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septembre 2009

30 septembre 2009

Mémoire année zéro

Blog hoog

La question de la mémoire domine bien des aspects de la recherche, tant la mémoire du point de vue physiologique et neurologique que la mémoire comme fait social. Le numéro de l’été de La Recherche s’intéressait au premier versant comme les lecteurs – dotés d’une profonde mémoire – s’en souviennent. Voici que le président-directeur général de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) Emmanuel Hoog publie une étude consacrée au second versant de la mémoire, la mémoire collective ou nationale désormais confrontée à la concurrence des mémoires (ou « impasse identitaire ») et à l’inflation mémorielle à l’heure du numérique. Un livre d’un haut fonctionnaire, acteur en même temps que chercheur sur son domaine (Mémoire année zéro, Le Seuil, 210 p., 18 €). Et un titre qui renvoie bien sûr au film de 1948 de Roberto Rossellini, Allemagne année zéro. Le tout pour imaginer une forme moderne de mémoire ouvrant sur l'avenir des sociétés comme des personnes, la mémoire selon une « République des poètes » que l'auteur appelle en conclusion de ses voeux.

Vincent Duclert

28 septembre 2009

Alpha 2

Blog alpha 2

La saison 2 de la série politico-policière « Alpha » commence sur un album nerveux, dense, qui plonge le lecteur dans un océan d’incertitudes et une attente fébrile du prochain épisode (Fucking Patriot, scénario et dessin d’Iouri Jigounov, couleur Nadia Jigounov, Paris, Le Lombard, coll. « Troisième vague », 56 p., 10,40 €).

Comme pour la première saison, l’intrigue mêle habilement la Russie et les Etats-Unis sur fond de tensions internationales et de guerre froide jamais éteinte. Un prologue revient sur l’histoire d’ « Alpha », alias Dwight Delano Tyler, un agent américain de la CIA, auteur d’une récente action héroïque qui sauva la vie du Président des Etats-Unis lui-même, et dont la première mission l’avait amené à affronter les redoutables forces spéciales du FSB russes. Dans cet album-ci, deux ou trois histoires se croisent, d’abord une sacrée affaire de manipulation de la CIA intoxiquant la Maison Blanche et amenant le président américain à ordonner la destruction en vol d’un très inoffensif long-courrier de l’Aeroflot en approche de New York, ensuite une journée particulière de l’agent Tyler qui passe brutalement du statut de héros national à celui d’agent double démasqué et traqué par d’anciens collègues de la CIA, enfin quelque chose qui ressemble à un début d’idylle entre celui-ci et son ex-coéquipière, la forcément jolie Sheena Fergusson à qui il déclare sa flamme dans la suite d’un hôtel de Portland. On suit également les différents comploteurs tant à Washington qu’à Moscou. Autant dire qu’on ne comprend pas grand-chose à ce puzzle obscur. Mais on a le sentiment très net que les pièces se mettent doucement en place et qu’en guise de vulgaire agent double, Tyler serait plutôt un agent triple ou quadruple qui a su anticiper les ennuis à venir. Produit de la ligne claire, cet album promet, aussi bien pour l’univers graphique qui se construit que pour une intrigue pleine de souffle sur fond de guerre des agences, de coup sacrément tordus et de vieux contentieux russo-américains. C’est très bien fait d’autant que Jigounov fait tout (en famille semble-t-il), le scénario, le dessin, et le café. Dans une veine assez proche, signalons la sortie prochaine du tome 6 de Lady S, où l’héroïne, devenue interprète estonienne au Parlement de Strasbourg, ne cesse d’être rattrapée par son passé de l’autre côté du rideau de fer (Salade portugaise, scénario de Jean van Hamme, dessin de Philippe Aymond, Paris, Dupuis, coll. « Repérages », 48 p., 10,40 €).

Vincent Duclert

25 septembre 2009

Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ?

Blog galland

On l’ignore peut-être, mais les éditions universitaires Armand Colin disposent d’une collection d’intervention où des chercheurs et universitaires utilisent leurs compétences de savant pour répondre à une question contemporaine. « Eléments de réponse » propose ainsi pour cette rentrée un titre important, Les jeunes Français ont-ils raison d’avoir peur ? (160 p., 16,50 €), du à Olivier Galland, directeur de recherches au CNRS, spécialiste des questions de jeunesse et déjà auteur, chez le même éditeur, d’une Sociologie de la jeunesse (2007, 4e édition). Pour que la jeunesse en France n’ait plus peur de son avenir, il conviendrait, dit le chercheur en conclusion de son étude, que la société cesse de la considérer comme un danger ou comme une population à systématiquement contrôler voire à réprimer. Afin de réveiller la jeunesse française, et toute nation civilisée a besoin d’une jeunesse éveillée, il convient de « proposer dans un climat de complète neutralité, un soutien – souvent informationnel, parfois à travers des mécanismes sociaux dédiés aux problèmes spécifiques de la jeunesse (dans le domaine du logement par exemple), parfois financier – pour franchir avec succès les étapes incertaines qui mènent à la vie adulte. » Cette recommandation est d’autant plus cruciale que les jeunes sont aujourd’hui livrés à eux-mêmes, sans aides véritables (la situation matérielle et affective des étudiants est parfois alarmante) et dans un contexte de défiance ou de profonde inégalité de destin.

Vincent Duclert

24 septembre 2009

L’étrange silence des abeilles

Le journaliste scientifique Vincent Tardieu reprend le dossier de la mort mystérieuse des abeilles dans son livre paru aux éditions Belin, L’étrange silence des abeilles. Enquête sur un déclin inquiétant (coll. « Regard », 352 p., 21,50 €). C’est bien d’une passionnante enquête dont il s’agit, et les remerciements qui concluent le livre témoignent de son étendue, à commencer par le travail des étudiants du master « Biologie, géoscience, agroressources et environnement » de l’université de Montpellier qui ont réalisé une enquête initiale finalisée par de précieux rapports. L’auteur ne considère pas une cause unique à la disparition tragique des abeilles, allant du problème des pesticides bien connu à la question moins étudiée de la transformation des espaces ruraux. Etablir ce faisceau de responsabilité, c’est déjà combattre la fatalité du silence des abeilles par une prise de conscience des moyens capables de l’enrayer.

Vincent Duclert

22 septembre 2009

D'une guerre à l'autre

Blog guilloux

Dans son bel essai paru au printemps dernier, l’historienne Mona Ozouf s’interrogeait sur une question qui concerne aussi bien les scientifiques que les artistes et les écrivains et au-delà, chaque personne. Comment articuler un rapport à l’universel (en ce qui la concerne, la République et sa laïcité) et un attachement au particulier (la Bretagne et son identité pour Mona Ozouf) ? Nous conseillons à tous nos lecteurs ce livre élégant, personnel et puissant, Composition française (Gallimard, coll. « Blanche », 258 p., 17,50 €). L’auteure y évoque brièvement la haute figure de Louis Guilloux, l’écrivain du Sang noir qui réussit précisément à lier une forme d’universalité littéraire et la fidélité à l’univers de Saint-Brieuc et de la Bretagne socialisante. Voici que les éditions Gallimard publient précisément un volume de la collection « Quarto » rassemblant les œuvres principales de Louis Guilloux, précédées d’une forte introduction de Philippe Roger qui invite à dépasser les clichés misérabilistes pesant sur l’écrivain, et d’une passionnante chronologie de sa vie et de son œuvre due à Jean-Louis Panné, le directeur de « Quarto ». (D'une guerre à l'autre. Romans, récits, 1119 p., 29 €) *.

Vincent Duclert

*Le 24 septembre en librairie

Portraits d’Eugène Dabit (1935) et de Cabu (1967), montage JEA (DR).

21 septembre 2009

Sociétés de la connaissance

Blog hermès

Les éditions du CNRS et la revue Hermès dirigée par Dominique Wolton proposent un petit ouvrage collectif de qualité qui explore les nouvelles frontières du monde de la connaissance créées par la technologie d’Internet et la mondialisation qu’elle a engendrée. Sociétés de la connaissance, fractures et évolutions, tel est le titre de ce petit livre coordonné et introduit par Michel Durampart qui revient sur la naissance de ces technologies nouvelles d’information et de communication et le rôle de la revue Hermès dans leur réflexion critique (coll. « Les essentiels d’Hermès », 175 p., 8 €)

Vincent Duclert

15 septembre 2009

« Notre livre est un essai pour combler cette lacune, en attendant que la phrase précédente cesse d’être vraie. »

Blog révo cult La Révolution culturelle fut, entre 1966 et 1976, l'une des phases les plus caractéristiques et les plus violentes du totalitarisme chinois. Le culte de la personnalité entourant Mao, la terreur répandue par les Gardes rouges, l’endoctrinement des masses, l’épuration et l’ « éducation » des déviants, la politique d'humiliation et de meurtre inspirèrent notamment les khmers rouges dans leur mise en oeuvre du génocide au Cambodge. Cette phase décisive de l’histoire du communisme chinois restait dans l’ombre, en partie du fait de l’extrême difficulté de l’étudier et d’accéder aux sources nécessaires à sa connaissance. Au milieu des années 1980, un sociologue de l’université d’Harvard, Roderick Mac Farquhar débuta un cours sur le sujet. Ce fut le point de départ d’une immense recherche. Trente ans plus tard paraissait aux presses de cette université une somme considérable dont la traduction, due à Pierre-Emmanuel Dauzat, est aujourd’hui publiée aux éditions Gallimard, dans la collection « NRF Essais » (La dernière révolution de Mao, avec Michael Schoenhals, 808 p., 35 €).

Cette recherche veut aussi contribuer à la démocratisation actuelle de la Chine -laquelle supposerait une liberté d’étude du communisme. Dans la préface à l’édition française, les deux sociologues écrivent que « le jour viendra peut-être où, à la différence de Gao Xingjian, que nous citons en conclusion, le prochain Nobel chinois de littérature ne sera pas contraint de publier ses meilleurs écrits en exil. Il n’en demeure pas moins quasiment inconcevable qu’un écrivain ou un cinéaste chinois travaillant en Chine défie le PCC en tentant un tableau réaliste du rôle de Mao dans la Révolution culturelle. Notre livre est un essai pour combler cette lacune, en attendant que la phrase précédente cesse d’être vraie. »

Vincent Duclert

14 septembre 2009

Ne pas confondre chaos et désordre

Blog allemand 4 Ce n'était pas une mauvaise idée de situer La théorie du chaos (dessins de Jean-Christophe Thibert, Glénat, 2009, 56 p., 13€) dans le milieu des scientifiques atomistes des années 1950. Mais la ressemblance de plusieurs personnages avec des personnalités réelles frise la parodie. Ni le scénario ni le dessin ne laissent toutefois penser que les auteurs visent une réflexion humoristique, au contraire. A l'arrivée, c'est un peu ridicule.

Soit donc Alfred Bernstein, physicien qui a participé à la mise au point de la bombe atomique américaine. Ses remords l'empêchent de dormir et l'ont conduit à vouloir lancer un « Comité d'urgence des savants atomistes ». Si vous n'avez pas compris, sa notice nécrologique page 8 (il s'est fait assassiner page 7 par un ninja) précise qu'il est né en Allemagne en 1879, qu'il a fait ses études à l'Ecole polytechnique de Zurich, puis qu'il a travaillé au bureau des brevets de Berne... Il était accompagné par son collègue Jason Purcell, qui reprend le flambeau et décide prononcer à sa place le discours prévu à l'UNESCO. Celui-ci demande l'aide de Nathan Masson, un scientifique français (le meurtre a eu lieu à Paris, siège de l'UNESCO) lequel, coup de chance, est très ami avec l'agent des services secrets Etienne Kaplan, chargé d'enquêter sur le meurtre.

C'est ensuite au tour d'un armateur grec, potentiel soutien financier du futur mouvement pour la paix, de passer spectaculairement de vie à trépas. Puis Russell (pardon, Purcell) est lui aussi victime du ninja, tout comme une scientifique suisse. Un physicien japonais réfugié en France est, quant à lui, seulement enlevé. Kaplan et Masson ne sont pas au bout de leur peine. Ils sauveront in extremis les autres scientifiques menacés, parmi lesquels Anne Jobert-Lary (!) et J. Ridley Openhover (!!).

Comme l'a dit Alexandre Dumas, qui s'y connaissait, « Il est permis de violer l'histoire, à condition de lui faire de beaux enfants ». Convard et Thibert ont raté leur coup. Jusqu'au titre, complètement anachronique : le terme de « chaos » n'a été introduit en mathématiques que dans les années 1970, par James A. Yorke.

Luc Allemand, La Recherche

11 septembre 2009

Le renseignement américain

Blog daninos La commémoration du 11 septembre 2001 nous ramène une nouvelle fois à la question de la faillite du système de renseignement américain qui disposait des renseignements mais qui n’a pas pu et qui n'a pas su les interpréter. Un livre déjà vieux de deux ans, mais précieux, nous remet en mémoire cette crise de l’information au cœur du système états-unien. Il est du à un journaliste de La Recherche [une fois n’est pas coutume, nous parlons de la rédaction], Franck Daninos, auteur de La double défaite du renseignement américain (Ellipse, 2006, 317 p., 23 €).

Vincent Duclert

10 septembre 2009

Le procès des Lumières

Blog lindenberg L’historien des idées et de la politique Daniel Lindenberg publie un essai qui devrait intéresser l’ensemble du monde de la recherche puisqu’il analyse le contexte intellectuel des sociétés occidentales actuelles en le définissant comme une révolution conservatrice, une modernité réactionnaire, en d’autres termes un procès des Lumières pour reprendre le titre du livre (Le Seuil, 296 p., 19 €). La thèse est forte, elle mérite d’être prise en compte d’autant qu’elle ne se limite pas au cas français mais considère le processus de mondialisation des idées. La situation hexagonale, où l’on voit des élites libérales basculer dans le renoncement à la raison critique, à l'éthique du droit, à la volonté de progrès, est loin d’être isolée, écrit ce professeur de Paris VIII et membre du comité de rédaction de la revue Esprit. Il n’en est pas à sa première offensive contre la régression intellectuelle. Il avait été l’auteur d’un premier essai, en 2002 dans la collection « La République des idées », qui avait suscité de très vives polémiques (Le Rappel à l'ordre. Enquête sur les nouveaux réactionnaires). La postface resitue du reste le nouvel essai dans ce constat plus ancien de l’émergence de « nouveaux réactionnaires » dont la force et le pouvoir ont été renforcés par la victoire de Nicolas Sarkozy et le cours de sa présidence. Livre nécessaire, qui conclut sur un éventuel renversement de tendance après l’élection de Barack Obama et la crise financière mondiale, Le procès des Lumières devrait faire parler de lui.

Vincent Duclert