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mai 2008

30 mai 2008

L'institution de la science et l'expérience du vivant

Blog_bayet Les grands livres d’histoire des sciences sont des socles sur lesquels peuvent reposer des études ultérieures, car ce sont des sources inépuisables de questionnements et de problématiques, écrivait Stéphane Tirard dans le numéro 400 de La Recherche (septembre 2006), au sujet L’institution de la science et l’expérience du vivant de Claire Salomon-Bayet paru en 1978. Le Blog des Livres ne pouvait que republier les meilleurs passages de cette recension, à l’occasion du passage en poche (Flammarion, coll. « Champs sciences », 512 p., 11 €) de ce livre capital.

« L’ouvrage révèle le déplacement du sens de l’expérience dans un univers scientifique encore sans unité. Entre la période des origines de l’Académie des Sciences et la deuxième moitié du XVIII siècle, l’expérience, d’abord collection des faits ou description, deviendra un montage expérimental fondant la démonstration. Claire Salomon-Bayet ne pouvait mener sa recherche qu’en assumant l’éclatement de son objet et en discernant les fils qui quadrillent le savoir, il s’agit dans ce cas : des vivants, de l’expérience et de l’institution, le cœur du XVIII siècle scientifique. L’étude, centrée sur l’Académie, montre d’abord comment 'l’invocation expérimentale' gouverne certains débats lorsqu’apparaît la physiologie. Avec le contre-exemple de la classification, traitée au travers du cas de Tournefort, il apparaît que la question reste toujours la même : comment se constitue une méthodologie propre aux sciences de la vie ? Claire Salomon-Bayet défend et pratique une histoire des concepts dans laquelle s’intègre une histoire de la science comme institution. Son approche est résolument fondée sur les faits, avec comme volonté de se laisser guider par les problèmes et non par les solutions, qui considérées rétrospectivement peuvent donner une illusion d’ordre et de simplicité. La réflexion prend ici le relais de celles de Georges Canguilhem ou de Michel Foucault, mais l’ouvrage recèle une originalité qui réside dans la proximité et la tension toujours entretenues, entre le traitement en profondeur des sources historiques et la critique philosophique extrêmement ciblée qui le suit immédiatement. Sans doute, seul un tel double traitement systématique pouvait-il doter l’analyse de l’acuité nécessaire pour révéler que ‘la biologie, ce non-dit de l’âge classique, n’est peut-être pas un non-pensé : un contenu autonome du terme expérience donnerait les lignes de cet impensé, et constituerait une archéologie’. »

Stéphane Tirard, Centre François-Viète, Université de Nantes

29 mai 2008

Le bronzage

Blog_bronzage Professeur d’épistémologie du corps et des pratiques corporelles à l’UHP Nancy Université, déjà co-directeur du Dictionnaire du Corps dans les sciences sociales (2008, 578 p., 20 €) également publié aux éditions du CNRS, Bernard Andrieu propose un bref, dense et très illustré panorama du bronzage (préface de Nadine Pomarède, 120 p., 12 €). Ce livre constitue le second titre de la collection « Corps » dirigée par Gilles Boëtsch, l’autre co-directeur du Dictionnaire du Corps et auteur en 2000 du Corps dans tous ses états. Regards anthropologiques, toujours aux éditions du CNRS. De fait, Le bronzage constitue une approche décalée du corps en relation avec la nature, dénudé pour mieux bénéficier des bienfaits du soleil sur la peau et sur l’âme. « Symbole de santé, d’activité et de beauté, le bronzage est une érotisation de la peau, à la fois par la sensation de chaleur et par l’exposition consentie des parties bronzées ou non », explique Bernard Andrieu. La collection de photographies de nus au soleil (nus essentiellement féminins) de Gilles Boëtsch est largement sollicitée, pour le plus grand bonheur de l’éditeur qui offre ainsi un ouvrage solaire à tous les sens du terme. Sur le fond, Bernard Andrieu aborde les principaux aspects anthropologiques, médicaux et sociaux du bronzage, en insistant sur les crèmes solaires et autres protections contre l’acteur soleil (et pour cause, l’auteur participant à l’Observatoire Nivéa d’où l’idée de son livre est venue, suggérée par l’historien du corps Georges Vigarello) et en abordant la question du « capital soleil » et du risque de cancer une fois ce capital dépensé. La conclusion souligne enfin le paradoxe entre l’attrait pour l’esthétique bronzée et le maintien des discriminations sociales envers les immigrés du sud, les « bronzés ».

Vincent Duclert, EHESS

28 mai 2008

Internet et l’écriture romanesque

Blog_michard_2 On raconte qu’une Japonaise a acquis la célébrité pour avoir composé un roman sur son téléphone portable. Dans « Paris », le professeur joué par Lucchini utilise les textos pour séduire sa belle étudiante, entreprise romanesque s’il en fût. Cependant, les courriels sont a priori susceptibles de plus de richesse littéraire. En voici la preuve avec le premier roman d’Anne Gallet et Isabelle Flaten, L’imposture (La Dernière Goutte, Strasbourg ; 18 €). Un homme, une femme, un train, une carte de visite oubliée (exprès ?), la femme est joueuse (curieuse ?), elle écrit le premier mail (pardon, courriel) et voici, le ping-pong peut commencer. Or les messages s’allongent peu à peu, leur contenu se fait plus riche, permettant la découverte réciproque… avec beaucoup de difficulté, tant l’homme cherche à rester sur sa réserve. Ce dialogue devenu indispensable aux deux internautes (surtout à la femme!) va-t-il mener à la rencontre amoureuse? C’est une manière d’aborder la question du sexe (« ce qui sépare »), question bien délicate dans notre temps de parité et d’unisexe. Internet offre son cadre à ces Liaisons dangereuses modernes. L’imposture mise en scène ici est moins terrible, l’ensemble plus proche de la comédie de mœurs que de la tragédie. Merci Internet, qui a permis concrètement l’écriture conjointe de cette fiction à deux amies, l’une à Paris, l’autre à Prague et Strasbourg!

André Michard, UPS, ENS

27 mai 2008

Academic Pride. L'affiche

Blog_academic Aujourd’hui auront lieu dans toute la France les manifestations de l’« Academic Pride » organisées par les associations Sauvons la recherche et Sauvons l’université et l’ensemble des syndicats (NCS, SNESUP, SNTRS-CGT), dans le contexte aggravé par les déclarations de la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche sur l’avenir du CNRS, dont le Blog des Livres s’était fait l’écho dans son « post » du 21 mai. Une enquête sur les chercheurs français est proposée à cette occasion par le quotidien en ligne Mediapart (http://www.mediapart.fr/journal/france/260508/academic-pride-une-marche-pour-la-fierte-d-etre-chercheur, par Jade Lindgaard). C’est l’occasion pour nous de signaler à nos lecteurs le pari économique, journalistique et intellectuel que représente cette entreprise de presse inédite, fondée sur les seules ressources des abonnements (et le capital de départ), à un moment où, précisément, Mediapart lance une campagne de promotion pour recruter de nouveaux lecteurs payants. Les initiatives citoyennes se multiplient. Il faudrait, dans ce trop bref panorama, rappeler bien sûr la fondation Sciences citoyennes (http://sciencescitoyennes.org/) qui a porté notamment le mouvement dit des « lanceurs d’alerte ». Vincent Duclert, EHESS

Sauvons la recherche. Le livre

Blog_etat_gnraux Lancée en 2003 par des chercheurs de l’Institut Cochin dont Alain Trautmann, le mouvement « Sauvons la recherche » et l’association du même nom organisèrent une première grande journée de mobilisation publique le mardi 9 mars 2004, qualifiée de « journée historique ». Le 9 novembre de la même année, le rapport officiel issu des Etats généraux de la recherche (tenus à Grenoble) était remis au gouvernement. Un livre fut aussitôt publié, aux éditions Tallandier, Les Etats généraux de la recherche. Grenoble 9 mars-9 novembre 2004 (477 p., 23 €) dont Alain Chatriot, du CNRS, avait rendu compte dans les colonnes de La Recherche (février 2005, n° 383). Depuis, l'association n'a pas publié d'autres contributions, sous forme papier tout au moins puisque le site de Sauvons la recherche offre des ressources documentaires appréciables. V.D.

26 mai 2008

Démocratie en France

Blog_ldh_2 La parution, dans la collection d’intervention « Sur le vif » des éditions La Découverte, d’un petit livre de la ligue des droits de l’homme, Une démocratie asphyxiée, aspire à proposer « L’état des droits de l’homme en France » pour l’année 2008 – comme l’indique précisément le sous-titre (10 €). De fait, les 120 pages de l’ouvrage exposent différents domaines où les droits de l’homme seraient danger : sécurité, justice et prisons, les politiques de surveillance, les dérives xénophobes de l’Etat, les réformes sociales, et, comme l’écrit l’ancien président de la Ligue, « une diplomatie dans le droit fil de la politique intérieur ». Une chronologie enfin est due à l’historien Gilles Manceron assisté de François Nadiras. L’ensemble est ouvert par l’actuel président de la LDH, Jean-Pierre Dubois : « Comprendre, résister, reconstruire ; nouvelle donne, nouveaux défis… » L’analyse des juristes Danièle Lochak et Jean-Michel Delarbre est particulièrement intéressante car elle souligne comment la thématique de l’identité nationale s’oppose au mouvement d’une société ouverte au profit d’un Etat omnipotent. Le sarkozysme, de ce point de vue, n’est pas un libéralisme : « L’identité nationale échappe à toute appréhension objective, et plus radicalement à toute définition qui prétendrait saisir l’essence transcendante et figée d’une collectivité en évolution et redéfinition perpétuelles. Vouloir la définir une fois pour toutes et la protéger est donc un contresens qui ne peut aboutir qu’à une société fermée, repliée sur elle-même et sur son passé. Créer un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale – et accessoirement du Codéveloppement -, c’est enfin laisser entendre qu’il revient à l’Etat et à ses institutions d’imposer la définition de la nation et de faire de cette norme un barrage contre l’immigration, dite ‘subie’. Cette prétention inquiétante est plus proche d’une logique totalitaire que des règles d’une société ouverte et démocratique, où l’identité de chacun se forge dans le vivre ensemble, sans s’y perdre » (p. 58) Néanmoins, cet ouvrage qui dénonce l’asphyxie de la démocratie ne définit pas explicitement cette dernière, comme si les principes et les règles qui la fondaient étaient évidentes et définitives. Et sans cette précaution méthodologique, on ne peut comprendre alors comment une politique émanée d’une élection au suffrage universel et du vote de la loi – respectant donc le cadre des institutions démocratique - s’opposerait à la démocratie telle qu’elle existe en France. Peut-être alors que s’imposerait mieux un ouvrage plus volumineux, davantage rapproché des intellectuels et des militants qui, depuis l’affaire Dreyfus, font vivre les traditions démocratiques et libérales françaises.

Vincent Duclert, EHESS

23 mai 2008

Michel Foucault

Blog_foucault Michel Foucault a entretenu de mauvaises relations avec les historiens de son temps, souligne-t-on souvent. Sans doute le propos a-t-il pour mérite de mettre en valeur la difficile réception de l’œuvre d’un philosophe chez des historiens méfiants à l’égard de qui s’aventurait à penser la « vérité » dans le temps et la durée et qui interrogeait les « discontinuités » des systèmes de pensée. Mais l’affirmation ne rend pas justice de la postérité actuelle de Foucault en histoire, que celle-ci s’occupe d’Etat, de justice ou du corps. Surtout, la formule mésestime le rôle des « passeurs » historiens qui, tels Michelle Perrot ou Roger Chartier, se sont saisis des écrits de Foucault pour leur poser des questions fécondes. Entre tous, le grand spécialiste du monde antique Paul Veyne est de ceux-là. En 1978, celui qui avait été le condisciple de Foucault à l’Ecole normale, son pair au Collège de France et qui plus est son ami très proche, lançait déjà un petit texte, Foucault révolutionne l’histoire, engagé et novateur. Aujourd’hui, trente ans après, Paul Veyne réitère, en l’approfondissant, l’exercice de défense et illustration de l’apport du philosophe aux sciences humaines. Foucault. Sa pensée, sa personne (Albin Michel, « Bibliothèque Idées », 2008, 214 p., 16 €), malgré son titre, n’est pas tout à fait une biographie. C’est un livre empathique qui montre la propre relation de l’auteur, en tant qu’historien, à l’œuvre de Foucault. Il s’efforce surtout de briser les idées reçues qui ont abusivement, selon lui, catégorisé un intellectuel somme toute inclassable : en fait, un « sceptique », « ni nihiliste, ni subjectiviste, ni relativiste, ni historiciste », mais pour autant un homme « tranchant ». Auquel il importe de revenir si l’on s’intéresse à la genèse des savoirs, de leur rationalité et à la part de liberté qui les anime.

Anne Rasmussen, Université Louis Pasteur, Strasbourg

22 mai 2008

Le jeu de Cuse

Blog_cuse « Ils cherchent dans le passé la clé de notre survie » : le sous-titre choisi pour l’édition française du dernier roman de Wolfgang Jeschke, Le jeu de Cuse (traduit de l’allemand par Christina Stange-Fayos, L’Atalante, 2008, 636 p., 24 €) lui rend mal justice. Cet argument de départ serait des plus classiques : le voyage temporel comme dernier espoir de salut d’un monde en perdition. Mais si Domenica, une jeune botaniste XXIe siècle, est envoyée 600 ans plus tôt, ce n’est pas pour empêcher la catastrophe nucléaire de Cattenom (un avertissement au culte français de l’atome ?), qui a fait de l’Europe un champ de ruines. Est-ce seulement, comme le prétend son employeur, « l’Institut Pontifical pour la Renaissance de la Création de Dieu », pour récolter les semences d’espèces végétales disparues ? Quel serait alors le rôle du cardinal Nicolas de Cuse, le philosophe préféré de Domenica, considéré (par Cassirer et Koyré, entre autres) comme un des grands « passeurs » entre Moyen-Âge et Renaissance ? S’agit-il de forcer la marche de ce progrès, en provocant une « accélération Cusanique », point de départ d’une uchronie guère plus réjouissante que « notre » monde ? Car ce n’est pas un simple voyage temporel, mais une plongée dans le multivers, l’infini des mondes possibles, qu’entreprennent l’érudit allemand et son héroïne. Et la rencontre de ces univers, que les spéculations philosophiques et les modèles cosmologiques s’accordent à considérer comme isolés, demeure la prérogative de l’imaginaire.

Ivan Kiriow

21 mai 2008

Histoire et avenir du CNRS

Blog_his_doc_cnrs Dans Le Monde daté d’aujourd’hui, Valérie Pécresse annonce la réforme du CNRS à travers la création de six instituts nationaux pour la recherche en mathématiques, physique, chimie, sciences de l’ingénieur, sciences humaines et sociales, et écologie et biodiversité. Ils s’ajouteront aux deux déjà existants, en physique nucléaire et en sciences de l’univers. Pour les sciences du vivant et celles de l’informatique, qui représentent 23 % des effectifs du CNRS, le pilotage sera assuré conjointement avec d’autres institutions comme l’Inserm, l’INRA, le CEA ou l’INRIA. Le collège directorial du CNRS, composé des directeurs des différents instituts et directions, maintiendra selon la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche la vocation de l’organisme à l’interdisciplinarité. « Cette réorganisation, après celle de l’Inserm en huit instituts thématiques, […] vise à décloisonner [le système] et à le simplifier, conclut-elle. Dans les laboratoires, les chercheurs d’organismes différents travaillent naturellement ensemble. La même coordination doit s’instaurer au sommet de notre système de recherche. » Ces annonces ministérielles semblent annuler le travail des différentes instances du CNRS impliquées elles-mêmes dans le processus de réforme. La réaction des syndicats de chercheurs, craignant pour le démantèlement de l’organisme, sera certainement vive après l’interview de Valérie Pécresse. Les lecteurs du Blog de La Recherche pourront quant à eux se rapprocher de l’Histoire documentaire du CNRS, publiée aux éditions du même nom (Comité pour l’histoire du CNRS, sous la direction de Catherine Nicault et Virginie Durand, tome 1, Années 1930-1950, préface de Pierre Papon, 205, 429 p., 35 €, tome 2, Années 1950-1981, avant-propos d’André Kaspi, 2006, 528 p., 40 €). Plus de 250 textes, souvent statutaires ou politiques, sont ainsi présentés, introduits et annotés. L’interview de Valérie Pécresse figurera-t-elle dans le tome troisième ?

Vincent Duclert, EHESS

20 mai 2008

Peut-on réparer l’histoire ?

Blog_garapon Peut-on réparer l’histoire ? s’interroge Antoine Garapon, magistrat, juriste, fondateur de l’Institut des hautes études sur la justice, dans un substantiel essai qui porte ce titre aux éditions Odile Jacob (289 p., 25,50 €). L’auteur relève l’importance aujourd’hui de la demande collective en faveur d’un jugement des faits du passé visant à sanctionner, non plus seulement des actes et des responsabilités mais aussi une vérité et une culpabilité ainsi décrétées aux yeux de l’humanité. En lien avec l’instauration d’une justice pénale internationale qui juge notamment les génocides présents s’est développée une justice civile universelle qui peut exprimer le « rêve d’une civilisation du monde » ou incarner un « dépassement de l’histoire ». Mais Antoine Garapon insiste aussi sur les contradictions de ce recours militant au droit, comme l’impossible retour au statu quo ante, les dérives possibles d’une justice sans tiers, l’ambivalence de la réparation financière ou les limites du formalisme juridique. Il plaide in fine pour « un désendettement mutuel par la politique » en se fondant notamment sur la construction européenne qui fut, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une forme réussie de dépassement du passé par la politique. Il plaide pour ce retour vers la politique et sa distinction nécessaire avec la justice. On pourrait ajouter que l’histoire des historiens conserve aussi un rôle éminent dans la réconciliation des peuples et des personnes avec le passé tragique. Souvent, la demande de droit et de justice envers le passé découle d’une recherche de connaissance que l’érudition n’a été à même d’apporter et qu'un procès, avec ses enquêtes judiciaires et ses débats méthodiques peut assurer à l’inverse (mais avec des finalités très différentes). La quête de savoir et de connaissance ne cesse ainsi d’être actuelle aussi bien que politique.

Vincent Duclert, EHESS