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08 juin 2012 | 

La fabrication d’une icône mathématique

Blog galois ehess
Nous avons rendu compte, cette année, de la biographie d’Evariste Galois par Norbert Verdier (Galois. Le mathématicien maudit, Belin-Pour la science, 144 p., 18 €). Voici qu’une historienne des mathématiques, Caroline Ehrhardt, chargée d’études à l’Institut français de l’éducation (ENS de Lyon), se saisit de cette « icône mathématique » et de sa fabrication dans l’histoire (Evariste Galois. La fabrication d’une icône mathématique, Editions de l’EHESS, coll. « En temps & lieux », 301 p., 28,50 €). Elle mène une histoire sociale des mathématiques qui dépasse le cadre de la biographie pour mieux revenir à Galois lui-même et le comprendre (« Devenir mathématicien en 1830 »). Caroline Ehrhardt montre comment se constitue une double mémoire, scientifique et politique du mathématicien républicain. La mémoire mathématicienne de Galois procède aussi de sa vocation à la philosophie des mathématiques. Cette reconnaissance intervient dans le milieu intellectuel parisien des années 1900 qui le fait entrer dans la catégorie des « mathématiciens-penseurs ». Des scientifiques (Henri Poincaré, Jules Tannery, Paul Tannery) et des philosophes (Xavier Léon, Louis Couturat, Léon Brunschvicg), liés par l’amitié et le rayonnement d’Emile Boutroux, titulaire de la chaire d’histoire  de la philosophie moderne, font de l’histoire « un outil pour comprendre la pensée scientifique contemporaine ». Avec le travail de Caroline Ehrhardt, « l’histoire des mathématiques a ainsi gagné en épaisseur, en densité, en variabilité, non seulement pour les sciences sociales mais encore pour les mathématiciens spécialisés eux-mêmes », écrit son préfacier Eric Brian.   

Vincent Duclert

 

La fabrication d'une icône mathématique

Nous avons rendu compte, cette année, de la biographie d’Evariste Galois par Norbert Verdier (Galois. Le mathématicien maudit, Belin-Pour la science, 144 p., 18 €). Voici qu’une historienne des mathématiques, Caroline Ehrhardt, chargée d’études à l’Institut français de l’éducation (ENS de Lyon), se saisit de cette « icône mathématique » et de sa fabrication dans l’histoire (Evariste Galois. La fabrication d’une icône mathématique, Editions de l’EHESS, coll. « En temps & lieux », 301 p., 28,50 €). Elle mène une histoire sociale des mathématiques qui dépasse le cadre de la biographie pour mieux revenir à Galois lui-même et le comprendre (« Devenir mathématicien en 1830 »). Caroline Ehrhardt montre comment se constitue une double mémoire, scientifique et politique du mathématicien républicain. La mémoire mathématicienne de Galois procède aussi de sa vocation à la philosophie des mathématiques. Cette reconnaissance intervient dans le milieu intellectuel parisien des années 1900 qui le fait entrer dans la catégorie des « mathématiciens-penseurs ». Des scientifiques (Henri Poincaré, Jules Tannery, Paul Tannery) et des philosophes (Xavier Léon, Louis Couturat, Léon Brunschvicg), liés par l’amitié et le rayonnement d’Emile Boutroux, titulaire de la chaire d’histoire  de la philosophie moderne, font de l’histoire « un outil pour comprendre la pensée scientifique contemporaine ». Avec le travail de Caroline Ehrhardt, « l’histoire des mathématiques a ainsi gagné en épaisseur, en densité, en variabilité, non seulement pour les sciences sociales mais encore pour les mathématiciens spécialisés eux-mêmes », écrit son préfacier Eric Brian.   
Vincent Duclert



05 juin 2012 | 

Avec le nucléaire

Blog prévot
Les éditions du Seuil avaient publié l’année dernière l’ouvrage de Benjamin Dessus et Bernard Laponche, En finir avec le nucléaire. Pourquoi et comment (175 p., 13,20 €) qui avait eu les honneurs du Livre du mois de La Recherche au mois de septembre 2011. La question du nucléaire avait été l’un des points saillants de la campagne, la droite attaquant l’irresponsabilité du candidat François Hollande et ce dernier défendant une vision raisonnée d’une réduction de la part du nucléaire dans l’électricité française. Voici que Le Seuil publie aujourd’hui un plaidoyer dû à un ingénieur des Mines spécialiste des questions de sécurité économique, de politique d’énergie et de lutte contre les effets de serre. Avec le nucléaire (220 p., 17 €), Henri Prévot plaide pour un « choix réfléchi et responsable » résultant de la prise en compte de toutes les contraintes énergétiques et écologiques mais aussi les questions politiques, « la construction européenne, les relations avec les pays en développement, la compétitivité industrielle de notre pays dans la concurrence mondiale, l’attitude à l’égard du progrès technique, le rapport à la nature, aux générations suivantes, la place de notre pays dans le monde… ». Et de proposer, non de réduire ou de stabiliser la capacité nucléaire française, mais de l’ « augmenter [...] dans les trente ou quarante années à venir, c’est-à-dire de décider dès maintenant de construire deux EPR par an ». Nul doute que ce nouvel ouvrage sur le nucléaire nourrira un débat déjà largement engagé. 

Vincent Duclert  

 

03 juin 2012 | 

Le français, langue scientifique en Roumanie

Blog bookf
Chacun sait que la Roumanie est historiquement un pays très accueillant pour les Français, où francophonie et francophilie se portent très bien. Des institutions tant roumaines que françaises soutiennent et valorisent de telles dispositions de départ. La France est ainsi le pays invité du Salon du livre qui s’achève à Bucarest aujourd'hui. Jeudi avait débuté dans ses murs un cycle sur les sciences humaines avec, notamment, plusieurs tables rondes de spécialistes roumains et français (ces derniers ayant fait le déplacement) sur Pierre Bourdieu dont l’œuvre est en cours de traduction en roumain. L’Institut français de Roumanie, sous la houlette de son directeur Stanislas Pierret, a fortement soutenu la présence française au « Bookfest » et s’apprête à contribuer de la même manière à la venue, l’année prochaine en France, d’écrivains et de chercheurs roumains – futurs invités au Salon du livre à Paris dont le pays choisi est précisément la Roumanie.

Un autre diplomate, Fabien Flori, est en charge de la coopération universitaire et scientifique laquelle se développe également fortement sur la base d'importantes ressources roumaines de départ et d'initiatives souvent décisives. On peut citer la Faculté des sciences politiques de l’Université de Bucarest, qui a créé une licence enseignée en français et qui vient d’ouvrir un master commun avec l’Ecole des hautes études en sciences sociales, ou bien que le New Europe College/Institut d’études avancées qui assure un soutien déterminant à la recherche en sciences sociales. Un colloque international sur les guerres balkaniques (1912-1913) s'y est tenu sous la direction d'une équipe franco-roumaine (Catherine Durandin, Silvia Marton, Jean-Jacques Becker, Florin Turcanu) et, chose désormais si rare, le français était la langue scientifique durant ces deux jours travail.

Le NEC en publie ensuite les actes, dans des volumes remarquablement édités, en français bien sûr, comme cette Grande Guerre. Histoire et mémoire collective en France et en Roumanie (2010, 120 p.) sous la coordination d’un historien roumain (Florin Turcanu) et d’un historien français (Christophe Prochasson). La recherche et le livre sont donc très actives en Roumanie, pour le plus grand bénéfice du français, et parce que des hommes et des femmes choisissent de s’y impliquer avec une grande générosité et une belle efficacité. 

Vincent Duclert

01 juin 2012 | 

Le suicide en France au XVIIIe siècle

Blog godineau
La fin du long week-end de la Pentecôte a été marquée par d’importants problèmes ferroviaires dus essentiellement à un nombre particulièrement élevé de suicides commis sur les voies, 12 au total lundi 28 mai, un nombre qui rappelle qu’en France, chaque année, 12 000 personnes choisissent de se donner la mort dont une bonne part pour attirer l’attention de la société sur leur sort. Les spécialistes ont souvent souligné ce paradoxe entre la décision de rompre le lien social et un acte qui tend désespérément vers sa préservation.

Le suicide a sa sociologie inaugurée par l’étude canonique d’Emile Durkheim en 1897. Il a aussi son histoire à laquelle Dominique Godineau vient d’ajouter une page importante avec sa recherche sur Le suicide en France au XVIIIe siècle (Armand Colin, 336 p., 24 €). Alors que le suicide reste considéré comme un crime puni de procès et de châtiment (en 1774, on pend encore par les pieds les cadavres des suicidés), le siècle des Lumières s’attache aussi à tenter de comprendre l’acte de « s’abréger les jours ». Du reste, Dominique Godineau constate que c’est au tournant des années 1780-1790 que le verbe se suicider apparaît sporadiquement dans les archives. Une étude ample, méthodique et, en résumé, nécessaire. 

Vincent Duclert  

30 mai 2012 | 

Cousu de fil rouge

Blog sophie
On connaît les récits décrivant, du point de vue français, la mode des voyages en Union soviétique, des années 20 aux années 1980, le plus célèbre d’entre eux étant sans conteste le Retour d’URSS d’André Gide sorti dans les librairies françaises en novembre 1936. Cette mode est une énigme comme le fut la fascination d’une partie des élites intellectuelles, artistiques et scientifiques, pour la « patrie du socialisme ». Pour tenter de mieux comprendre le « pèlerinage à Moscou », deux spécialistes des mondes soviétiques, Sophie Coeuré et Rachel Mazuy, aidées de deux traductrices, archivistes aux Archives de l’Etat de la Fédération de Russie, ont édité dans un passionnant volume du CNRS Editions (coll. « Mondes Russes », 381 p., 25 €) ces Voyages des intellectuels en Union soviétique saisis du côté des hôtes et organisateurs grâce à l’exploitation de trois fonds d’archives, ceux de la Société panrusse pour les relations culturelles avec l’étranger (VOKS), du ministère de l’Education, et de l’Intourist. Méticuleusement présentés, ces documents inédits en France, publiés quasi-in extenso, sont précédés d’une riche introduction de Sophie Coeuré qui remet en contexte ce mythe politique et littéraire que fut le voyage en URSS et plonge dans ses « coulisses ». Le titre de l’ouvrage, Cousu de fil rouge, est emprunté à une citation d’André Gide écrivant à André Malraux en 1935 : « Défendre la culture, bien, mais alors pourquoi uniquement des signatures de gauche ? Ca lui paraît, comme il dit, cousu de fil rouge ! ».

Vincent Duclert 

 

28 mai 2012 | 

Le fer rouge de la mémoire

Blog semprun
Pour continuer sur l’Europe vivante, rendons hommage avec les éditions Gallimard à l’écrivain Jorge Semprun, authentique européen disparu il y a un an, le 7 juin 2011. Commencée dans l’Espagne de l’état de siège du général de Rivera, achevée à Paris où il avait élu domicile et où il se considérait comme chez lui (mais pas assez pour les immortels de l’Académie française qui ne le jugèrent pas assez français), sa vie aura tout connu et se sera étendue sur toute l’Europe. Semprun plonge dans la guerre d’Espagne, dans l’exil républicain, dans la Résistance française, dans la déportation à Buchenwald, dans la clandestinité communiste en Espagne franquiste, dans la lutte contre le stalinisme, dans l’engagement pour la liberté démocratique en Europe, dans l’expression de sa mémoire tragique, dans la création littéraire. Une passionnante chronologie illustrée ouvre le volume Quarto de ses romans, préfaces et essais accompagnés de différents articles et d’un glossaire final très utile (Le fer rouge de la mémoire, 1184 p., 25 €). 

Le premier article qui ouvre le recueil est celui qu’il consacra en 1947 à L’Espèce humaine de Robert Antelme. En 1963, Semprun transmit lui-même son expérience de la déportation dans un livre sans équivalent, remarquable, Le grand voyage. Il comprend une longue narration du voyage vers les camps, le train traversant la France de l’Est et le narrateur recomposant la France qu’il aime comme une oeuvre d'art, qui fut sa raison de vivre, de survivre et de se battre.

Semprun a su aussi reconnaître l’unité philosophique de l’Europe dans la volonté des philosophes de refuser l’écrasement. En 2002, la Bibliothèque nationale de France l’invita à prononcer trois conférences intitulées : « Une morale de la résistance : Husserl, Bloch, Orwell ». On pourrait y ajouter Jan Patočka dont Semprun admirait la philosophie de résistance ne concevant aucune frontière, étendue à l'échelle du continent et du monde. 

Vincent Duclert 

 

24 mai 2012 | 

Se souvenir de la Grèce

Blog debray
On a beaucoup parlé durant les dernières élections présidentielles des « frontières », l’un des thèmes de campagne de Nicolas Sarkozy. Henri Guino, son conseiller spécial, avait emprunté au dernier opuscule de Régis Debray, Eloge des frontières (Paris, Gallimard, coll. Blanche, 2010, 97 p., 7,90 €). Issu du texte d’une conférence prononcée à la Maison franco-japonaise de Tokyo, ce petit livre fait l’éloge des villes frontière de l’Europe, « Tanger, Trieste, Salonique, Alexandrie, Istanbul. Accueillantes aux créateurs et aux entreprenants. Aux créateurs et aux entreprenants. Aux passeurs de drogue et d’idées. Aux accélérateurs de flux. [...] Nous avons tous, nous autres les poussifs, une dette à leur égard. Que serait aujourd’hui la langue française sans les écumeurs de l’outre-mer ? Il en va des civilisations comme des langues : stagnantes, elles doivent leurs rebonds à leur rebords, à leurs changements de portage quand elle en rencontre une autre, exotique jusqu’alors. En quoi il est aussi idiot d’opposer le centre à la périphérie que le substrat à la surface : notre intimité s’exhibe par l’épiderme. » 

Abandonner aujourd’hui la Grèce, ce serait ainsi renoncer à une partie de nous, la plus précieuse peut-être. Se souvenir de la Grèce, c’est rester fidèles à une haute idée de nous-mêmes, idée de voyages, de grands horizons, de langues et de cultures rapprochées, d’histoire et de savoir. 

Vincent Duclert 

22 mai 2012 | 

La constitution de l'Europe

Blog habermas
Le philosophe allemand Jürgen Habermas choisit, à 83 ans, d’agir sur le destin de l’Europe en démontrant, dans un ouvrage fait de différentes interventions publiques, les risques que prend l’Union à retirer à un pays, la Grèce, la maîtrise de son avenir politique, au nom d’impératifs monétaires et économiques communs. Cette menace d’un « évidement du processus démocratique » impose de repenser toute l’Europe et de tendre vers une entité commune à la fois supranationale et démocratique [...] : dans une Europe ainsi réformée, c’est aux Etats membres qu’il reviendrait d’assumer le rôle indispensable de garants des libertés républicaines ». (La constitution de l'Europe, traduit de l’allemand par Christian Bouchindhomme, Paris, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2012, 240 p., 18,90 €).

V.D.

 

20 mai 2012 | 

La Statue de la Liberté

Blog berenson big
Puisque le nouveau Président français est reçu avec maints égards aux Etats-Unis, saluons la parution au même moment de la première histoire de la Statue de la Liberté, cadeau du peuple français au peuple américain. Geste supplémentaire, l’étude de l’historien américain Edward Berenson, professeur à New York University, paraît simultanément dans sa version originale chez Yale University Press et en traduction française (par les soins de Marie-Laurence Netter) aux éditions Armand Colin (20 €). Il faut se souvenir que ce geste de la France aux Etats-Unis fut une initiative de citoyens en direction du peuple américain et non un cadeau d’Etat à Etat comme on a trop souvent tendance à la croire. C'est l'une des précieuses mises au point d'un livre très attendu, porté par une écriture sûre et accessible et traversé d'une exemplaire plongée dans les archives. 

Icône universellement connue, la statue de la Liberté est sans doute le plus significatif de tous les symboles américains. Pourtant, quand le monument a vu le jour à Paris en 1884 et est arrivé dans le port de New York un an plus tard, ses contemporains n’auraient jamais pensé que ce cadeau du peuple français aux Etats-Unis occuperait une place prépondérante dans l’imaginaire des Américains.La statue de la Liberté doit son existence à la rencontre de deux hommes : Édouard de Laboulaye, intellectuel français qui s’intéresse beaucoup à la politique américaine, et Auguste Bartholdi, sculpteur alsacien dont les travaux commencent à être reconnus. Laboulaye a l’idée de faire un grand geste envers l’Amérique pour marquer avec éclat le centenaire de l’indépendance américaine et sceller l’amitié entre la France et les États-Unis. Entamée en 1875, cette construction durera plus de dix ans.

La Statue de la Liberté raconte le périple de cette aventure, des difficultés financières au scepticisme des gouvernements de part et d’autre de l’Atlantique jusqu’à ce que la ténacité de quelques-uns vienne à bout de toutes ces vicissitudes et inaugure un monument d’universalité et d’imaginaire individuel : d’aucuns peuvent y voir l’émancipation des esclaves, la liberté individuelle chère à Tocqueville ou encore les « déshérités » décrits dans le poème gravé d’Emma Lazarus :

"Donne-moi tes pauvres, tes exténués

Qui en rangs serrés aspirent à vivre libres

Le rebut de tes rivages surpeuplés,

Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les apporte

De ma lumière, j’éclaire la porte d’or !"

V.D.