurs du Groupe ». Cette solidarité humaine, le héros de Mer noire en aura besoin puisque la holding est victime d’une opération criminelle de déstabilisation financière, sur fond de trafic d'armes et de terrorisme international. Lui-même se retrouve aux Etats-Unis avec « les fédéraux aux fesses », accusé de complicité dans un double meurtre crapuleux. Plongeant dans l’enquête, il parvient à gagner la Suisse. La piste suivie l’entraîne en Turquie, sur les bords de la mer Noire. Et l’album s’achève sur l’image d’un cargo quittant le port de Trébizonde, avec Largo prisonnier à son bord. Le dessin, très cinématographique, de Philippe Francq, restitue à la perfection la tension de l’intrigue et le mouvement des personnages, particulièrement les proches de Largo, sa pilote de jet Silky, ou le flamboyant et gaffeur Simon appelé à la rescousse comme toujours. On attend la suite, évidemment !

Vincent Duclert

 

19 novembre 2010

L'année terrible

Blog fritz 
David Vandermeulen continue sa biographie dessinée de Fritz Haber. Il en est au troisième tome, intitulé Un vautour, c'est déjà presque un aigle (Delcourt, 2010, 160 p., 17,50€). Après les années de formation, et l'établissement institutionnel du chimiste, auxquels les deux précédents volumes étaient consacrés, nous voici en 1915. Année décisive dans la vie de Haber. Il y dirige en effet la première attaque au gaz dans les tranchées d'Ypres, en Belgique ; et son épouse se suicide d'un coup de revolver. Sur le front, le succès de l'arme ne se traduit pas par un avantage décisif de l'armée allemande comme il l'espérait. Pour les généraux, il reste un civil, juif qui plus est, même s'il s'était converti au christianisme. Et sa manière de faire la guerre n'est pas appréciée autant qu'il l'espérait. Il contribue à renforcer l'horreur, sans en tirer de réels bénéfices personnels. En parallèle de sa trajectoire individuelle, on assiste à l'exarcerbation du nationalisme allemand, et à celle d'un antisémitisme qui porte les germes de celui qui explosera dans les années 1930 (et dont Haber sera lui-même victime). Pas de suspens dans ce récit, on connaît le déroulement des événements. Mais une exposition de l'horreur guerrière et sociale. Les peintures de Vandermeulen, c'est vraiment le terme qui convient à chacune de ses cases, s'accordent plus que jamais à l'ambiance oppressante du récit. La mort n'est pas belle, l'idéologie raciste et nationaliste non plus. On en ressort nauséeux. C'est le seul sentiment raisonnable que l'on peut avoir devant de telles réalités. Les savants délirants de "L'homme qui ne voulait pas mourir" sont de doux dingues en comparaison. J'attends avec impatience les deux autres tomes (même si quelques années sans doute seront nécessaire à leur production). Ils développeront toutes les ambiguïtés de Fritz Haber, et son échec final : lui qui avait tant fait pour le prestige de la nation allemande en fut finalement chassé par les nazis. On n'aurait pas osé inventer un tel anti-héros.

Luc Allemand

 

18 novembre 2010

Le populisme climatique

Blog scia 
Le phénomène « climato-sceptique » devrait interpeller tout citoyen s’intéressant à la science. L’existence d’un réchauffement climatique dangereux provoqué par les émissions humaines de gaz à effet de serre est un fait désormais établi depuis une quinzaine d’années par les climatologues, et est continuellement confirmée par un flot incessant de nouvelles observations et découvertes. Or, à mesure que la compréhension des scientifiques progresse, celle du public s’obscurcit, comme en témoignent de nombreuses études. Un paradoxe qui ne concerne pas que la fraction la moins instruite de la population : nombre d’intellectuels, même des scientifiques de valeur, ont récemment exprimé des doutes sur le réchauffement climatique.

Et il y a plus extraordinaire encore : deux acteurs essentiels du débat, Claude Allègre et Vincent Courtillot, convaincus de fraude et de mensonges répétés, sont laissés libres de poursuivre leur action par toutes les institutions scientifiques établies. Pire, le dévoilement de ces mensonges et de ces fraudes n’affaiblit pas leur position médiatique, qui au contraire semble se renforcer sans cesse. Comme le relève Pierre Joliot, académicien et médaille d’or du CNRS dans le livre de Stéphane Foucart, Le populisme climatique. Claude Allègre et Cie, enquête sur les ennemis de la science (Denoël, coll. « Impacts », 315 p., 19 €) : « ce qui se passe actuellement est une évolution sans précédent : [alors qu’autrefois on se cachait pour frauder] nous avons désormais en science des manquements éthiques qui non seulement sont affichés mais aussi justifiés. » C’est donc un véritable drame qui se joue ici –voire une tragédie-, et c’est aussi pour cela que cet ouvrage est si passionnant.

Que l’on soit scientifique, journaliste, ou simple citoyen, un tel constat vaut signal d’alarme. Lorsque l’on aime la science, que l’on estime sa quête rigoureuse de la vérité, que l’on respecte les qualités humaines qu’elle suppose, on ne peut qu’être à la fois médusé et révolté par l’incroyable machine à nier le réel qui s’est ici mise en marche. Une machine qui pour l’instant concentre son pilonnage sur la climatologie, mais s’en prendra à n’en pas douter à d’autres disciplines à l’avenir. Or ce sont précisément les complexes rouages de cette machine à travestir la vérité que Stéphane Foucart s’attache à décortiquer dans ce livre, minutieusement, avec beaucoup de pédagogie, et une impressionnante hauteur de vue.

Naturellement, les mensonges des uns et des autres sont soigneusement expliqués, avec toutes les références nécessaires. (Et pourtant le livre ne vire jamais au monotone inventaire des fautes, gardant au contraire une remarquable tension, même dans les passages les plus arides.) Mais il y a surtout des pages passionnantes sur les motivations des uns et des autres, sur les rivalités des disciplines, sur le jeu des convictions sociales et philosophiques, sur le rôle de l’industrie, la place acquise par la blogosphère dans la fabrique de l’opinion, sur la nouvelle étape dans laquelle la science est entrée avec la prise de conscience des limites de la planète…

Le climat est un extraordinaire concentré des problèmes que soulèvent les rapports entre démocratie, science et société. Il s’y joue une partie dont il est indispensable d’avoir une vue claire, car son issue aura des répercussions énormes non seulement sur l’exercice de notre profession mais sur l’ensemble du champ social. Voilà pourquoi ce livre concerne tous ceux qui ont la science au cœur.

Yves Sciama

17 novembre 2010

La pensée PowerPoint

Blog po 
500 millions de personnes dans le monde utilisent PowerPoint, selon la comptabilité de Microsoft, l’entreprise propriétaire du logiciel créé en 1987. Le journaliste Franck Frommer, spécialiste de la communication sur le web, révèle ces chiffres dans l’introduction de La pensée PowerPoint, un essai énergique sous-titré : « Enquête sur ce logiciel qui rend stupide » (La Découverte, coll. « Cahiers libres », 259 p., 17 €). Ce logiciel de présentation assistée par ordinateur est devenu en une dizaine d’années « le média indispensable pour tout exposé oral, de la petite réunion de travail à la "grand-messe" publicitaire en passant par l’amphithéâtre universitaire. Rarement sans doute un dispositif professionnel a exercé une telle hégémonie sur les principes formes de communication collective humaine que sont l’exposé oral et la réunion ». Une telle domination exigeait une critique d’ensemble que propose cet ouvrage qui défend une idée centrale : l’outil PowerPoint expulse de l’environnement de pensée et de communication ainsi créé l’espace nécessaire de la critique.  Ramener PowerPoint à ce qu'il est, un outil de communication, est une première étape dans le combat du sens auquel s'attache Franck Frommer. Cela s'appelle la distinction.  

Vincent Duclert

16 novembre 2010

L'homme à tête de chou

Blog luc 
La lecture de L'homme qui ne voulait pas mourir (voir le billet du 12 novembre dernier) m'a rappelé que j'avais mis de côté l'an dernier un album de bande dessinée assez proche par la thématique : Macula Brocoli, d'Alexandre Franc et Laurent Alexandre (Champaka, 64 p., 11,90€). Je l'ai relu, et il est, heureusement pour mon moral, moins pessimiste, quoiqu'assez mélancolique.

Soient donc deux frères jumeaux homozygotes. Edgar, est technophile, amateur de femmes, en recherche incessante de progrès ; Edmond, préfère travailler à la bibliothèque, lire Tocqueville, dont il cite la sagesse à longueur de page. Il aurait aussi voulu aimer Claire, mais Edgar, abusant de leur ressemblance, a pris sa place, et la jeune femme est partie. Jusque là, tout est classique (les auteurs ont-ils lu Les météores, de Michel Tournier? On pourrait le croire). Mais la technique entre en scène : dans ce futur peut-être pas si lointain, l'assurance maladie exige que chacun fasse séquencer son génome, afin de connaître les maladies auxquelles il est prédisposé. Il sera ainsi à même de s'en prémunir en prenant des mesures adéquates. Edmond refuse, mais Edgar accepte avec enthousiasme. Leur identité gémellaire les lie : ils ont tous deux un gène de prédisposition à la dégénérescence maculaire liée à l'âge (une maladie oculaire). Leurs destins vont pourtant se séparer. Tandis qu'Edmond accepte le risque et tente de vivre sans Claire, Edgar recourt à la technique une fois de plus. Grâce à la thérapie génique, il se fait ajouter un gène de brocoli, qui produit de la lutéine, protéine censée le protéger de la maladie. Puis il subit un traitement qui ralenti son horloge biologique : il vieillit si lentement qu'il a à peine plus de 30 ans alors que son frère dépasse les 60.

Le récit ne choisit pas entre les deux frères. Chacun exprime des valeurs différentes, antagonistes même, en citant, finalement, le même Tocqueville. Le lecteur est renvoyé à ses propres choix, en fonction de ses convictions ou de son expérience. Un livre que l'on pourrait faire lire (le style est adapté) à de grands adolescents. Ceux-ci seront, sans nul doute, confrontés à des situations proches de celles qui y sont évoquées. Et ils devront faire des choix, collectifs et individuels.

Luc Allemand

15 novembre 2010

Vitesses limites

Blog vitesses 2 
L’ère informatique et les technologies numériques ont bouleversé les processus de recherche et transformé le quotidien des existences dans les sociétés développées, celles qui disposent de l'accès à ces nouveaux outils. L’information, sa production autant que sa diffusion, est entrée dans un âge complet de l’immédiateté. Ainsi ce billet, sitôt écrit, sera publié sur le site du Blog des Livres de La Recherche. La vitesse modèle le monde, le travail, l'art, l'amour, l'imaginaire. Il est nécessaire et légitime d’en interroger le sens, comme l’ont fait plusieurs colloques dont les communications ont été retravaillées pour constituer la livraison 2009 du Genre humain (n°49, Le Seuil, 139 p., 15 €). Y figurent des auteurs aussi différents que la philosophe Catherine Malabou ou le physicien et épistémologue Jean-Marc Lévy-Leblond. Le collectif débute sur une « Ouverture (rapide) » d’Alain Fleisher ; celle-ci tente de circonscrire un objet qui échappe et qui, en même temps, domine jusqu’à la réflexion même. Pour comprendre la vitesse et son effet sur le monde, il faut s'intéresser à ses marges, à ses emballements, prévient le préfacier : « La vitesse est menaçante aussi lorsqu’elle produit de l’éphémère : ce qui passe trop vite. Mais on pourrait imaginer une vitesse qui dure, qui n’en finisse pas, et qui ne soit pas une condition pour atteindre plus rapidement un point final, mais un élément constitutif, sans lequel quelque chose ne se produirait pas, ou n’existerait pas : être doué de vitesse ou périr, disparaître ». Suspendant cet état permanent de vitesse, un ouvrage comme celui du Genre humain propose un espace qui instaure un temps autre, choisi, construit, celui de la réflexion et du débat. Les technologies numériques, toute entière fondées sur la vitesse, induisent aussi des effets qui figent le temps. Par exemple l’extension considérable des espaces de conservation des données. Tous les billets de ce Blog des Livres sont ainsi archivés et aussitôt consultables, pour les les lire ou les relire.

Vincent Duclert