Dans l’intimité des frères Caillebotte
L’exposition présentée par le musée Jacquemart André sur le peintre Gustave Caillebotte et son frère Martial, photographe, a connu un énorme succès. Elle a fermé le 11 juillet (elle avait été auparavant offerte par le Musée national des beaux-arts du Québec). Même les titulaires de cartes d’accès prioritaire au musée devaient attendre sur le boulevard Haussmann, à l’ombre des arbres, dans une bonne ambiance.
L’exposition commençait du reste dès ce temps d’attente, sur le trottoir parisien puisque Gustave Caillebotte, cet artiste, mécène, collectionneur d’art, représenta souvent, du haut des balcons ou depuis les avenues, le quartier nouveau – entre Europe et Etoile - qui symbolisa pour beaucoup la Belle Epoque.
C’est bien être au plus proche de « l’intimité des frères Caillebotte » (Flammarion, 240 p., 39 €), dans leur regard sur le monde proche et lointain au tournant du siècle. L’intérêt de l’exposition tint dans cette reconstitution de la vie d’une famille exceptionnelle et de son mode de vie de vie tout à la fois très urbain et séquanien, au fil des splendides demeures qui, le long de la Seine, jalonnèrent son histoire. En amateurs éclairés, les Caillebotte furent de remarquables jardiniers, des skippers hors-pair au point d’imaginer et de faire construire des voiliers taillés pour les régates.
Ils étaient curieux de tout, les photographies de Martial et les peinture de Gustave le révélant, de la modernité industrielle comme la technique photographique elle-même ou bien le pont métallique de l’Europe surplombant la gare Saint-Lazare, de la forme moderne des villes et des longues façades des immeubles haussmanniens jusqu’aux petits métiers de dur labeur, raboteurs de parquet ou peintres sur leurs échelles.
Les frères Caillebotte incarnent la richesse et la curiosité d’un monde aujourd’hui disparu, où des élites avaient à cœur d’écouter la respiration du monde, du temps et de la société, où elles étaient soucieuses du bien public et du rayonnement de la République. Gustave avait décidé de léguer à l’Etat son extraordinaire collection de toiles impressionnistes, dont Le Bal du Moulin de la Galette d’Auguste Renoir, toile que l’on aperçoit dans l’autoportrait de Caillebotte dans son atelier. La toile est en arrière-plan, remarquable et lumineuse dans ses roses et bleus. Pourtant, le directeur des Beaux-Arts Henri Roujon refuse les soixante-sept œuvres du legs, dont Renoir a la responsabilité en tant qu’exécuteur testamentaire de son ami décédé. On est en 1894. Après deux ans de négociations, l’Etat se décide finalement pour Le Bal de Renoir et trente-sept autres tableaux. Mais des œuvres majeures de Sisley, Monet ou Pissarro échappent à la France. Insensible à la modernité exceptionnelle de la collection, Henri Roujon avait guidé son choix sur des motifs anecdotiques. Sur le Bal du moulin de la Galette, il s’est plu ainsi d’y reconnaître un de ses amis peintres, comme le relève Renoir lui-même : « La seule toile de moi qu’il admit de confiance… parce que Gervex y figurait. ».
Des toiles d’Henri Gervex, on en découvre une dans l’exposition Edouard Manet au Musée d’Orsay, de même qu’on aperçoit dans le portrait d’Emile Zola exécuté par l’inventeur du moderne, une copie, peut-être une photographie du même tableau (Le Bal) accrochée au dessus du secrétaire de l’écrivain. La peinture est un petit monde et un monde de suggestions inépuisable pour la vie présente, comme la lecture à laquelle nous invite à réfléchir Marielle Macé (voir plus bas).
Sur ces paroles pleines d’espoir pour le livre et la lecture, la peinture et la vie, nous prenons congé des lecteurs du Blog des Livres de La Recherche. Retour des billets le 1er août, soit dans quinze jours à peine !
Vincent Duclert