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28 novembre 2011 | 

Historien public

Blog nora
Demain 29 novembre se tient au Centre national du livre (CNL) une journée d'études autour de l'historien, éditeur et académicien Pierre Nora, dont l’œuvre et l'engagement dans l'édition ont profondément transformé le paysage intellectuel français. Cette journée voulue par Jean-François Colosimo, président du CNL, est accompagnée par Antoine Gallimard, PDG des éditions Gallimard qui viennent de publier deux ouvrages de Pierre Nora, Historien public et Présent, nation, mémoire. Placé sous le patronage du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, cet événement réunira de nombreuses personnalités du monde du livre. La journée sera ouverte par Régis Debray et conclue par le philosophe Marcel Gauchet tandis qu’interviendront notamment des historiens comme Jean-Noël Jeanneney, Jacques Julliard, Jean-François Sirinelli, Christophe Prochasson ou Olivier Wieviorka, ainsi que des éditeurs tels que Teresa Cremisi (Flammarion), François Gèze (La Découverte) ou Éric Vigne (Gallimard) et des écrivains comme Michel Crépu ou Claude Lanzmann. L’historien Pierre Nora, présent à la journée, y sera plus que jamais en situation publique, lui qui n’a jamais déserté les arènes de la publication, depuis la maison Gallimard où il a notamment dirigé et publié Les lieux de mémoire et fondé la revue Le Débat jusqu’aux nombreuses interventions dans la grande presse, Le Monde en premier lieu qui accueilli différents appels de l'historien dont ceux de « Liberté pour l’histoire » ou de l’enterrement du funeste projet de « Maison de l’histoire de France ». Pierre Nora l’explique dans la courte introduction au recueil de toutes ces contributions étendues sur 50 ans d’activités intellectuelles (Historien public, 537 p., 23,50 €), il n’a été ni un historien médiatique commentateur inlassable de faits d’actualité comme René Rémond, ni un historien engagé au sens où Pierre Vidal-Naquet le fut à partir de la Guerre d’Algérie. Il se situe plutôt dans un entre-deux, soucieux de faire la part belle à la culture réflexive née de la pensée historienne, accompagnant et critiquant simultanément ce que le philosophe Habermas nomme « les usages publics de l’histoire », attentif à « la défense de la liberté de recherche et d’expression contre l’ingérence du pouvoir politique et les pressions partisanes », favorable à un « type d’histoire qui réconcilie la recherche scientifique et la mémoire collective ». Les intervenants à la journée d’aujourd’hui adopteront-il pour eux-mêmes cette exigence de liberté intellectuelle pour débattre publiquement de la figure contemporaine de l’historien public ? Et qu’en pense Pierre Nora ?

Vincent Duclert

25 novembre 2011 | 

Petits précis à déguster

Blog belin
« Pour les curieux qui veulent tout comprendre », les éditions Belin proposent de « petit précis » en algèbre, géométrie, chimie, physique, de jolis livres élégants, illustrés et accessibles, adaptés de la série anglaise à succès de l’éditeur Quid. Ces ouvrages sont « à déguster » parce que les savoirs qu'ils évoquent sont partout dans notre monde. C'est voir alors celui-ci avec de nouveaux outils, de nouvelles échelles. Le Petit précis de chimie de Joel Levy, avec David Bradley pour les exercices, traduit par David Carrière, va « des molécules aux éléments ». C’est le récit vivant de « la chimie de la vie de tous les jours » qui commence dans le monde antique (175 p., 16 €).

Vincent Duclert

23 novembre 2011 | 

Séquence BD. XIII, le retour

Blog xii
Le tropisme américain des auteurs français et belges de BD est réputé. Lé série XIII imaginée par William Vance et Jean Van Hamme en est l’incarnation. La veine est séminale puisque le mystérieux agent Jason Mac Lane (alias XIII), toujours à la recherche de son passé (pour comprendre les pièces manquantes d’inquiétantes conspirations présentes), est le héros d’un nouvel album de la série, Le Jour du Mayflower (Dargaud, 56 p., 11,95 €), quatre ans après le dernier clap de fin de cette monumentale épopée. La série renaît de ses cendres, ou plutôt de l'océan qui a rejeté le corps inanimé de Mac Lane. L'album est du cette fois à Youri Jigounov (pour le dessin) et Yves Sente pour le scénario, sous l'autorité bienveillante et sourcilleuse de Van Hamm. C’est Yves Sente, désormais, qui prend en charge la suite d’une aventure aux multiples facettes si emboitées les unes les autres qu’on si perd parfois mais qu’on tente toujours d’appréhender dans sa totalité. Cet album plonge dru dans l’histoire, notamment dans l’épisode de l’arrivée sur les côtes de la future Boston, le 21 novembre 1620, des puritains du navire britannique Le Mayflower qui ont quitté la Grande-Bretagne afin de retrouver la liberté religieuse perdue (la geste des Pères Pèlerins donnera naissance à la fête de Thanksgiving aux Etats-Unis). Tandis que des services occultes de l’ « Etat profond » américain continuent – bien évidemment – de s’acharner sur le héros intrépide, celui-ci profite des plaisirs du Maine (en laissant sur son passage quelques solides cadavres) puis décide de rejoindre de vieux amis dans un vignoble français. Ensemble, ils referont l’histoire américaine pour tenter d’éclairer celle de Mac Lane. De la recherche érudite comme antidote à l’amnésie en d’autres termes. Avec un peu d'action en prime, on s'en doute !

Vincent Duclert

21 novembre 2011 | 

Initiative de chercheurs pour la liberté de recherche et d'enseignement

Blog ist
Une fois n'est pas coutume, mais le Blog des Livres de La Recherche s'éloigne un instant de sa vocation au compte rendu d'ouvrages de sciences et de sciences humaines pour présenter une initiative, à laquelle votre serviteur est associé, de mobilisation scientifique en défense de la liberté de recherche et d'enseignement - sans lesquelles il n'y a ni livres possibles ni éditeurs susceptibles de les publier. En Turquie, cette double liberté indivisible est fortement menacée par l'action de l'actuel gouvernement et de l'appareil d'Etat, sans parler des campagnes de presse qui diffament les chercheurs, enseignants, étudiants, traducteurs, éditeurs s’attachant à la production et à la transmission d'un savoir critique sur des sujets tels le génocide arménien, la fabrique de l'histoire officielle, la situation des minorités ethniques, ou l'état des libertés démocratiques.

La création de cette institution d'un genre nouveau, le Groupe international de travail ou GIT « Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie », est présentée ci-dessous. Son fonctionnement comme son champ d'action pourraient s'appliquer à d'autres cas nationaux car les menaces pesant sur la liberté de recherche et d’enseignement ne sont pas limitées à la Turquie, on ne le sait que trop bien. Il s’agit aussi, on le comprend à la lecture du texte, de dépasser le format d’une simple pétition, d’une adhésion à une déclaration. Le GIT articule cette adhésion publique sur une institution visant à produire et diffuser de la recherche. Par ses qualités, le GIT devrait pouvoir constituer une instance de veille, de surveillance et même de pression sur les situations liberticides. Nous pensons que les lecteurs du Blog des Livres seront intéressés à connaître cette manière différente mais légitime de faire de la recherche et d'animer l'actualité des sciences. Le Blog des Livres de La Recherche a même l’exclusivité en avant-première de cette information, l’initiative devant être rendue publique demain mardi.      

Vincent Duclert (en illustration, l'édition Folio chez Gallimard, 2008, 547 p., 9,40 €, du recueil de l'écrivain et prix Nobel de littérature Orhan Pamuk, contraint à l'exil aux Etats-Unis après avoir reçu des menaces de mort).

 

Groupe international de travail « Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie », créé à Paris le 21 novembre 2011.

 

Les mesures de répression gouvernementale et les attaques portées contre la recherche et à l’enseignement universitaire en Turquie se sont intensifiées depuis 2009. Elles ont atteint un niveau alarmant avec l’arrestation, en octobre 2011, de la professeure et politiste Büşra Ersanlı de l’université de Marmara, du directeur des prestigieuses éditions Belge Ragıp Zarakolu, du doctorant en science politique, éditeur et traducteur Deniz Zarakolu, ou de l’étudiante en science politique de 21 ans Büşra Beste Önder. Ils sont détenus dans le cadre des « opérations [anti] KCK », accusés d’appartenir à ce « Rassemblement social du Kurdistan » que dirigerait la rébellion armée kurde du PKK. Ces accusations ont pour seul objectif de faire taire les intellectuels indépendants et de menacer les chercheurs, les universitaires, les étudiants. La justice en Turquie collabore à ce processus de persécution en généralisant la détention préventive des gardés-à-vues, en ordonnant pour certains d’entre eux (Ragıp et Deniz Zarakolu) leur incarcération dans des prisons de haute sécurité, en réduisant les droits de la défense, en s’acharnant sur les prévenus – comme la sociologue Pinar Selek plusieurs fois acquittée ou les journalistes d’investigation Ahmet Șık et Nedim Șener eux aussi accusés de « terrorisme » dans le cadre des procès « Ergenekon » et maintenus en préventive -, en organisant des procès d’Etat.

 

Avec la systématisation des arrestations arbitraires depuis avril 2009, et des inculpations pour « appartenance à une organisation terroriste », c’est la possibilité même de mener en Turquie des recherches indépendantes comme celle d’en diffuser les résultats à l’université comme à l’opinion publique qui sont visées. Le travail régulier des chercheurs, des professeurs, des étudiants, des traducteurs, des éditeurs, devient périlleux avec une menace permanente sur leur intégrité physique, professionnelle et morale. Leur liberté de travail et d’existence est niée comme est mise en danger la liberté de pensée et d’expression dont elle découle. Près de soixante-dix journalistes sont emprisonnés en Turquie pour avoir fait simplement leur métier, auxquels s’ajoutent les milliers de prisonniers d’opinion raflés dans le cadre de la procédure hors-normes du KCK « qui a conduit à environ 8.000 gardes à vue et 4.000 inculpations. Chaque semaine, des dizaines de noms viennent s’ajouter à la liste. » (Guillaume Perrier, Le Monde, 3 novembre 2011). On ne compte plus les membres incarcérés du parti légal turc BDP (et représenté au Parlement). Cette répression considérable ne touche pas seulement les milieux pro-kurdes en Turquie. D’autres intellectuels libéraux sont arrêtés parce qu’ils s’interrogent sur l’action du gouvernement, sur le rôle des organisations de sensibilité religieuse, sur les pratiques de l’appareil d’Etat. Le Centre américain du PEN considère à plus de mille le nombre d’universitaires, d’écrivains, d’éditeurs et d’avocats arrêtés, tandis que l’Association turque des avocats contemporains (CHD) estime que 500 étudiants sont incarcérés.

 

Les sciences sociales, - la science politique aujourd’hui particulièrement -  paient un lourd tribut à cette bataille pour la liberté scientifique et intellectuelle en Turquie. Le simple fait d’étudier ou de débattre de concepts tels que « démocratie » ou « droits de l’homme », le simple fait de publier des ouvrages sur la diversité culturelle de la société turque, sur les structures de l’Etat ou sur l’histoire des minorités peuvent désormais être retenus contre leurs auteurs et les conduire en prison dans l’attente interminable d’un procès.  Après avoir été quelque peu assouplies dans les années 2000, les barrières de la peur paralysent de nouveau la société turque et ses forces intellectuelles. Elles peuvent les détruire. L’intimidation est partout et au plus haut niveau de l’Etat et du gouvernement, comme le rappellent les déclarations menaçantes du Premier ministre Erdoğan, le 18 novembre à Bitlis, à l’encontre de ceux qui s’interrogent sur la légalité des si nombreuses procédures pénales visant la liberté d’expression. Les chercheurs, universitaires, éditeurs, traducteurs, étudiants, tous ceux qui donnent vie aux univers scientifiques et académiques d’un pays doivent désormais se contraindre et s’autocensurer s’ils veulent survivre. A moins d’affronter la police, la justice, les tribunaux et les procès, et pour ne pas évoquer les campagnes de presse insultantes et dégradantes. C’est inacceptable. Et nous protestons avec eux, pour eux et pour ce qui nous unit à eux, le principe supérieur de liberté de recherche et d’enseignement.

 

*

 

Solidaires de nos collègues de Turquie, nous appelons les chercheurs et universitaires du monde entier à participer à un groupe international de travail (GIT) « Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie », et à en créer les antennes dans chaque pays. Ses activités prendront place dans le périmètre régulier des universités, des maisons d’édition et des centres de recherche. Elles auront pour but la production et l’articulation de connaissances approfondies sur l’état des libertés en Turquie. Elles s’inscriront dans les pratiques habituelles des chercheurs, enseignants, étudiants, traducteurs, éditeurs et vulgarisateurs de la recherche. Elles s’exprimeront au travers de rencontres, de conférences et de séminaires portant sur la connaissance et l’analyse des conditions générales de la recherche et de l’enseignement (en Turquie). Elles se traduiront par de nombreuses contributions de spécialistes, par la production d’un savoir inédit et par sa large diffusion. Ce groupe international de travail réalisera une veille documentaire sur tous les faits relatifs à la situation des chercheurs, universitaires, étudiants, éditeurs, traducteurs persécutés. Il travaillera à la connaissance de l’exercice de la liberté d’expression, de la libre circulation des informations critiques ou non conventionnelles, et de la liberté d’engagement et d’association en Turquie, exercice qui conditionne l’existence de ces libertés plus spécifiques mais néanmoins essentielles de recherche et d’enseignement. Il examinera les processus de construction de la démocratie et les blocages auxquels se heurte la démocratisation en Turquie, historiquement et dans un contexte international renouvelé avec les révolutions du « printemps arabe ». Il se propose aussi de constituer une plate-forme d’information, exposant notamment l’ampleur de l’actuelle répression intellectuelle en Turquie, ou bien le sort personnel des collègues menacés ou emprisonnés, ou encore les questions juridiques, politiques, économiques, sociales relatives au processus de démocratisation. Les faits concernant le monde de la recherche et de l’enseignement en Turquie seront confrontés à la situation générale des libertés intellectuelles et publiques dans ce pays mais aussi à des cas similaires ayant affecté ou affectant d’autres pays et, in fine, aux enjeux scientifiques et universitaires dans le monde. Formé de chercheurs, d’universitaires, d’étudiants, de traducteurs et d’éditeurs, unis dans cette communauté de principes et de pratiques, le Groupe international de travail « Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie » fonctionnera comme un centre de recherche diffusant, dans un langage accessible, les résultats de ses enquêtes. La médiation des activités du GIT sera assurée par tous les moyens à disposition de ses membres, publications scientifiques, carnets de recherche sur internet, colloques, conférences et tables rondes, etc., et toutes ces données seront largement répercutées dans la presse généraliste et les grands médias.

 

Des antennes du GIT seront créées dans tous les pays. Chacune d’entre elles fonctionnera de manière autonome selon les principes de travail, d’éthique et d’objectifs décrits ci-dessus. Leur mise en réseau traduira la force et l’efficacité du GIT « Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie ». Ce modèle empirique d’association académique internationale pourra envisager, avec d’autres collègues qui en prendraient l’initiative, d’agir, par la recherche, l’étude et la transmission des savoirs, sur d’autres terrains où chercheurs, universitaires, étudiants, traducteurs, éditeurs, sont menacés dans l’exercice de leur métier et de leur vocation. D’autres GIT « Liberté de recherche et d’enseignement » pourraient ainsi voir le jour, concrétisant une dynamique académique pour les libertés démocratiques.

 

La création du Groupe international de travail « Liberté de recherche et d’enseignement en Turquie » est réalisée à l’initiative de Samim Akgönül, maître de conférences à l’université de Strasbourg (histoire et science politique), Salih Akın, professeur à l’université de Rouen (linguistique), Faruk Bilici, professeur à l’INALCO (histoire), Hamit Bozarslan, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales/EHESS (histoire, sociologie), Cengiz Cağla professeur invité à l’EHESS (science politique), Yves Déloye, professeur à Sciences Po Bordeaux et à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (science politique), secrétaire général de l’Association française de science politique, Deniz Günce Demirhisar, doctorante à l’EHESS et ATER à l’université de Paris 13 (sociologie), Gilles Dorronsoro, professeur à l’université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne (science politique), Vincent Duclert, professeur agrégé à l’EHESS (histoire), Paul Dumont, professeur à l’université de Strasbourg (histoire), Ragıp Ege, professeur à l’université de Strasbourg (économie), Gulçin Erdi Lelandais, docteure de l’EHESS, Marie Curie Fellow, university of Warwick (sociologie), Eric Geoffroy, maître de conférences à l’université de Strasbourg (études arabes et islamiques), Diana Gonzalez, docteure de l’EHESS (sociologie, esthétique),  Ali Kazancigil, co-directeur de la revue Anatoli (science politique), Iclal Incioglu, doctorante à l’université de Paris 7 (psychologie sociale), Lilian Mathieu, directeur de recherche au CNRS, ENS de Lyon (sociologie), Claire Mouradian, directrice de recherche au CNRS (histoire), Emine Sarikartal, doctorante à l’université de Paris- Nanterre, traductrice et éditrice (philosophie), Ferhat Taylan, doctorant et traducteur (philosophie), Murat Yıldızoğlu, professeur à l’université de Bordeaux (économie)…….[liste en cours de finalisation].

 

Cette équipe a installé à Paris une première antenne du GIT, le 21 novembre 2011.

 

Contacts pour adhésion : [email protected], [email protected], [email protected], [email protected], [email protected], [email protected],

18 novembre 2011 | 

Le retour des dissidents

Blog durand
Les derniers billets du Blog des Livres consacrés à la situation des libertés publiques et intellectuelles en Russie comme en Turquie soulignent que le temps des dissidents est revenu. Alors que la fin de l’Empire soviétique laissait imaginer que prendrait fin la persécution des intellectuels, chercheurs, écrivains ou artistes affirmant leurs libres choix de penseurs, on assiste, et particulièrement aujourd’hui, à un retour des dissidents – à la fois dans leur détermination à défendre les libertés démocratiques et dans l’acharnement des pouvoirs d’Etat à les faire taire. Ce phénomène n’est pas nouveau, surtout depuis que l’on a observé la mutation du soviétisme en ultra-nationalisme et la tentation équivalente de l’islamisme. C’est donc une bonne raison de relire le destin d’un des plus célèbres dissidents soviétiques, Alexandre Soljénitsyne dont Claude Durand, ancien PDG des éditions Fayard, fut l’agent pour le monde entier, et qui livre aujourd'hui son expérience après trente-sept ans d'une guerre sans fin pour défendre l'honneur littéraire et politique d'un homme. C'est à l'automme 1974 qu'Alexandre Soljénitsyne charge en effet personnellement l'éditeur français (à l'époque au Seuil) de veiller au destin de son oeuvre. Le livre que publie Claude Durand a débuté avec la commande par Georges Nivat, en vue d’une exposition à Genève, de « deux-trois feuillets sur [s]es relations agent/auteur avec Alexandre Soljénitsyne » qui ont fini en un livre de près de trois cents pages, vivant et baroque comme son auteur. Agent de Soljénitsyne (Fayard, 19 €) se lit comme un roman, plutôt policier car il a fallu à Claude Durand tout le talent et l'énergie pour démêler l’écheveau inextricable des droits et des éditions, et pour contrer toutes les manœuvres vénales ou politiques s’acharnant sur l’auteur. Durand a compris que l’œuvre littéraire pouvait devenir une arme en défense de l’écrivain dès lors qu’elle était organisée comme telle, pensée dans sa cohérence, étendue sur le monde entier. C’était la meilleure façon de soutenir la dissidence de l’intellectuel comme de retrouver la vérité de son œuvre. L’expérience de Claude Durand ici retracée dans un livre attachant et sincère doit servir au temps présent où la persécution des dissidents reprend, après quelques années de liberté, en Russie comme en Turquie. Et pour ne pas parler de la Chine ou de l’Iran où jamais cette persécution n’a cessé.

Vincent Duclert

Dans son avant-propos, Claude Durand salue ses amis de Fayard, ses amis passeurs entre les cultures russes et françaises, et ses amis traducteurs et traductrices. Bref, un temps de combat, de travail,et d'amitié aussi.

 

16 novembre 2011 | 

Paroles libres

Blog ko
En complément ou en introduction au documentaire passionnant et vertigineux consacré à Mikhaïl Khodorkovski, sorti en salle le 9 novembre dernier, rappelons que Paroles libres du prisonnier politique le plus célèbre de la Russie est disponible depuis le mois de septembre aux éditions Fayard (traduit du russe par Galia Ackerman, 310 p., 20 €). La préface d’Hélène Despic-Popovic, ancienne correspondante de Libération à Moscou, dresse un portrait réussi de ce jeune oligarque qui a profité des années Elstine à partir de 1991 pour hisser ses sociétés – et la plus célèbre, Ioukos – au sommet de l’économie mondiale et qui est arrêté le 25 octobre 2003 par la police aux ordres du nouveau maître du Kremlin, Vladimir Poutine, arrivé à la tête de l’Etat russe depuis 2000. Depuis, Mikhaïl Khodorkovski est l’ennemi public n°1 en Russie, et tous ceux qui ont travaillé avec lui sont persécutés, de Platon Lébédev à Vassili Aleksanian et Svetlana Bakhmina. Son crime : avoir voulu intervenir dans les affaires du pays, moins en homme politique qu’il ne prétendait pas être qu’en intellectuel critique du système poutinien et soucieux de la démocratisation de la société russe, autant de convictions inacceptables aux yeux du pouvoir autoritaire du Kremlin. L’acharnement de ce dernier n’a eu d’égal que la détermination de Mikhaïl Khodorkovski de résister et, plus encore, de devenir un porte-parole des libertés emprisonnées. Comme naguère les dissidents à la dictature soviétique, il utilise les arènes de ses nombreux procès pour affirmer sa volonté d’une Russie libre. Paroles libres réunit ces textes et d’autres, entretiens, articles, dialogues. Mikhaïl Khodorkovski s’est métamorphosé en une personnalité morale de premier plan, faisant face à son destin avec un remarquable courage, incarnant l’histoire de la Russie dans ce qu’elle a de plus sombre et de plus éclatante en même temps. Il est bon de le savoir et Paroles libres rend justice de cette résistance de tous les instants, au fond des geôles de la Russie privée de liberté.

Vincent Duclert

 

15 novembre 2011 | 

Disparition d'Hubert Nyssen

Blog accomp
Hubert Nyssen, fondateur en 1978 de la remarquable maison d’édition Actes Sud qu’il installa à Arles, est décédé dans la nuit du 11 au 12 novembre à l’âge de 86 ans. Né le 11 avril 1925 à Bruxelles, docteur ès lettres, enseignant dans les universités de Liège puis d'Aix-en-Provence lorsqu’il vint en France, il fut naturalisé en 1976. Il fait partie, selon l’expression qui donne son titre au futur dictionnaire Robert Laffont, des « étrangers qui ont fait la France » (à paraître au printemps 2012 sous la direction de Pascal Ory). Hubert Nyssen est l’éditeur de la géniale série Millénium, mais aussi de l'écrivaine russe Nina Berberova dont L’accompagnatrice (108 p., 10 €) en 1985 donnera un grand essor à sa maison. Il publie aussi le hongrois Imre Kertész, prix Nobel de littérature 2012, et Laurent Gaudé, prix Goncourt en 2004 (pour Le Soleil des Scorta). Très européennes, fortement soutenues, résolument littéraires, les éditions Actes Sud sont réputées pour la belle qualité matérielle et esthétique des livres qu’elles éditent et qui sont, par leur papier, leur format, leur présentation, de véritables petits objets d’art (très bon marché de surcroît). La fille d’Hubert Nyssen, Françoise, assure depuis plusieurs années la direction d’Actes Sud.

Vincent Duclert

 

11 novembre 2011 | 

La mort au combat

Blog audoin
Toute la précédente campagne électorale de 2007 a résonné des efforts du candidat Nicolas Sarkozy, secondé par ses conseillers Henri Guaino et Max Gallo, de réenchanter, plus encore que la République ou la démocratie, la France comme nation et mémoire. La plaçant au-dessus de tout, il s’appliqua durant son quinquennat à redonner du sacré aux grands moments collectifs et officiels qui scandent la vie de la nation. Les gains politiques s’imposent dans leur évidence, et plus encore à la veille d’une nouvelle élection présidentielle où le président sortant se représentera en toute logique : porter haute la fonction présidentielle, bannir toute controverse en disposant un régime de sacralité, incarner l’unité nationale. Dernière initiative en date, celle d’aujourd’hui, avec la cérémonie particulière de l'Arc de Triomphe associant les familles des soldats français morts en Afghanistan, et l'annonce du dépôt, « dans les semaines qui viennent », d’un projet de loi visant à faire du 11 novembre la commémoration de « la Grande Guerre et tous les morts pour la France ».

Stéphane Audoin-Rouzeau, auteur de Combattre (Une anthropologie historique de la guerre moderne XIXe-XXIe siècle, Seuil, coll. « Les livres du nouveau monde », 330 p., 21 €) et d’études décisives sur la Grande Guerre dont Cinq deuils de guerre (Noésis, 2001, réed. Armand Colin 2014), a souligné (France 2, journal de 13 h) tout l’intérêt de cette réforme du 11 novembre qui permettra selon lui de restaurer dans la société la conscience et la compréhension de la mort au combat. Parlant en anthropologue, l’historien insista sur la capacité d’une telle commémoration à établir un lien plus fort entre les individus et la nation et à permettre aux affects des premiers de nourrir la construction de la seconde. Cette ambition d’un nouveau 11 novembre a un prix cependant, celui d’une part de diluer la spécificité du sacrifice de 14-18 et de risquer même d’oublier ce conflit puisque les événements les plus présents, où les morts sont les plus proches, viendront les premiers à l’attention publique, et celui, d’autre part, de suggérer qu'avec la réunion de tous les morts au combat toutes les guerres sont équivalentes. Chaque guerre existe dans son histoire et il est utile aussi de faire droit à l’histoire aussi bien qu’à l’anthropologie. Comment articuler les deux ? C’est tout l’enjeu de l’anthropologie historique (ou de l’histoire anthropologique) ! Et comment les articuler dans l'espace public, dans la vie de la nation ? Et comment réformer pour conserver l'essentiel ? Et quel essentiel privilégier, choisir ?

Vincent Duclert

07 novembre 2011 | 

Y aura-t-il encore des éditeurs indépendants turcs à Noël ?

Bien que très majoritairement musulmane, la société turque prise les fêtes de Noël. Dans la liesse d’une année qui s’achève et des rues illuminées, elle pourra néanmoins s’arrêter un instant sur une situation alarmante : le nombre des éditeurs indépendants en Turquie ne cesse de décroître. La raison en est la répression de plus en plus ouverte qu’exerce le gouvernement islamo-conservateur sur la pensée libre, celle des chercheurs, des universitaires et des intellectuels démocrates.

Blog ragip 2
Octobre 2011 figurera à cet égard comme l’un des mois les plus critiques pour les démocrates turcs. Le 4 octobre, Deniz Zarakolu, ingénieur, actuellement doctorant à l'université Bilgi d'Istanbul, et éditeur pour la maison Belge qui joue un rôle essentiel dans la diffusion des recherches de pointe, a été arrêté pour avoir donné une conférence sur « La Politique d'Aristote » dans le cadre de l'Académie du parti kurde BDP (Parti de la Paix et de la Démocratie), parti légal qui siège au Parlement. Le 28 octobre, Büsra Ersanli, professeure renommée de sciences politiques et de droit constitutionnel de l’Université Marmara était arrêtée la veille de la table ronde internationale qu’elle devait diriger à l’Université Bilgi d’Istanbul sur « Les questions controversées de l’histoire de la République turque ». Le même jour, Ragip Zarakolu, le directeur des éditions Belge (et père de Deniz), par ailleurs membre fondateur de l’Association des Droits de l’Homme et ancien président du « Comité des Ecrivains emprisonnés » (PEN-Turquie), était lui aussi placé en garde à vue. 48 autres interpellations étaient effectuées par la police qui a investi les bureaux istanbuliotes du BDP. Le maintien en détention, jusqu’à leur procès, de Büsra Ersanli et de Ragip Zarakolu, a été prononcé le 1er novembre par le tribunal de Beşiktaş qui les a inculpés de « terrorisme » (photo de Ragip Zarakolu au tribunal).

Blog busra
Menées par les unités antiterroristes de la police, ces arrestations dites « opérations KCK » (Rassemblement social du Kurdistan) s’appliquent à détruire le travail d’intellectuels, d’avocats et d’universitaires turcs pour bâtir une démocratie respectueuse des minorités et des droits individuels. Le gouvernement emploie contre eux la manière forte et compte sur la justice – qu’il contrôle largement – pour briser ces engagements pacifiques et le travail d’information qui en découle vers la société. Depuis 2009, près de 8 000 personnes ont été arrêtées pour leur exercice de la liberté d’expression dans des domaines interdits de parole, la guerre contre les kurdes au nom du « terrorisme », la situation des minorités nationales en Turquie ou bien la fabrique de l’histoire officielle de la République dont Büsra Ersanli est une spécialiste (Le pouvoir et l’histoire. La genèse de l’histoire officielle en Turquie, 1929-1939, éditions AFA, 1992). En cela, la Turquie des islamistes modérés révèle son vrai visage, celui d’un pouvoir qui bascule lentement mais sûrement vers la dictature. Rien à voir en tout cas avec la fameuse « démocratie musulmane » tant vantée ces dernières semaines par nombre de commentateurs européens, soulagés et même heureux de répéter que les victoires électorales des partis islamistes en Tunisie, et bientôt en Egypte en en Libye ne présenteront aucun danger puisqu’elles revendiquent ce modèle « démocratique » turc ! Celui que promeuvent le parti majoritaire AKP et le Premier ministre Erdogan se rapproche dangereusement des périodes de coups d’Etat militaires et de domination nationaliste qu’a connues la Turquie à de nombreuses reprises dans sa courte histoire. Les récentes arrestations d’intellectuels le démontrent sans conteste. Le crime de ces « dangereux terroristes » est de s’être engagés contre l’état de guerre visant la minorité kurde depuis plusieurs décennies et d’avoir participé aux activités du parti kurde légal, fort d’une trentaine de députés aux dernières élections générales – ce que n’a pas supporté le parti islamo-conservateur et son chef tout puissant.

Blog Dadrian
L’éditeur Ragip Zarakolu a déjà connu la prison. Lui et sa femme Ayse, aujourd’hui décédée, comptent parmi les personnalités les plus exceptionnelles de Turquie. Avec la politique de publication de leur maison d’édition, Belge, ils contribué à maintenir un esprit de liberté en Turquie, envers et contre tout. Ils ont pris des risques énormes et assumés en traduisant et éditant de nombreux travaux sur le génocide arménien dont les études classiques d’Yves Ternon ou de Vahakn Dadrian interdites en Turquie comme toute la littérature scientifique sur le sujet. Belge a publié aussi toute une série d’enquêtes sur les processus de persécution des kurdes de Turquie et d’autres minorités. Comme ses amis Rachel et Hrant Dink (journaliste d’origine arménienne qui fut assassiné le 19 janvier 2007 pour avoir fait son travail et édité une revue bilingue arméno-turque de grande qualité), Ragip Zarakolu incarne l’honneur des intellectuels turcs. Le voir jeter en prison par une police et une justice aux ordres d’une dictature ne disant pas son nom est absolument insupportable. Son sort nous concerne au plus haut point

Vincent Duclert

 

06 novembre 2011 | 

Séquence BD. Résistance

Blog amours fragiles
On voyage dans la Résistance française avec ce nouvel album du scénariste Philippe Richelle (l’auteur des Coulisses du pouvoir et de Opération Vent printanier) et du dessinateur Jean-Michel Beuriot. Tome 5 de la série Amours fragiles (Casterman, 58 p., 14,95 €), Résistance évoque les sans-grades comme les chefs des armées secrètes sur le territoire occupé. On commence par Marseille où agit un « Centre d’aide aux réfugiés » spécialisé dans le sauvetage des juifs et servant de couverture pour d’autres actions clandestines. On continue sur Paris et les tensions au sommet dans les armées secrètes et son commandement londonien. On finit par Lyon et l’arrestation de « Maxime » sur fond de trahison et d’exécution du traître – supposé ou réel. Les femmes sont très présentes dans ces histoires d’hommes, et c’est l’une des qualités de cette saga dans les années noires, - servie par un scénario très historien et un dessin de grande qualité où la ligne claire se mêle aux paysages bouleversés et aux visages martyrisés. Dans ces temps noirs de l’histoire contemporaine, les destins se construisent en une seule seconde, celle des décisions fulgurantes prises devant tous les périls.

Vincent Duclert