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08 juillet 2008 |

Oroonoko, Prince et Esclave

Blog_schaub Oroonoko, l’histoire tragique d’un prince guinéen vendu comme esclave au Surinam, fut publié par Aphra Behn, l’une des premières femmes de lettres anglaise, en 1688. (Signalons que la traduction française de La Place, 1689, vient d’être rééditée : Oronoko, l'esclave royal, éd. établie et préfacée par Bernard Dhuicq, postface de Françoise Vergès, La Bibliothèque, 2008.) Plus de trois cents ans plus tard, le roman complexe de Behn (qui ne se lit pas comme u n roman abolitionniste) suscite un véritable engouement critique dans les différents courants de recherche dits post-coloniaux comme le démontre l’essai de l’historien Jean-Frédéric Schaub, Oroonoko, Prince et esclave, Roman colonial de l’incertitude (Seuil, coll. La librairie du XXIe siècle, 2008, 190 p, 20€). Pour sa part, Schaub cherche à réinscrire l’œuvre de Behn dans un ensemble de traditions textuelles et d’expériences historiques en identifiant certaines références disponibles pour l’auteure et ses lecteurs contemporains. Quatre thèmes sont explorés: l’esclavage et des conditions serviles (pratique africaine et traite atlantique euroaméricaine); les scarifications de l’héroïne du roman (analogue aux peintures corporelles chez les Pictes : voir les illustrations en couleur) ; la dégénérescence et la barbarie des Européens (à partir de l’exemple des « sauvages irlandais », qui formaient avec les Noirs, la principale communauté « étrangère » visible à Londres au XVII siècle) ; et l’historicité des distinctions raciales dans les sources intellectuelles de l’époque (les théories des climats et de la malédiction biblique de Cham). Comme le démontre Schaub, les ambivalences dans le texte de Behn, où les différences entre Européens et Africains sont réduites, révèlent l’instabilité des conceptions raciales à la veille de la Glorieuse Révolution en Angleterre. Le décentrement du sujet chrétien (la narratrice d’Oroonoko : rappelons qu’il s’agit du premier roman en langue anglaise), évoqué par Schaub dans sa conclusion, contribue aussi à la production d’un texte étonnamment ouvert aux résonances multiples et sur lequel la réflexion mériterait d’être poursuivie.

Renée Champion, CHSIM, EHESS

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