Condamnés au 18e siècle
« Le texte est bref, à la portée de tous, sensible et incisif » déclare Arlette Farge à propos du livre de Pietro Verri, Observations sur la torture, paru en 1777. On pourrait lui retourner le compliment tant ce petit livre, Condamnés au 18e siècle (Editions Thierry Magnier, collection « Troisième Culture », 2008, 134 p., 8€90), est stimulant, par son contenu comme par ses qualités littéraires. A une époque où l’on entend souvent la parole politique et son écho médiatique revendiquer la nécessité de promouvoir la « tolérance zéro », il nous semble en effet particulièrement pertinent de réfléchir sur la notion de punition, et sur le rôle social qu’elle est supposée jouer.
Dans la France de l’Ancien Régime, où « l’Etat est le Roi » et le Roi le représentant de Dieu, toute atteinte à la personne du monarque (qu’elle soit physique ou dialectique par l’expression de « mauvaises pensées ») devait être férocement réprimée. L’accusé, sans avoir droit à une défense, ne pouvait qu’avouer. La punition servait avant tout d’exemple, afin de s’assurer de la docilité et de la soumission du peuple. Infligées sur la place publique, les peines laissaient s’exprimer toute l’horreur de la torture associée à l’humiliation.
Face à cette barbarie, philosophes et juristes de l’époque des Lumières allaient se servir de leur plume pour dénoncer le règne d’un droit fondamentalement injuste. Leurs écrits arrivent dans le livre d’Arlette Farge comme une bouffée d’air frais. Le Traité des délits et des peines, de Cesare Beccaria donne des leçons à notre contemporanéité : pour lui, l’appareil judiciaire et pénal doit être le reflet de notre société. S’engageant contre la torture et la peine de mort, Beccaria vante les mérites de l’emprisonnement, d’une véritable défense des accusés et l’application de peines proportionnelles aux délits. La prison-punition joue ici un rôle social fondamental : elle doit « transformer l’âme et l’esprit du condamné » (p.124). Malheureusement, Arlette Farge montre les limites de ce système trop liées aux limites de nos sociétés et nous laisse seuls juges de ce qu’en disent nos conditions d’incarcération.
Delphine Berdah, Cermès-Inserm
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