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10 avril 2008 |

La pensée anti-68

Blog_audier La haine de Mai 68 est-elle devenue le nouvel Opium des intellectuels, le nectar empoisonné auquel s’abreuvent nos meilleurs esprits depuis les années 1980, sorte de mythe à rebours qui anime les penseurs du retour du sujet et turiféraires du libéralisme ? Regroupant quelques-unes des figures phares de notre vie intellectuelle, Serge Audier dégage une unité qui puise dans le rejet des courants qui animèrent Mai 68 (La pensée anti-68. Essai sur les origines d'une restauration intellectuelle, La Découverte, coll. "Cahiers libres", 380 p., 21,50 €). En dépit du soin à étayer sa thèse, Audier nous persuade d’une chose. Pas plus qu’il n’y eut de pensée-68, ce dont convinrent L. Ferry et A. Renaut, qu’il continue pourtant à poursuivre de ses foudres, il n’existe de pensée anti-68. Le rejet de certains traits caractéristiques du mouvement de Mai, commun par exemple à P. Manent, G. Lipovetsky ou M. Gauchet, suffit-il à créer autre chose qu’une communauté de pensée ? Ainsi on ne peut le suivre par exemple lorsqu’il réunit sous une même bannière des penseurs à l’horizon aussi différent que L. Dumont, M. Gauchet et René Guénon. S. Audier lui-même n’est d’ailleurs jamais aussi bon que lorsqu’il reconstitue des généalogies, retisse les contextes et dénonce le simplisme qu’il y a à résumer une pensée par ses traits les plus saillants. Il reprend ici les étapes d’une histoire française de la pensée libérale trop souvent passée sous silence et ressuscite à la lumière des théories de Bachelard et de Canguilhem, eux-mêmes en rupture avec la pensée de Bergson, sans lesquels on ne saurait comprendre les origines du mouvement de Mai. Il paraît alors plus pertinent de parler du « moment» des années 60, expression forgée par Fr. Worms et reprise par les journées organisées par l’Ecole Normale Supérieure. Marqué au plan philosophique par l’irruption de la structure et de la question du sens, il englobe Mai 68 dans un contexte plus large. On peut ainsi comme le fait Audier dégager en retour l’existence d’un « moment » 1980 défini autour d’une thématique libérale et républicaine influencée par les Etats-Unis et marqué par un pessimisme culturel. Faut-il y voir autre chose que le partage d’un monde commun ?

Perrine Simon-Nahum, CNRS

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Commentaires

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Je croyais que c'était un concept hegelien... Le "réseau" Worms est décidément impayable !
Quant au livre d'Audier, je doute (très) fort que Bachelard et Canguilhem puissent revendiquer une quelconque filiation dans Mai-68, vu qu'aucun manifestant (hormis en philo) ne les connaissaient, contrairement à Henri Lefebvre, qui eut au contraire un impact décisif dans la création du Situationnisme et du mouvement contestataire de Nanterre.
Lire à ce propos le très bon essai de Vincent Cespedes, "Mai 68 : La philosophie est dans la rue !" (Larousse, 2008).
http://www.vincentcespedes.net/fr/bibliographie/mai-68.php

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