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07 décembre 2009 |

Les guerres du climat

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La conférence mondiale sur le climat s’ouvre aujourd’hui à Copenhague. L’enjeu n’est pas seulement écologique, il ne concerne pas seulement la planète et les conditions matérielles d’existence des populations. La question du climat et de son changement aujourd’hui attesté par les scientifiques induit aussi des réflexions morales et politiques, sur le sens à donner à la croissance économique aussi bien que sur la menace des « guerres du climat ». C’est l’objet précisément de l’ouvrage du psychologue allemand Harald Welzer, directeur du centre de recherche interdisciplinaire sur la mémoire d'Essen, et déjà auteur chez Gallimard des Exécuteurs. Des hommes normaux aux meurtriers de masse et qui publie cet automne chez le même éditeur Les guerres du climat. Pourquoi on tue au XXIe siècle (traduit par Bernard Lortholary, coll. « Nrf Essais », 365 p., 24, 50 €).

L’explication de ce nouvel engrenage belliciste à l’échelle du monde tient dans un processus écologique (le réchauffement du climat) autant que politique car découlant largement de la colonisation européenne du monde à la fin du XIXe siècle et d’un ordre de domination des territoires comme des populations : « comme les ressources vitales s’épuisent au moins dans un certain nombre de régions de l’Afrique, de l’Asie, de l’Europe de l’Est, de l’Amérique du Sud, de l’Arctique et des Etats insulaires du Pacifique, il y aura de plus en plus d’hommes qui disposeront de moins en moins de bases pour assurer leur survie. Il est évident que cela entrainera des conflits violents entre ceux qui prétendent se nourrir sur une seule et même portion de territoire ou boire à la même source en train de se tarir, et il est non moins évident que, dans un proche avenir, on ne pourra plus faire de distinction pertinente entre les réfugiés fuyant la guerre et ceux qui fuient leur environnement, parce que de nouvelles guerres seront dues à ce dernier et que les gens fuiront la violence. Comme il faudra bien qu’ils s’arrêtent quelque part, on verra se développer de nouvelles sources de violence – dans les pays mêmes où l’on ne sait que faire des réfugiés intérieurs, ou aux frontières des pays où ils veulent pénétrer, mais où l’on ne veut d’eux à aucun prix. »

Cette étude remarquable interrogeant les rapports entre le climat et la violence est un grand livre sur la politique. D’abord parce qu’il analyse les formes de violence contemporaine et démontre leur liens avec la politique des territoires, de l’eau, de l’énergie. Parce qu’il retrace ensuite l’historicité de ces « guerres du climat » en s’ouvrant sur le destin emblématique du navire allemand Eduard Bohlen, échoué sur les côtes de Namibie et aujourd’hui prisonnier du désert à deux cents mètres du rivage. Ce bateau avait été utilisé par l’empire allemand lors de la guerre génocidaire, la première du XXe siècle, menée dans la colonie du Deutsch-Südwestafrica contre les indigènes Herero. Ceux-ci s’étaient révoltés en janvier 1904 contre le pouvoir colonial allemand. Le gouvernement impérial confia au général Lothar von Trotha le soin d’écraser la rébellion. « Celui-ci appliqua dès lors les méthodes d’une guerre d’extermination : non seulement il s’efforça de vaincre les Herero militairement, mais il les repoussa, au terme d’une bataille rangée, jusque dans le désert de Omaheke, où il occupa les points d’eau, condamnant ses adversaires à mourir de soif. » Les survivants furent déportés dans les mines de diamant du Cap, au moyen de l’Eduard Bohlen transformé navire négrier jusqu’à son échouage le 5 septembre 1909. Cette guerre oubliée contenait en elle toutes les caractéristiques des conflits à venir, et dont certains ont déjà commencé, comme au Soudan aujourd’hui où le génocide qui s’y réalise informe précisément ce rapport entre climat et violence.

Enfin Harald Wezler écrit un grand livre politique car il y démontre que les guerres du climat sont essentiellement liées à une conception des ressources naturelles et des tissus sociaux les transformant en objectifs militaires et objets de destruction. Tout à fait désespérant, ce livre porte pourtant en lui les données fondamentales de la résistance à cet engrenage d’une barbarie générale. Il révèle pour commencer cet engrenage, grâce à une enquête historienne très méticuleuse qui réinterprète les conflits du XXe siècle à la lumière du rapport guerre et climat. Il établit pour continuer un enseignement fondamental, qui est – c’est en tout cas ma propre lecture – que la logique politique qui préside à ces conflits génocidaire peut se renverser. Et considérer alors qu’une autre logique politique, une volonté commune des dirigeants ayant accédé à la responsabilité démocratique, puisse désormais s’opposer aux « guerres du climat », notamment en refusant la domination sur les ressources naturelles et les cultures humaines qui précède les plus grandes violences collectives. Ce vœu très illusoire, et pourtant nécessaire pour penser l’avenir de l’humanité, me rappelle l’espoir formulé par le philosophe et historien Elie Halévy en 1929. Dans deux conférences prononcées à Oxford, il dressa le bilan d’une Europe dominée par les conséquences de la guerre et le déclin de la liberté. Mais la puissance intellectuelle que prouve cette analyse l’encouragea à refuser une lecture pessimiste de l’histoire et à envisager l’avenir des démocraties. « La crise mondiale de 1914-1918 », titre de ces conférences qui figurent dans le recueil de L’Ère des tyrannies (réédité aux éditions Gallimard dans la collection « Tel »), fut l’occasion pour lui de rappeler le principe démocratique qui toujours peut guider l’action politique.

« La responsabilité des maux qui tourmentent l’humanité doit être transférée des hommes d’État au commun peuple, c’est-à-dire à nous-mêmes. La sagesse ou la folie de nos hommes d’État est purement et simplement le reflet de notre propre folie. Si donc, comme je crois, vous vous accorder avec moi pour penser que la justice dans les rapports politiques pourrait être achetée avec un moindre gaspillage de vies humaines et de richesses que n’en apportent une révolution ou une guerre, ou une guerre révolutionnaire, vous devez comprendre aussi que ce résultat ne pourra être acquis si, dans nos pensées mêmes, une transformation ne se produit. […] Tant que nous n’aurons pas développé un fanatisme de l’humanité assez puissant pour contre-balancer ou pour absorber nos fanatismes de nationalité, n’allons pas charger nos hommes d’État de nos propres péchés. Cherchons plutôt des raisons de les excuser lorsque, à l’occasion, ils se sentent forcés de céder à la pression de nos émotions fanatiques et désintéressées. »

Vincent Duclert

Photographie: l'Eduard Bohlen. Source : heinrichs-family.de, DR

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