Présidentielles. Que doivent-ils à l'histoire ?
Les éditions Bayard se sont associées à l’émission de France Culture, « La fabrique de l’histoire » conçue et animée par le journaliste Emmanuel Laurentin pour valoriser le très riche fonds documentaire des 2 000 numéros et plus depuis sa création en 1999. Une collection de livres est née. « Sous une forme originale, ils rendent compte de la variété des formes radiophoniques utilisées dans cette émission. Entretiens, archives, débats ou documentaires y trouvent leur place, composant un dossier complet sur un thème ». Cette fois, la publication porte sur l’imaginaire des hommes politiques recueilli lors d’entretiens radiophoniques menés par Emmanuel Laurentin et parfois par Aurélie Luneau (Que doivent-ils à l’histoire ? 189 p., 18 €). Il s’agit de capter, à travers un jeu de questions réponses finement mené, cet imaginaire, de l’éveiller, d’en suivre les incarnations (par exemple à travers des événements marquants ou des figures privilégiées) et de comprendre ainsi son rôle dans la formation de l’homme politique. 9 d’entre eux se sont prêtés à l’exercice, François Bayrou, José Bové, Arlette Laguiller, Daniel Cohn-Bendit, Jean-Marie Le Pen, Jean-François Copé, Nicolas Dupont-Aignan, François Hollande, Jean-Luc Mélenchon. Une préface éclairante est proposée par Christophe Prochasson qu’Emmanuel Laurentin qualifie dans ses remerciements de « compagnon d’histoire et de radio ». Du reste, l’aventure car c’en est bien une de la « Fabrique de l’histoire » repose sur des formes d’amitié non complaisante et de passion partagée animant la petite équipe, capable de convaincre ces hommes et ces femmes politiques de se livrer au micro. On aurait aimé du reste connaître davantage de la fabrique de la « fabrique », pourquoi ces noms-là, quelles difficultés pour les interroger, comment d’autres ont échappé et d’abord Nicolas Sarkozy qui a poussé jusqu’à l’excès l’usage politique des mythes historiques comme le rappelle à propos le préfacier. C’est un regret que la « Fabrique » apparaisse si secrète sur le making-off des entretiens, surtout dans le cadre de l’écrit qui autorise du recul et plus de réflexion.
L’ouvrage paraît en pleine campagne présidentielle, et ce n’est pas un hasard. L’éditeur escompte que l’opinion publique se tourne davantage vers les hommes et femmes politiques et s’interroge sur le théâtre de leur mise en scène. Plus profondément, on suggère la possibilité par l’histoire de mieux percer à nu un type d’animal politique que sont les présidentiables. Tous l’on été (Arlette Laguiller, Jean-Marie Le Pen), le sont, ou le seront (Jean-François Copé), hormis deux exceptions radicales et revendiquées, José Bové * et Daniel Cohn-Bendit. En cela, ces derniers transmettent une réflexion sur l’histoire qui tranche avec les logiques présidentielles des actuels candidats pour qui l’accession à la magistrature suprême implique d’endosser une vision de l’histoire nationale, impose de porter un discours historique susceptible d’être reconnu – à travers lui - comme celui qui pourra effectivement parler au nom de la France. C’est « l’histoire à la première personne » dans la typologie de Prochasson, mais poussée à son extrême, c’est-à-dire se conjuguant aux deux autres types repérés par le préfacier, « l’histoire comme pensée » et « l’histoire comme mythologie ». D’une certaine manière, l’imaginaire historique exigé d’un présidentiable – ou que celui-ci s’impose – cumule ces trois usages de l’histoire par l’homme politique. Même Arlette Laguiller, dans son style, endosse cette dimension d’historiographe national.
Les entretiens de José Bové et de Daniel Cohn-Bendit brisent cette forme de consensus sur « l’identité déterminée par sa propre histoire, comme si, intellectuellement, nous n’avions pas le choix ». L’histoire censée apportée un supplément d’âme à la politique menace aussi cette dernière, ce que tente de suggérer Emmanuel Laurentin en face de Jean-Luc Mélenchon : « Reste que l’usage de l’histoire par les hommes politiques peut mettre à mal cette façon de vivre l’histoire que vous mettez en avant. L’histoire finit alors par devenir une sorte de décor de théâtre un peu vide, dont on va chercher les accessoires quand on a besoin de références. » Pour faire vivre l’histoire, la meilleure manière ne serait-elle pas d’en retrouver la dimension de savoir ? C’est à cette réflexion comme à d’autres que ce petit livre invite. C’est bien son but, ne tenir aucune évidence pour vérité et interroger les imaginaires comme le fait avec talent l’intervieweur, acteur de l’ombre et auteur véritable du livre.
Vincent Duclert
* Une lectrice vigilante me signale que José Bové a été candidat à l'élection présidentielle, en 2007, avec un résultat de 1,32%. Autant pour moi et merci à Héloïse. Cela ne change pas fondamentalement l'analyse (cette expérience est totalement absente de son entretien du reste) mais la rectification s'imposait bien sûr.