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06 novembre 2011 | 

Séquence SF. Des abysses au maelström

Blog ivan
Á la fin de Starfish, on avait laissé Lenie Clarke et ses collègues « Rifteurs » (transformés en hommes-poissons par ingénierie cybernétique et génétique pour travailler dans les grandes profondeurs) dans la faille où ils devaient assurer la maintenance d’une installation électrique. Dans Rifteurs (ou Maelström dans son titre original, et plus pertinent !), second volet de sa trilogie Rifters, le maître Canadien de la SF et biologiste marin Peter Watts quitte les oppressantes immensités océaniques pour un air « libre » à peine plus respirable (traduit de l'anglais-Canada par Gilles Goulet, Fleuve noir, 363 p., 24 €).

Donc Lenie Clarke, vénus cyborg sortie des eaux, revient, et elle n’est vraiment pas contente. Il y a de quoi : elle vient d’échapper à une explosion nucléaire sous-marine et au tsunami qui s’est ensuivi, et sait qu’elle a failli être sacrifiée à un intérêt supérieur dont elle ne connaît pourtant pas encore le visage et les raisons. Elle ignore qu’elle porte en elle l’apocalypse même qui avait motivé ce sacrifice : un micro organisme issu des fosses abyssales. Baptisée ßéhémoth, la petite bête, capable d’anéantir toute autre forme de vie sur terre par simple parasitisme métabolique, s’avère bien plus redoutable que son homonyme biblique : verra-t-elle le triomphe de la "vie 2.0" (Starfish) au détriment de toute la biosphère telle que nous la connaissons ?

Après les gigantesques créatures des ténèbres qui hantaient les grands fonds marins — effet secondaire ou « dégât collatéral » de ßéhémoth — Watts nous plonge dans un monde gouverné par le « Maelström », extension tentaculaire et incontrôlable de ce qui fut jadis l’internet. Plus que les tableaux post apocalyptiques des conséquences du changement climatique — et du tsunami provoqué pour enrayer la propagation de ßéhémoth — dont l’étrange familiarité devrait néanmoins nous inquiéter, c’est la plongée dans cette jungle virtuelle qui fascine dans ce second volet. Peuplé d’entités numériques, intelligences artificielles auto-réplicantes et autres « gels intelligents », ce cybermonde monstrueux est devenu le théâtre d’un darwinisme accéléré et impitoyable, où des prédateurs binaires dévorent de l’octet avec une voracité qui ferait pâlir les êtres de chair les plus gloutons !

L’humour très particulier, l’écriture percutante et la rage désabusée du Canadien frappent encore dans ce second opus de sa trilogie, où il se plaît à nous empêtrer, à la suite de ses personnages, dans des contradictions angoissantes. Sous un habillage de hard SF assez classique et parfois pesant, il pose des questions brûlantes sur les choix géopolitiques et écologiques, et l’importance de les assumer sans s’en remettre aux machines à calculer — car ces dernières font somme toute partie intégrante de l’équation qui leur est posée, la « cybersphère » devenant une extension de la biosphère menacée et de son passager humain. Dans un univers qui semble avoir cherché à évacuer la responsabilité, le libre arbitre et la culpabilité qui l’accompagne, Watts nous invite au courage de la décision, dans toute son indécidable gravité. En revanche, on pourrait lire dans sa description d’un mouvement de révolte apparemment spontané, véhiculé par le Maelström et cristallisé — à son corps défendant — sur de la personne de Lenie Clarke, une critique vis-à-vis du potentiel subversif d’internet, que les révolutions arabes récentes ont quelque peu démentie depuis la parution du livre dans sa version originale en 2001.

Quant à son exploration des traumatismes psychiques et de leurs conséquences — chez les personnages de Watts l’enfer est aussi, et peut-être avant tout, intérieur : celui de la mémoire, de l’enfance… —, Maelstrom pousse encore d’un cran la dérangeante perversité de Starfish : si les victimes d’abus s’avèrent si résistants dans les conditions de vie inhumaines des fosses abyssales, pourquoi ne pas forger de toutes pièces ces traumas infantiles, et recréer leur passé comme on a modifié leurs poumons ? Ou comment un biologiste marin érudit mais salement torturé plonge dans l’eau salée des abysses pour y pêcher les monstres qui hantent le psychisme humain et l’imaginaire postmoderne.

Ivan Kiriow

 

02 novembre 2011 | 

L'empire de la valeur. Refonder l'économie

Blog orléan
Alors que la zone euro replonge une nouvelle fois dans la crise financière, il apparaît urgent de redonner au système économique des fondements solides et, pourquoi pas même, vertueux. Pour cela, explique l’économiste André Orléan dans un essai très argumenté et courageux qui fera date, il convient de lancer un vaste mouvement de connaissance de pans entiers de l’économie mondiale et de processus économiques qui restent à ce jour ignorés. « La crise l’a démontré avec éclat », souligne ce directeur de recherche au CNRS et directeur d’études à l’EHESS, déjà auteur aux éditions de la Rue d’Ulm de Penser la crise financière. De l’euphorie à la panique (2009). Mais d’ajouter aussitôt, au terme de l’introduction de L’Empire de la valeur (Le Seuil, coll. « 343 p., 23 €) : « Cependant cette exigence de refondation vaut par-delà la crise. Elle n’est nullement liée aux circonstances. Elle est une nécessité absolue si l’on veut que nos sociétés accèdent à une meilleure connaissance d’elles-mêmes. » Cette exigence de connaissance critique commence par la discipline de l’économie elle-même. Comme le souligne l’auteur dans son livre au sous-titre programmatique, « Refonder l’économie » doit s’entendre ainsi. L’examen de conscience de l’économie s’impose avant toute refondation du système économique. « Alors qu’elle aurait dû être un guide pour nos sociétés, les conduisant vers plus de rationalité et de clairvoyance, elle s’est révélée être une source de confusion et d’erreur. En son nom a été menée une politique suicidaire de dérégulation financière sans que jamais l’ampleur des dangers encourus n’ait fait l’objet d’une mise en garde appropriée. Au lieu d’éveiller les esprits, elle les a endormis ; au lieu de les éclairer, elle les a obscurcis. Le discrédit qu’elle connaît aujourd’hui auprès de l’opinion publique est à proportion de cette faillite : extrême. Face à cette situation sans précédent, face aux virulentes critiques dont ils sont l’objet, la réaction des économistes étonne par sa timidité ». Et André Orléan de situer son propos : « Le présent livre propose de rompre avec cette timidité ». C’est-à-dire de proposer une refondation de l’économie. Ce type d’ambition intellectuelle et scientifique est essentiel.

Vincent Duclert

28 octobre 2011 | 

Blog l'anarque
Vice-président du tribunal de grande instance d’Orléans, enseignant à Sciences-Po Paris et auteur en 1998 aux éditions Stock de Un monde sans lois. La criminalité en images, Jean de Maillard a publié il y a près de deux ans un essai sur la crise des subprimes intitulé L’arnaque. La finance au-dessus des lois et des règles (Gallimard, coll. « Le débat », 305 p., 18,50 €). A l’heure où le président de la République Nicolas Sarkozy lui-même a vertement critiqué, hier jeudi 27 octobre, les banques et leur responsabilité dans la crise européenne, l’ouvrage conserve toute son actualité. La conclusion de L’arnaque s’achevait sur le constat d’une déresponsabilisation des banques propices à des prises de risques toujours plus hasardeuses…

Vincent Duclert

 

 

 

26 octobre 2011 | 

Passions révolutionnaires au Moyen-Orient

Blog hamit
Reposant sur une lecture du Passé d’une illusion de François Furet pensé comme « une énigme révolutionnaire », les Passions révolutionnaires (EHESS, coll. « Cas de figure », 191 p. 14 €) d’Hamit Bozarslan, Gilles Bataillon et Christophe Jaffrelot, - et largement coordonné par le premier qui signe pas moins de quatre contributions ! – était à peine terminé d’être composé qu’intervenait en Tunisie le premier acte du « printemps arabe ». Le sociologue et historien du Moyen-Orient soulignait dans la présentation du livre plusieurs des caractéristiques de ce mouvement révolutionnaire soudain dans un sous-continent qui n’en avait jamais manqué, à savoir l’absence des islamistes qui occupaient pourtant « le haut du pavé dans le monde arabe depuis des décennies ». Et le chercheur de fixer les données premières d’une révolution qui se qualifia de « démocratique » : « Déclenchée après l’immolation par le feu du jeune diplômé-chômeur Mohammed Boazizi, dont l’étalage à la sauvette avait été confisqué, elle fut une émeute du pain et de la brouette avant de devenir celle des intellectuels. [...] Contrairement aux grandes révolutions du passé, française, russe ou iranienne, et peut-être parce qu’elle allait de pair, dans ses premiers jours du moins, avec une révolution de palais et une restauration, la contestation tunisienne ne brandit pas l’ "étendard sanglant" contre ses tyrans. Mais elle montra combien désormais c’était la rue, et non pas le pouvoir, qui monopolisait le droit de définir amis et ennemis ainsi que celui d’exiger sanction et vengeance. Les foules qui investirent l’espace de visibilité, occupé encore récemment entièrement par le pouvoir (et les touristes) firent "corps" contre le corps de l’Etat, pour se constituer en société par la mobilisation et avec la volonté de surmonter la peur. Ici, comme dans d’autres contextes révolutionnaires, on assista à l’émergence d’un régime de subjectivité particulier, grave, sombre, marqué par l’attente de l’imminence d’une délivrance ».

On le découvre maintenant, le nouveau stade de cette délivrance réside désormais dans l’instauration d’un pouvoir islamiste dit « modéré », celui qui est sorti du premier scrutin libre jamais organisé en Tunisie et bientôt en Egypte ou en Libye. Les acteurs populaires et intellectuels qui ont fait le « printemps arabe » ont tout lieu d’être inquiets et amers, à la fois parce que ce type de pouvoir « islamiste modéré » s’attaque aux libertés individuelles sous couvert de moralisation de la société ou de soumission de l’armée (c’est le cas en Turquie, le modèle pour ces « islamistes modérés » arabes) et parce que leur révolution apparaît confisquée par des forces qui n’y ont pas participé même si elles avaient été combattues par les régimes renversés.

Cependant, il faut se garder d’imaginer que la Tunisie ou l’Egypte (pour la Libye, le cas est différent car les islamistes ont formé le gros des bataillons rebelles) vont suivre un scénario à l’iranienne. En effet, le pouvoir islamiste qui va agir dans ces pays n’est pas directement issu de la révolution libératoire et ne peut donc s’en prévaloir comme en Iran où révolution, religion, Etat et pouvoir politique ne firent qu'un (jusqu'à ces dernières années où civils et religieux finirent par s'affronter). La dimension démocratique du « printemps arabe » va gêner continuellement les islamistes locaux qui ne pourront faire abstraction, aux yeux de leurs opinions publiques (et même de leur propre opinion), de l'origine ambivalente de leur pouvoir, origine impure même du point de vue de l’orthodoxie révolutionnaire. Ils seront toujours dans la situation d'un Louis-Philippe ayant confisqué les « Trois Glorieuses » de juillet 1830. Certes, la consécration des urnes leur donne une légitimité que n'avait pas le monarque français. Il n'empêche, il faudra un temps indéfini pour faire oublier que les dirigeants de demain ne sont pas les héros d'aujourd'hui. A l’inverse, ces derniers, futurs opposants laïcs, pourront toujours invoquer, dans les affrontements qui ne manqueront pas d'intervenir, cette identité révolutionnaire, démocratique et endogène.

Le devoir de l’Europe est de défendre l'intégrité d’un espace public de critique, de controverse et de débats démocratiques. C’est respecter la nature des ces révolutions arabes dont la caractéristique première est d’être révolutionnaire, c’est-à-dire, il faut le rappeler à la suite de Bozarslan, imprévisible. Le résultat contre-nature des urnes tunisiennes appartient peut-être aussi à ce registre de l’imprévisibilité. Il découle également de faits structurels, dont ces représentations collectives qui font de la laïcité et des droits de l’homme une importation occidentale. Ce biais est incontestablement faux et injuste, en témoignent par exemple les combats des intellectuels turcs en faveur des droits individuels et des libertés fondamentales qui forgent des identités patriotiques revendiquées. Mais il provient de l’instrumentalisation par les régimes précédents de dictature de telles valeurs. Il découle aussi de la présence, dans ces sociétés, de visions très négatives de l’Occident et de l’identification qui est faite entre lui et ces valeurs alors rejetées ou stigmatisées. Il est vrai que l'Occident, par son ignorance des sociétés moyen-orientales, a tout fait pour engendrer cette indentification négative. Cependant, que ces valeurs aient été défendues et acculturées lors du « printemps arabe » ne pourra pas être oublié de sitôt, à l’heure d’Internet, des cultures mémorielles et des réseaux sociaux. Et cela parce qu'elles correspondent à des représentations sociales profondes comme l'on montré, une nouvelle fois, le « printemps arabe ». Les islamistes vont devoir composer avec tout cela, et ce n'est pas rien !

Vincent Duclert

 

 

 

22 octobre 2011 | 

Le doux monstre de Bruxelles

Blog hans
Encore un week end de tous les dangers pour l’Union européenne et la zone euro. Les critiques contre l’Europe de Bruxelles se multiplient, certaines au nom de l’Europe elle-même et de l'idée démocratique dont elle a pu être porteuse dans le passé et qu’ignorent aujourd'hui les institutions communautaires. Le grand écrivain allemand Hans Magnus Enzensberger, auteur notamment de Hammerstein ou l’intransigeance chez Gallimard en 2010, signe chez le même éditeur un court essai dans lequel il souligne « le problème central de l’Union ». Ce problème, « on le désigne par un euphémisme, le "déficit démocratique" : il est considéré comme une maladie de carence, chronique et manifestement difficile à traiter, qu’à la fois l’on déplore et l’on minimise. Pourtant, cela n’a rien d’une énigme médicale, c’est bien plutôt une décision de principe parfaitement délibérée. Comme si les luttes constitutionnelles des XIXe et XXe siècles n’avaient jamais eu lieu, le conseil des ministres et la Commission se sont mis d’accord dès la fondation de la Communauté européenne pour que la population n’ait pas son mot à dire sur leurs décisions. [...] Ce déficit n’est donc rien de plus qu’une formulation distinguée pour dire la mise sous tutelle politique des citoyens ». Cette situation de dépendance est d'autant plus paradoxale que les Etats nationaux tentent, encore, de maintenir des processus démocratiques dans leurs Etats et leurs sociétés. Il est fort probable que les citoyens grecs manifestent aussi contre cette dépossession d’un bien politique.

Traduit par Bertrand Lortholary, Le doux monstre de Bruxelles ou l’Europe sous tutelle paraît en « hors série connaissance » le 27 octobre prochain (87 p., 7,50 €).

Vincent Duclert

 

 

 

19 octobre 2011 | 

Pour en finir avec le nucléaire

Blog nucl
Hier 18 octobre, au Cabaret Sauvage (sic) porte de la Villette à Paris, la candidate à l'élection présidentielle d’Europe Ecologie Les Verts a rappelé que la sortie du nucléaire était l’une des conditions non négociables (avec l'arrêt du chantier de l’aéroport de Nantes à Notre-Dame-des-Landes) à un accord avec le parti socialiste. Eva Joly doit du reste s’envoler aujourd’hui pour le Japon et le site de Fukushima. Emporte-t-elle dans ses valises l’essai de

Benjamin Dessus et Bernard Laponche, En finir avec le nucléaire. Pourquoi et comment, paru au Seuil au début de ce mois (175 p., 13 €) ? Il est probable, car l’ouvrage, conçu par un ingénieur des télécommunications, économiste, président de l’association d’experts indépendants Global Chance, et par un ancien ingénieur au CEA, ancien conseiller technique auprès de Dominique Voynet, aujourd’hui consultant sur les questions énergétiques, est fort bien fait. Le magazine La Recherche en a même fait son prochain livre du mois. Encore un peu de patience avant de découvrir cette lecture autorisée. D’ici-là, le livre est dans toutes les bonnes librairies et certainement en guest star au Cabaret Sauvage !

Vincent Duclert

 

 

17 octobre 2011 | 

Les conférences de Morterolles

Blog corbin
Le succès des primaires citoyennes/socialistes en France, avec plus de 2,7 millions de votants, démontre que l’appétit des Français pour la participation en politique n’a pas fléchi. Peut-être que le fameux « désenchantement démocratique » tenait davantage au fait que les consultations auxquelles les Français étaient appelés ne permettaient précisément pas cette participation, ne transmettaient pas ou plus l’idée d’une capacité individuelle et collective au choix. Cette appétence pour la politique, ou plus exactement pour l’expérience politique, pour le débat et la compréhension des enjeux présents, on la doit peut-être aux espaces sociaux créés par telles conférences populaires de la fin du siècle avant-dernier. Alain Corbin en a évoqué l’histoire dans un petit livre fort bien fait, Les conférences de Morterolles, hiver 1895-1896. A l’écoute d’un monde disparu (Flammarion, 199 p., 19 €). « M. Beaumont était un instituteur zélé, explique l’historien. Devançant un désir à peine formulé par ses supérieurs, il a, durant l’hiver 1895-1896, donné dans son école de Morterolles une série de dix conférences destinées aux adultes. M. Beaumond était un instituteur talentueux. A l’évidence, il passionnait son auditoire. Près d’une moitie des hommes et un quart des femmes de la commune sont venus l’entendre, sans que leur désir faiblisse au cours de cet hiver ». Pour Alain Corbin, s’intéresser à ces conférences permet de « tenter d’imaginer l’appétit de savoir qui poussait des cohortes obscures à venir l’entendre, dans les nuits froides de l’hiver ». Une telle formation, qui allait du patriotisme aux bienfaits du travail, de Madagascar à Valmy, de Charlotte Corday à Jeanne d’Arc, ne faisait pas seulement que transmettre des savoirs, ceux-là mêmes dont la République recherchait la promotion afin de mieux « s’enraciner » dans le pays selon l’expression consacrée. Car toute transmission intellectuelle, du moins dans ces cadres, favorise aussi l’éveil de l’esprit critique, le souci de valeurs communes et l’intérêt pour la participation politique. On le sait, ce mouvement des conférences et des universités populaires ont contribué à ce que le pays ne bascule pas dans le nationalisme antidémocratique et xénophobe quand éclata l’affaire Dreyfus, deux ans seulement après ce cycle des conférences de Morterolles. Le monde disparu était encore bien vivant, et le reste, sous d'autres formes seulement....

Vincent Duclert

13 octobre 2011 | 

Une brève histoire de la modernité

 Blog charle
Les 14e Rendez-vous de l’Histoire de Blois ont ouvert leurs portes aujourd’hui 13 octobre (et jusqu’à dimanche 16 octobre), avec pour thème, « L’Orient ». De nombreuses études paraissent à cette occasion dont celle de Christophe Charle, dans la lignée de ses travaux sur l'Europe des capitales culturelles, Discordance des temps. Une brève histoire de la modernité (Armand Colin, coll. « Le temps des idées », 494 p., 29,90 €). Baudelaire, à qui l’on doit en 1859 le néologisme * à travers une redéfinition de l’ordre des temps, a accompagné l’avènement de la « jeune peinture » esquissée par Delacroix, travaillée par Courbet, magnifiée par Manet. Baudelaire a pu souvent être critique, notamment de Courbet et sa peinture trop réaliste et même triviale selon lui. Mais l’auteur des Fleurs du mal, comme ensuite Zola, Mallarmé, et plus tard Huysmans, Mirbeau ou Apollinaire, témoignait, durant ces décennies picturales, « dans ce combat de la modernité contre la tradition, des alliances décisives entre champ littéraires et champ artistique ». Ce dossier des peintres et des écrivains construisant la modernité en art constitue un chapitre particulièrement riche et éclairant de l'oeuvre de l'historien. Ces artistes mirent de « l'orient » au coeur de Paris capitale et sur toutes ses marges.

Vincent Duclert

* « La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable » (cité p. 18).

10 octobre 2011 | 

Confiance et violence

Blog jan 
La primaire socialiste dite « citoyenne » a suscité beaucoup d’analyses soulignant la capacité du candidat de gauche ainsi désigné à restaurer la « confiance » qui permettrait dès lors à la société française d’affronter la crise et d’en assumer les conséquences. La confiance viendrait repousser la « violence » de la crise et des politiques dites libérales visant à la juguler. « Confiance «  et « violence » sont justement au cœur de la réflexion du chercheur Jan Philipp Reemtsma, philologue, professeur de littérature allemande à l’université de Hambourg et fondateur de l’une des plus importantes fondations européennes pour les sciences sociales, le Hamburger Institut für Sozialforschnung. Il publie aux éditions Gallimard, jeudi 13 octobre, la traduction française (par Bernard Lortholary) d’une somme rédigée en 2008, Confiance et violence. Essai sur une configuration particulière de la modernité (coll. « Nrf essais », 591 p., 29,50 €). Mettant en question l’idée selon laquelle la modernité européenne aurait banni la violence de son univers – il suffit de considérer ses manifestations extrêmes au XXe siècle -, Jan Philipp Reemtsma souligne qu’en dépit d’un tel constat tragique, notre confiance est néanmoins durable en cette modernité. Comment penser cette divergence ? Tel est le sujet de ce grand livre.

Vincent Duclert

06 octobre 2011 | 

Mythologies de Jobs

Blog barthes 
Steve Jobs est décédé cette nuit. Sans lui et son pari sur la technologie informatique, le monde numérique n’aurait pas la dimension qu’il a aujourd’hui. Bien qu’écrivant sur un PC (je le confesse…), je mesure ce que le charismatique patron d’Apple a apporté, non seulement à l’intelligence des objets informatiques mais aussi à la post-modernité industrielle où les firmes construisent désormais, non seulement des biens matériels mais aussi les mythologies qui leur sont associées. L’iPod, ce baladeur numérique d’Apple conçu par Steve Jobs et lancé le 23 octobre 2001, en est un bon exemple. Il figure du reste dans la liste des nouvelles mythologies établies par Jérôme Garcin pour succéder aux Mythologies de Barthes. Angie David, qui a signé l’article dans les Nouvelles mythologies (Seuil, 2007, 14 €) confesse que « l’iPod est une chose sacrée – mythologique – même si son contenu est profane. Avec mon ordinateur, il est l’objet dont je suis le plus amoureuse. Je passe des heures à le remplir. [...] Collectionner de la musique est un geste souverain : la preuve d’une culture aussi vaste que pointue » (p. 50). Les objets high tech inventés par Steve Jobs ont en ceci de commun que leurs acheteurs/propriétaires peuvent se les approprier jusqu’à les transformer en icônes. A chaque exemplaire de série, un usage qui renvoie aux identités les plus profondes des personnes et à leur désir d’expression de soi. Au fond, plus encore que des mythologies, Steve Jobs a rendu possibles des univers personnels, des espaces de liberté, à conquérir grâce au choix technologique de mise à disposition de capacités quasi-illimitées de stockage et de traitement des données. Et cela, pour le plus grand bonheur des actionnaires d’Apple ! Le génie de Steve Jobs fut de faire d'Apple une machine à transformer le profane en sacré, le banal en exception, l'apparence en identité. Et si Apple n'était finalement qu'une vaste boite de pub dissumulée derrière un fabricant d'informatique ? C'est ignorer que Jobs inventa les objets avant de les parer de vertus ontologiques. C'est un ingénieur qui voulut, non pas répondre aux attentes des sociétés, mais réveiller celles qui étaient enfouies au plus profond des âmes d'enfants. 

Vincent Duclert