L'intellectuel et le savant
Alors que l’on débat ces temps-ci du rapport des intellectuels avec le pouvoir politique, on pourra se rapprocher de la dernière livraison de la Revue des revues, sous-titrée « histoire et actualité des revues » et éditée par l’association Ent’revues avec la collaboration de l’Institut mémoires de l’édition contemporaine (144 p., 15,50 €). Ce numéro 40 contient en effet un article de Christophe Prochasson sur « Léon Werth, l’intellectuel vrai ». Ecrivain du début du (XXe) siècle, marqué par le bouleversement de l’affaire Dreyfus, Léon Werth fut « un acteur important d’un temps où écrivains, essayistes et, plus généralement hommes à idées, tentèrent de conférer un nouveau cours à la vie intellectuelle en organisant tout un réseau de petits périodiques dont la mémoire a sous doute été quelque peu occultée par l’écrasante fortune de La Nouvelle Revue Française », écrit l’historien. On s’intéressera à la tentative du chercheur de saisir la vérité – même italique - de l’intellectuel, d’autant plus précieuse à concevoir en ces temps troublés pour les intellectuels et leur fonction critique de moins en moins évidente ou reconnue. Voici quelques critères du vrai (intellectuel) relevés par Prochasson dans son étude de Léon Werth : souci de la critique sociale et refus du conformisme des trajectoires comme des vaines rhétoriques universitaires (LW récuse les conseils de son oncle, le philosophe Frédéric Rauh, qui lui enjoignait de préparer l’Ecole normale supérieure dont lui-même était issu, ceci afin d’écrire), volonté de démystifier les « savants » et leur prétention à dire la vérité au-delà de leurs sphères de spécialisation, refus des idées générales et des abstractions fumeuses qui caractérisent selon Werth tant de sommités installées telles Paul Claudel, une de ses têtes de Turcs, ou bien Maurice Barrès, dégoût pour le déversement incontrôlés des émotions et appel au contrôle de soi, préférence pour la critique sans concessions, choix de l’inquiétude comme hygiène de vie et de pensée. « Même dans l’ordre de la connaissance, la certitude est mauvaise conseillère », commente l’historien. Et de citer Werth : « Par définition, la philosophie comme l’histoire sont des recherches. Elles nous intéressent par la position neuve d’un problème, par l’acquisition d’une certitude nouvelle. Et encore le mot de certitude est bien grossier. Tout au plus un savant autorise-t-il notre esprit à adopter, devant les faits, telle ou telle attitude provisoire. C’est cette recherche d’équilibres, variables et successifs, qui nous émeut en lui. »
Au fond, il n’est peut-être pas certain que Léon Werth se soit reconnu dans son portrait en « intellectuel vrai ». Mais c’est une autre histoire. De toute manière, le chercheur n’a pas à demander d’autorisation à son objet. On ne peut que ici constater ce retour de la quête du vrai et du sens au milieu des incertitudes, des inquiétudes et des inactions paresseuses. On profitera enfin de ce post pour signaler l’ouverture prochaine d’une exposition de l'IMEC, en partenariat avec Ent’revues sur « Une décennie de revues 1968-1978 », Le vieux monde est derrière toi (ce qu’auraient pu dire Werth et ses amis dans les années 1900), à l’abbaye d’Ardenne, l’exceptionnel centre d’archives, de documentation et de recherche que l’IMEC possède près de Caen.
Vincent Duclert (NB : les italiques sont désormais de rigueur)
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